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« C’est agréable de rentrer chez soi. Ce retour par le métro m’a fait plus souffrir que mes blessures ; un nouveau tronçon du réseau était inondé.

— As-tu appris quelque chose ? » La voix de Walter était claire et précise.

Val sourit. « Oui : qu’il ne faut jamais chasser une pouliche dans sa phase folliculaire. »

Walter émit un hennissement qui s’acheva par un gros rire. Il se redressa, se tenant les côtes. Il n’avait aucun mal à mouvoir ses bras et ses jambes. L’œdème pulmonaire était guéri, et avec lui la névrite et la paralysie.

« Ne jamais chasser une pouliche dans sa phase folliculaire ! » répéta-t-il en pleurant de rire.

Vénus amena un plateau d’amuse-gueules et de rafraîchissements. Elle voulut connaître la raison de leur hilarité, mais Walter, saisi par le fou rire, ne pouvait articuler un mot. Val fouilla dans son sac et tendit l’électrode à Walter. Elle était en partie démontée.

« C’est donc ainsi qu’elle s’y est prise… un appareil provoquant l’éjaculation par courant électrique. Où a-t-elle bien pu se le procurer ? »

Val se rembrunit.

« Je n’en ai pas la certitude, mais je soupçonne le Bricoleur, ou quelqu’un doué de la même habileté, de les aider.

— Les ? s’étonna Walter. Oh ! tu veux parler de notre vieux Bronco à cheveux blancs ! Mais lui et la pouliche se trouvent sur deux continents séparés. Et ils sont probablement les derniers de leur espèce. Si nous les capturons, ce sera pour les mettre au musée ; en tout cas, ils ne représentent aucune menace pour la Grande S.T.

— Je le sais, marmonna Val. Mais c’est une question de principe. Mon devoir de chasseur était de les détruire ; je ne supporte pas d’en voir un m’échapper. »

Walter but son verre à petites gorgées.

Kaïa transporta Gitar dans un autre chapeau de puits. Son vieux corps avait bénéficié d’une véritable cure de jouvence grâce à un régime riche en protéines. Il lui fallait une compagne. Gitar parla avec autorité, et les Portes s’ouvrirent. Ils se rendirent sur la plate-forme dominant le puits, et Gitar dirigea son haut-parleur de basse vers la base du puits. Cinquante mille citoyens purent entendre un air de guitare empli de majesté. Ils ne furent qu’une vingtaine à lever la tête. Et un seul d’entre eux gravit la spirale, une femme mince et pâle : Dé Pen.

Gitar s’appuya contre le distributeur ; des friandises churent dans le réceptacle. Tandis qu’elle mangeait et buvait, il joua un air destiné à la stimuler.

Kaïa l’emmena pour une promenade dans les jardins ; il lui montra le ciel nocturne, le disque resplendissant de la lune et les étoiles les plus brillantes. La beauté du ciel réchauffa son âme. Les papillons de nuit chargés de pollen vinrent féconder les fleurs.

Gitar parla, avec des cordes, des cymbales, des tambours ; Il parla des plaisirs du nid et de l’amour. Il chanta la vie libre qu’on mène au-Dehors. Elle se mit à danser, à onduler de tout son corps. Alors Kaïa, de son couteau, lui entailla le bras. Il la prit, la caressa et longuement l’aima.

Gitar vint avertir Dé Pen avant le jour afin qu’elle rentre dans le puits. Kaïa la regarda partir en pleurant. Elle regagna le Garage, emportant son amour. Sur son bras, le sang avait séché.

Elle dévala la spirale en sanglotant, rejoignit son habitacle. Quand elle entra, Walter sut qu’elle était allée dans les jardins aux taches vertes qui maculaient ses vêtements. En voyant l’incision à son bras, il comprit ce qu’elle avait fait.

« Une pariade ? » dit-il d’un ton fâché.

Elle acquiesça à travers ses larmes, hébétée, chiffonnée, ébouriffée.

« Je ne sais pas ce qui m’a pris. Il y avait un Bronco dans le chapeau de puits. Il jouait de la musique. Nous avons dansé. J’était si amoureuse… »

Walter se rappela la dernière visite du Bronco. Ce vieux Busch, avait été tué et mangé. Il lui caressa l’épaule.

Val rassembla les films du viol de Dé Pen, réalisés par la Porte et plusieurs Agrimaches.

« Ça doit être cette musique… il faut la faire analyser », dit-il.

Walter demanda les enregistrements effectués dans les chapeaux de puits où on avait trouvé des groupes de fleurs. Les recherches établirent qu’il s’agissait de la même musique : une tonique de près de 200 hertz et d’environ 160 décibels de puissance. Le rythme variait, mais en général cherchait à s’accorder au battement des artères, au pouls des victimes.

« Ce ménestrel ambulant serait responsable de plus de douze viols et de cent cinquante floriréactions. Ça fait beaucoup de morts pour un mélomane ! » dit Val.

Les mois qui suivirent, l’activité de Kaïa s’étendit. Sur la carte, des points marquaient les endroits où des citoyens avaient été entraînés à leur mort. Des triangles, ceux où des citoyennes avaient été violées. Walter et Val relevaient les coordonnées et tentèrent à plusieurs reprises d’intercepter le ménestrel assassin, mais il leur échappa sans peine. Leurs combinaisons isolantes entravaient leurs mouvements et rendaient la poursuite à pied impossible. Les viols se chiffrèrent bientôt à une centaine, les bouquets de fleurs à un millier.

Val empoigna la sauteuse qui escaladait la rambarde. Il la barbouilla de boue et la traîna jusqu’à son habitacle. Il répandit la boue batébrienne partout sur le sol, et jeta dans le vide-ordures ses tapis, tentures et meubles rembourrés. Elle se mit à hurler, poisseuse de boue et de graviers.

« Mes tapis ! Mes tentures ! J’ai passé des années à les tisser ! »

Val la ramena brutalement à la raison.

« Vous avez essayé de vous tuer il y a un moment. Cette boue vous préservera des débris ectodermiques et du C.I. Vous étiez déprimée il y a encore quelques minutes, non ? Est-ce que votre vision des choses n’a pas changé maintenant que vous êtes enduite de boue ? »

Elle glissa sur le sol visqueux et tomba assise par terre, projetant de la fange tout autour d’elle. Oui, elle voyait la vie sous un jour nouveau. Il lança contre le mur le reste de la boue et dit : « Joignez-vous aux Batébriens. Allez à leurs meetings. Essayez de rester en vie. »

« On a repéré un autre Bronco, annonça Walter au retour de Val. Tout près d’ici, cette fois. » Il tendit à Val son équipement de chasse.

Val était fatigué. C’était la fin de son quart. Pourtant, il prit aussitôt le métro pour la cité-puits concernée. Une fois arrivé, il monta jusqu’au Garage Des gardes de la Sûreté grouillaient devant l’écran d’observation, où l’on voyait les jardins.

« Suis-je encore arrivé trop tard ? demanda Val, à bout de souffle.

— Non, dit le capitaine des gardes, Il est toujours là, Dehors. Mes hommes ont peur de sortir ; ils n’ont pas de combinaison isolante, voyez-vous… »

Val ne fit pas de commentaire. Il savait que ceux de la Sûreté avaient le foie aqueux et d’un jaune grisâtre, comme la majorité des citoyens. Il fallait être courageux et être doté d’un foie d’une saine couleur brune pour aller Dehors. Il regarda l’écran. L’image se brouilla. Il frappa le récepteur du plat de la main. Les optiques du chapeau de puits se faisaient vieux.

Le Bronco se tenait au garde-à-vous à environ quatre cents mètres de lui. La guitare était passée à son bras gauche comme une sorte de bouclier. Sa raideur, son absence d’expression, mirent Val mal à l’aise. Il n’avait jamais vu un Bronco s’exposer ainsi aux chasseurs. Et la musique n’était pas celle d’une guitare, mais d’un tambourin.