Walter sourit. « Je ne vois pas à quoi rime tout cela. C’était un miracle, un étonnant miracle. »
Val s’esclaffa. « Je veux savoir de quel genre de miracle il s’agit. Un miracle authentique ne laisserait pas de traces tangibles. Si ces tectites étaient d’origine surnaturelle, elles auraient dû disparaître.
— Mais les Broncos, eux, ont bel et bien disparu !
— Peut-être. Mais les archives démographiques ont été mises sens dessus dessous dans toutes les cités-puits avoisinantes. Ils ont pu se réfugier sous terre, dans l’affolement provoqué par les feux du ciel.
— Ils ne pourraient se dissimuler dans la fourmilère. Leur stature, la pigmentation de leur peau et leur comportement les trahiraient. »
Val se renfrogna. « Il faudra un an avant que tous les cybers fonctionnent à nouveau correctement. Le gros météore a détérioré pas mal de circuits. Je voudrais bien savoir où sont passés les Broncos. Les enregistrements optiques nous donnent un chiffre inférieur à dix mille morts. Ils étaient un demi-million avant la Grande Chasse. Je doute qu’ils se soient mangés entre eux. Ces os sont ceux de citoyens, de toute évidence. Où sont les cinq-orteils ?
— Olga les a pris dans son paradis, dit Walter.
— J’ai l’esprit large, fit Val d’un ton sarcastique. Mais pour crier au miracle, il me faudrait davantage qu’un feu d’artifice et des cadavres disparus je ne sais où ! Nous aurions bien besoin d’une aide divine. Nous ne refuserions pas un peu plus d’espace et de calories !
— C’est un point de vue matérialiste, et non celui d’un croyant. Olga donne son amour à ceux qui l’aiment. Elle récompense la foi. Mais elle ne peut guérir tous les maux dont souffre le monde. Elle n’est pas toute-puissante !
— Une déesse avec un d minuscule, railla Val. Dans ce cas, tu pourrais aussi bien vénérer la fourmilière, qui te procure des calories et un logement. »
Walter retourna à son pupitre, en murmurant tout bas une prière pour le salut de Val.
On fit le tri des artefacts trouvés au 50e parallèle. Le Comité des Objets Tranchants répertoria les armes, comparables à celles de l’âge du Fer. Les chapelets de perles furent étudiés par des astronomes à l’aide du système zodiacal héliocentrique.
Les Biotechs confirmèrent les doutes de Val pour ce qui était des ossements : le taux calcium collagène était de 0.10 à l’échelle Grube-Hill ; c’étaient bien des os de citoyens. On rechercha les gaz solaires et les radionucléides d’origine cosmique présents dans les tectites. Les résultats manquaient de cohérence. Les imprimés s’accumulèrent. On affecta du personnel supplémentaire à ces recherches et on recommença les expériences.
Trois saisons s’écoulèrent sans qu’on repérât un seul Bronco. Val contacta les services de Chasse partout sur le globe. Les jardins étaient déserts. On supprima le budget du C.C. Val fut nommé au Centre de Prévention des Suicides. Walter fut mis à la retraite pour raison de santé.
Val supervisait le travail d’une Balayeuse, à la base du puits. Un sauteur s’était débrouillé pour atterrir sur un distributeur. Ça faisait un sacré gâchis ; les fluides et les différentes pièces du distributeur étaient mêlés à la bouillie du suicidé. Son transmetteur bourdonna.
« Don, du Labo C.C. J’ai terminé les analyses des météorites. »
Val ne réagit pas. Plus de six mois s’étaient écoulés.
« Les tectites du 50e parallèle, vous savez bien ? ».
— Oh ! oui. Mais je croyais que tous les services du C.C. étaient fermés. Que faites-vous là-bas ?
— On nous a permis de finir nos travaux, pour liquider le budget. Pourriez-vous passer voir ces rapports ? Ils sont assez intéressants. »
À la relève, Val descendit jusqu’au niveau dix-huit.
Il passa devant les immenses cuves du Biosynth. Une odeur sulfureuse lui indiqua que les enzymologistes étaient en train d’étudier les réactions à la méthionine. Le Contrôle des Chasses était plongé dans l’obscurité. Des caisses encombraient les couloirs. Tout était recouvert de poussière. La vue des engins de Chasse morts le désola ; leurs cerveaux et leurs convertisseurs ne pouvaient avoir une autre utilité dans la fourmilière.
Le labo était propre et éclairé. Deux techs travaillaient dans un coin. Le nommé Don se leva pour le saluer.
« Voici les rapports. Vous remarquerez que l’étude a comporté trois phases. La première a démontré qu’il s’agissait bien de chondrites carbonées. Cela veut dire qu’elles sont d’origine terrestre ou lunaire et sont composées de ces sphérules caractéristiques appelées chondres. Il arrive qu’elles se présentent sous forme d’averse. Il n’y avait pas de ferro-nickels d’origine spatiale parmi les échantillons. Lorsque nous sommes passés à la recherche des gaz solaires, nous avons récolté les gaz à des températures différentes. Ceux recueillis entre 800 ou 1000 degrés avaient un pourcentage crypton néon spécifique aux gaz solaires. Le rapport était supérieur à quatre. Il est beaucoup plus faible dans notre atmosphère. Nous avons également recueilli de l’hélium, de l’argon et du xénon dotés des mêmes caractéristiques. »
Val examina les feuillets imprimés.
« Par conséquent, il s’agissait de météores véritables. »
Le tech secoua la tête.
« Pas forcément. Il est possible de calculer la durée de l’exposition préatmosphérique et le rayon minumum du météore grâce aux isotopes lourds, les radionucléides d’origine cosmique. Nous avons employé la technique spectrométrique du rayon gamma pour déterminer le rapport entre le cobalt 60 et le cobalt 59. »
Val hocha la tête. « Plus le météore reste longtemps dans l’espace, plus il absorbe de neutrons et plus grand est le pourcentage d’isotopes lourds, c’est exact ?
— C’est exact. Seulement, nous avons trouvé le même pourcentage que sur la Terre. Nous avons aussi essayé avec le sodium, l’alumimium et le manganèse. Pas d’accroissement en radionucléides.
— Ce météore a donc séjourné très peu de temps dans l’espace, conclut Val. Il est d’âge récent. »
Don éleva la voix.
« Savez-vous bien quelle dimension il faudrait à un météore pour provoquer une averse de cette importance ? Des cratères ont été creusés partout sur les continents. Le météore devrait être aussi grand que la baie d’Hudson. La plupart des chondrites que nous possédions déjà au labo avaient plusieurs millions d’années. Les tectites du 50e parallèle sont récentes, quelques siècles au maximum. Elles ont fait leur apparition sur la Terre dans un passé historique. Croyez-vous que l’histoire ne garderait pas trace d’un impact de la dimension de la baie d’Hudson ?
— Non… fit Val lentement. Pas s’il est tombé sur la Terre en tout cas. Mais il a pu s’écraser sur l’autre face de la lune. La Grande S.T. ne s’est pas préoccupée d’étudier les cieux, d’une manière sérieuse j’entends, depuis un bon millier d’années. » Le tech grimaça un sourire et produisit une mappemonde.
« Ces tracés jaunes indiquent remplacement des camps Broncos la nuit de la conjonction planétaire. Ces points rouges, l’impact des météores. Vous remarquerez qu’ils sont groupés autour des sources des principaux fleuves de chaque continent : le Mississippi, le Nil, l’Amazone, l’Ob, le Parana, le Murray, la Volga, etc. Ces météores avaient un système de guidage très au point.
— Ce groupement est impossible, dit Val.
— Les radionucléides aussi, rétorqua Don.
— Avez-vous l’impression qu’il y ait pu avoir intervention de forces surnaturelles ?
— J’allais vous poser la même question. Mais si une intelligence quelconque est responsable de ce phénomène, c’est une intelligence tout à fait bienveillante. Regardez la profondeur des cratères. : j’en ai compté plus de onze mille sur les enregistrements optiques, et aucun n’a causé de dégâts importants dans les cités-puits. Tous les cratères ont entre trois et quinze mètres de diamètre. »