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« Elle a un bon métier, dit Arthur. Elle vous convient ? »

Walter acquiesça d’un geste las.

« Oh ! merci ! Merci ! » dit-elle avec effusion ; elle se précipita vers le lit pour toucher la main du vieillard. « Je suis certaine que nous nous entendrons parfaitement dans la fusion, votre famille est exactement ce que je cherchais. » Elle baissa les yeux. « Comme vous pouvez le voir, je suis une Vénus, un de ces modèles améliorés commandés par les Loisirs. Je fais des émissions récréatives, et cela rapporte beaucoup de savorisées.

— Heureux de vous avoir parmi nous, Vénus », dit Walter avec peine.

Le sourire de la jeune femme disparut en examinant le visage du vieillard de plus près : les crevasses transversales aux coins de la bouche, le rouge vasculaire des yeux, la desquamation du nez.

« Ouvrez la bouche, s’il vous plaît », dit-elle.

La langue était magenta.

Elle appuya le pouce sur son pied gauche, comprimant les tissus œdémateux.

« Vos jambes sont devenues insensibles ? » interrogea-t-elle.

Il fit signe que oui.

« Et vous ressentez des fourmillements et des brûlures dans les mains ? »

Il fit de nouveau signe que oui.

« Vous souffrez bel et bien d’une maladie de carence », dit Vénus en souriant. Elle tapota sa joue à la peau desséchée et se rendit au distributeur. « Je sais ce qu’il vous faut. » Elle commanda une soupe d’orge bien épaisse, des biscuits au germe de blé et un fortifiant à base de vitamines B. Après avoir vérifié ce qu’elle avait à son crédit, la machine délivra la commande. Vénus appela Dé Pen et lui indiqua comment servir Walter.

« Faites-lui prendre le reconstituant en premier. L’alcool stimulera peut-être son appétit. Emiettez les biscuits et saupoudrez-en le potage, comme on le fait avec des croûtons. Donnez-le lui à la cuillère. Et, si c’est possible, qu’il mange tout. À présent que je fais partie de la famille, mes savorisées pourront profiter à son système enzymatique. »

Durant les semaines qui suivirent, Val fut accablé de travail au C.P.S. Il passait son temps à faire nettoyer les flaques rosâtres laissées par les sauteurs. Des floriréactions en groupe se produisirent encore, sporadiquement ; il arrivait toujours trop tard sur les lieux. Le métro était trop lent. Les radiations actiniques tuaient les Néchiffes sans protection en moins de six heures. Les morts ne pouvaient pas lui dire pourquoi ils étaient devenus fleurs.

Vénus Améliorée et Dé Pen bourrèrent Walter d’orge, de levure et de germe de blé jusqu’à ce qu’il puisse remuer les orteils. Ses vieilles mains recouvrèrent un peu de force.

Le Surveillant transmit à Val un appel en provenance d’une cité du Continent Noir, à quinze mille kilomètres de là. On avait repéré un Bronco. Son rang de Sagittaire lui servit à obtenir un permis de Chasse ; on considéra qu’il s’agissait d’une détente, non d’une mission officielle. Il mit dans un sac sa combinaison isolante, son casque, des armes et des provisions et se disposa à effectuer un long parcours en métro.

Trois seulement des conduits sous-marins étaient en état de marche, et il dut patienter dix-huit heures avant d’embarquer. Une fois qu’il se fut habitué à la pression de la foule, il put se délecter du paysage. Il restait encore quelques constructions en forme de bulle sur le fond de l’océan. Au-dessus, les eaux étaient lumineuses et rien n’y vivait, du moins rien qui pût se voir à l’œil nu. La chaîne alimentaire océanique était rompue depuis longtemps. En bas, il ne vit que des rochers brunâtres avec parfois une traîne d’algues ou un coquillage minuscule. Plus profond encore, c’étaient les ténèbres. Là non plus, rien ne bougeait.

Après avoir changé douze fois de ligne et attendu encore quelques heures, il parvint à la cité d’où provenait l’appel. Le Surveillant local, un homme mûr, d’environ vingt-sept ans, lui confirma les faits. Oui, on avait signalé un cinq-orteils. Non, ce n’était pas un Bronco, mais une pouliche ; et elle était toujours là-haut dans les jardins à manger leurs récoltes. Val se mit à défaire ses bagages.

« Je ne serais pas si pressé d’aller là-bas, si j’étais toi, mon garçon, dit l’autre avec un petit rire sec.

— Pourquoi ?

— L’est fichtrement grosse ! »

Val s’assit et étudia les enregistrements optiques. Elle était plus petite et plus jeune que celle qu’il avait rencontrée en pourchassant le Bricoleur. Il était sûr de son fait.

« N’importe qui en viendrait à bout, fanfaronna-t-il. Sitôt touchée par une flèche, elle va tomber en hibernation-réflexe. Je n’aurai plus qu’à trancher sa carotide. Un jeu d’enfant.

— Hibernation-réflexe ? fit le Surveillant en se grattant le menton. Ma foi, je n’ai jamais entendu parler de ça.

— Eh bien, venez, et vous suivrez les opérations sur le longue-distance. »

À travers la visière de son casque, les jardins ensoleillés lui apparaissaient gris et flous. Il était bien au frais dans sa combinaison isolante. Il but un peu d’eau et commença la traque. Le gibier était censé se trouver à un kilomètre et demi environ ; mais, sans détecteur portatif, il ne pouvait en être sûr. Son arc bandé, il s’enfonça dans la végétation touffue. Et il la vit.

Elle était à une centaine de mètres de lui, assise parmi des buissons d’airelles, en train de manger. Les touffes basses ne lui offraient aucun couvert. Il entreprit de contourner le champ d’airelles, en se cachant dans les blés hauts. Une Moissonneuse aux pattes d’araignée dansait parmi les buissons, et les bruits qu’elle faisait servirent ses desseins. À cinquante mètres de la pouliche, il estima qu’il pouvait tirer sans risque, derrière un léger écran de feuilles de menthe. C’était un peu loin pour la portée de son arc, mais il était assuré de provoquer le réflexe d’hibernation chez sa proie. Il prépara une seconde flèche, comptant pouvoir tirer deux fois avant qu’elle comprît ce qui se passait. Elle se présentait de profil, il visa l’épaule droite. La première flèche n’avait pas fini sa course qu’il encochait la deuxième. Trop haut. Elle entendit le trait tomber dans le feuillage, se releva d’un bond et se retourna pour prendre la fuite. La seconde flèche se ficha bien franchement dans son épaule gauche, avec un bruit épais. De la main droite, elle arracha la flèche vibrante. Il en chercha fébrilement une troisième, mais elle le chargea soudain. Apeuré, il laissa tomber son arc, et sortit son couteau.

La pouliche le heurta violemment ; il fut projeté au sol et se brisa l’avant-bras droit et deux côtes. Il perdit connaissance. Tel un succube, la pouliche roula sur lui, sous le regard des enregistreurs optiques.

Le retour de Val à la conscience fut lent et douloureux. Il ne distinguait que la trace rouge et palpitante de ses vaisseaux rétiniens. Ses pigments visuels étaient blanchis. Il était brûlant. Autour de lui, le monde était noyé dans un brouillard orange. Il sentait contre son dos la fraîcheur de la terre, et sur sa poitrine le fer rouge du soleil. Il essaya de protéger son visage, mais son bras droit battit dans le vide, brisé. Son bras gauche fonctionnait ; il se couvrit les yeux, et l’obscurité lui apporta un certain réconfort. Sous la chaleur intense, sa peau se couvrit bientôt de cloques, qui grossirent, puis éclatèrent ; il commença à peler. Il hurla de douleur et tenta de se redresser. Des fragments de côtes brisées poignardèrent ses poumons, et il fut contraint de rester allongé. La douleur était telle qu’il ne pouvait même plus crier.