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« Encore un cas de floriréaction, dit Val d’un ton mordant. On dirait un neutre, un mâle non polarisé. Probablement une trop forte dose de Récompense Moléculaire. Il n’y a pas beaucoup de cas de Comportement Inadapté chez les neutres. Le suicide est peu vraisemblable. Ce pauvre Néchiffe a cru qu’il était une fleur et est sorti Dehors pour communier avec le soleil. Schizophrénie cataleptique et phototropique provoquée par la R.M. Trop tard pour l’échantillonnage.

— Floriréaction ? questionna le Bricoleur.

— Mourir Dehors de cette façon. Sous le soleil. Les rayons solaires pénétrants l’ont littéralement écorché en quelques heures. On trouve deux sortes de fleurs dans les jardins. Les suicidés et les intoxiqués. Cette bonne vieille R.M. La Grande S.T. la distribue aux Bons Citoyens avec parcimonie, et nous l’employons pour donner du courage aux chasseurs ; mais elle est dangereuse. Les types de la Neuro savent distinguer la R.M. du C.I., mais il leur faut pour cela du tissu cérébral frais. On n’a qu’à le laisser là. De toute façon, il fera bientôt partie de la récolte. »

Le Bricoleur marmonna quelque chose à propos de l’hostilité du jardin.

« L’air est très rare sur les versants supérieurs. Tiens-toi bien. Nous allons descendre et utiliser les roues », dit Val, en adoptant la conduite manuelle.

Ses yeux étincelaient tandis qu’il faisait gravir à la machine les étroits sentiers, dans le grincement des roues et le crissement du gravier. L’engin avançait avec des embardées, dérapant dans les virages serrés et accélérant doucement en terrain plat. Quand ils s’arrêtèrent, le Bricoleur découvrit une étendue rocailleuse, irrégulière, couvrant plusieurs kilomètres en déclive. « Le mont Table.

— Ça ressemblait beaucoup plus à une table de loin.

— C’est assez plat, dit Val en faisant obliquer le vaisseau. Il y a des traces de Broncos. Tu vois ce charbon de bois entouré de pierres ? Il y avait beaucoup d’Egotiens ici avant qu’on ne les pourchasse. Dommage qu’ils se raréfient. C’était un bon gibier. Mais ils étaient nuisibles aux récoltes ; ils devaient donc disparaître. »

Ils traversèrent la table, en roulant avec force tressautements, jusqu’à une nappe d’eau résultant dé la fonte des neiges, et dont les bords étaient gelés. Le bord opposé donnait sur d’autres pics neigeux. Un kilomètre plus bas, les pentes étaient couvertes d’immeubles cubiques pareils à des glaciers. Ils revinrent au lac, dans la cuvette au centre de la table. Le Bricoleur étudia les indications du tableau de bord.

« Quatre mille mètres ! J’allais sortir pour goûter à cette eau, mais j’aurai besoin de ma bouteille à oxygène, à cette altitude. »

Val régla les scrutateurs et dit : « Les Broncos ont l’air de se trouver bien ici. De l’eau en abondance, si la neige rose ne l’empoisonne pas, et rien à craindre des chasseurs. Les citoyens ne peuvent pas grimper jusqu’ici sans une machine ou un équipement isolant très lourd. La montagne avait autrefois quatre mille cinq cents mètres de haut, mais le pic en a été tranché. Tu remarqueras le bord dentelé autour de la cuvette. Les rochers semblent aussi avoir fondu.

— Qu’est-ce qui a bien pu décapiter ainsi ce mont ? » demanda le Bricoleur.

Val haussa les épaules. « Je n’en sais rien. Les ondes de choc ont déréglé les cerveaux-maches à des kilomètres à la ronde. Une vaste Chasse était en cours d’ascension. On n’a retrouvé aucun enregistrement. Aucune trace. Aucune radiation induite. »

Le Bricoleur fronça les sourcils. Dans le Service des Egouts, il avait collaboré à des projets de déblaiement, et cela lui donnait assez d’expérience pour apprécier l’énergie requise. Il ne pouvait même pas en deviner la cause. Les résultats étaient nets : plusieurs hectares de terrain plat sans intérêt pour la fourmilière, mais idéal pour les Broncos.

Les scrutateurs balayèrent le campement. Des cendres et des pierres à feu, récentes. La plupart des ossements n’avaient pas encore blanchi.

« Les pierres sont froides, dit Val. Pas étonnant ! Même s’il y a des Broncos ici, il serait impossible de les surprendre avec cet engin bruyant !

— Aucune trace d’un émetteur, cependant, dit le Bricoleur. La distance entre ce point et mon récepteur ainsi que l’épaisseur du sol et des parois sont trop grandes pour un petit appareil à faisceau dense. Et il serait impossible de dissimuler ici un émetteur d’une taille suffisante. »

Val hocha la tête, satisfait. Il dirigea la machine vers le rebord. Les roues descendirent la pente en cahotant, déplaçant de petites plaques rocheuses. À plusieurs reprises, il actionna les réacteurs, qu’il avait coupés précédemment, et à chaque fois l’appareil revint mordre le gravier mouvant. Il s’impatienta. Finalement, en bas de la pente, il parvint à décoller et s’envola vers l’ouest. Une heure plus tard, ils survolaient un océan bleu et vide.

Le Bricoleur ajusta le télé-objectif. Mais les scrutateurs ne révélèrent qu’une eau claire et stérile. Sur le fond gisait un tunnel brisé, pareil à une carcasse de serpent de mer, écorché, ses étais à nu, semblables à des côtes. Des bâtiments en forme de bulle recouvraient les plateaux à six et dix brasses de profondeur ; ils étaient sombres et froids. À mille cinq cents mètres, ils survolèrent plusieurs fois l’endroit où l’on avait localisé l’émetteur. Du sable, des ressacs, et des îles, points noirs sur l’horizon. Mais, d’après les coordonnées, aucune de ces îles n’était la bonne.

« Qu’était-ce, ces dômes bleus au fond de l’océan ? demanda le Bricoleur. Ils sont morts depuis longtemps ?

— Des dômes de Récré, dit Val. Des Centres de Récréation Subaquatiques. Quand le tunnel est mort, ils sont morts aussi. La demande n’est guère importante à notre époque. Peu de citoyens savent nager. Et, de toute façon, il n’y a ni faune ni flore dans l’océan. Quand j’étais gosse, le Service des Egouts a envoyé des submersibles enregistrer la détérioration de la structure. J’ai vu les bandes. Je ne crois pas que la Grande S.T. s’occupera à nouveau de la mer. Il y a beaucoup trop de travail. »

Pendant des heures, ils scrutèrent la pleine mer. Ils ne virent qu’un petit îlot rocheux, où poussaient quelques plantes tenaces.

« Ces plantes ne font sûrement pas partie de la récolte, observa Val. Si nous avions davantage de temps, ça pourrait être intéressant de voir ce qui peut vivre sur un îlot aride comme celui-ci, sans les Laboureuses et l’Agrimousse de la Grande S.T. »

Le Bricoleur jeta un coup d’œil au chronographe. « À propos, ne serait-il pas temps de rentrer ?

Val lâcha les commandes.

« À la maison, Doberman. »

Au Garage, ils rencontrèrent Walter. Il avait Pair abattu.

« Ça doit être important, dit Val, pour qu’il soit descendu jusqu’ici. »

Avec sa respiration d’asthmatique et son ventre ballottant, le vieux Walter les rejoignit en se dandinant.

« Mu Ren, fit-il. Le travail a commencé. Ton distributeur m’a appelé. »

Le Bricoleur se rua vers la porte.

« La dispense a été refusée ! » cria Walter.

Val rattrapa le Bricoleur au bas de la spirale. « Le Méditech n’est pas sur place ?

— Non, la grossesse n’est pas autorisée. »

Quand ils arrivèrent, ils transpiraient abondamment. Mu Ren sommeillait entre les contractions. Le Bricoleur regarda l’écran. Un senseur était fixé au ventre de la jeune femme. Les cardiogrammes fœtal et maternel lui parurent satisfaisants. Il plaça sous ses fesses une planche dure, pour surélever le bassin et laisser s’écouler les fluides. Le distrimache de classe treize opéra une sélection dans son programme d’accouchement.

« Mu Ren, tirez sur vos genoux », dit-il à la contraction suivante. Elle se réveilla, plaça ses doigts dans le creux de ses genoux fléchis, tirant ses cuisses vers le haut et les écartant. La poche des eaux surgit. Le Bricoleur choisit des instruments sur son plateau : deux clamps au nez camus et une paire de ciseaux émoussés. Les membranes éclatèrent à la contraction suivante. Les fluides jaillirent. Une tête aux cheveux noirs se montra. Elle n’était pas encore sortie.