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« Que voulez-vous, répond-il, c’est comme ça !… Quand, en 1919, en Rhénanie occupée, un officier français entrait dans une brasserie, tous les consommateurs se levaient spontanément et l’orchestre attaquait La Marseillaise. »

Il soupire, et laisse tomber :

« Il ne faut jamais être vaincu, messieurs ! Souvenez-vous-en. »

* * *

Fin janvier 1944, René Mayer, Commissaire aux Transports au sein du Comité français de libération nationale, tombe malade.

Bourreau de travail, il en a trop fait… Mais peut-être paye-t-il aussi un goût très vif pour la bonne cuisine et ces plats raffinés qui font ses dîners très prisés par la classe politique ?…

Accompagné de Louis Joxe, secrétaire général du Comité, de Gaulle va lui rendre visite, à l’hôpital.

On le rassure. Ce n’est pas grave. Il sera bientôt sur pied.

Sur le chemin du retour, le Général glisse à Joxe :

« Il va falloir maintenant qu’il bouffe des nouilles. Ça ne va pas l’emballer… »

* * *

14 juin 1944.

À Graye, à l’ouest de la Seulles, le Général de Gaulle débarque du contre torpilleur « La Combattante » et foule enfin le sol de France.

Chez tous ceux qui l’entourent, l’émotion est immense…

Le colonel Hettier de Boislambert — un héros des batailles africaines qui sera, plus tard, grand chancelier de l’Ordre de la Libération — s’approche de lui :

« Avez-vous songé, mon Général, qu’il y a quatre ans, jour pour jour, les Allemands entraient dans Paris ?…

— Eh bien, ils ont eu tort ! »

* * *

En ce bel été de 1944, le Chef du gouvernement provisoire de la République française visite la Normandie, saccagée, mutilée et libérée depuis un mois et demi.

Le 20 août, il est à Cherbourg où une foule enthousiaste lui fait escorte. Drapeaux, banderoles, musique, ovations et, dominant le tumulte, une voix de femme suraiguë qui crie : « Vive le maréchal ! Vive le maréchal ! »

De Gaulle se penche vers son aide de camp :

« Encore une qui ne lit pas les journaux, probablement… »

* * *

Devant la réapparition du « régime exclusif des partis » et le retour de la classe politique aux « poisons et délices » de la IVe République, le Général de Gaulle abandonne ses fonctions de Président du Gouvernement provisoire et, le 14 avril 1947, il annonce la création du Rassemblement du Peuple Français.

La même année, aux élections municipales des 19 et 26 octobre 1947, le R.P.F. fait un malheur : près de 40 % des suffrages exprimés, les mairies de toutes les grandes villes… Et, dans le même temps, la France vivote et grogne, la « 3e force » bafouille, le pouvoir se débat dans des grèves à répétition, les gouvernements chutent, l’un après l’autre… La France semble un fruit mûr, prêt à tomber, et les gaullistes les plus ardents rêvent d’une marche sur l’Élysée. Mais l’idée de sortir de la légalité est totalement étrangère aux vues du restaurateur de la République. À Louis Vallon qui lui dit :

« Mon Général, vous nous avez amenés au bord du Rubicon, mais c’était pour y pêcher à la ligne »[2], de Gaulle répond :

« Vous devriez savoir, Vallon, que franchir une rivière relève du génie, et non de la politique. »

Cinq ans plus tard, le R.P.F., né dans l’enthousiasme populaire, s’enlise dans la politique politicienne et se fissure. Vingt-cinq députés R.P.F. se refusent à la discipline du vote et, grâce à eux, Antoine Pinay devient Président du Conseil.

« Ils sont allés à la soupe », commente, désabusé, le Général…

* * *

De Gaulle est en Saône-et-Loire, à Sennecey, très précisément, ce 21 septembre 1947, et le Comité départemental du R.P.F. a organisé un très sympathique déjeuner sous les arbres, car le temps s’y prête.

Autour du Général, quelques officiels mais, surtout, des anciens de la France Combattante ou de la Résistance : Roger Barberot, Chargé de mission du Rassemblement, André Jarrot, Ninot, l’ancien chef des F.T.P., et bien d’autres encore.

Le voisin de table du Général, le baron Thénard, se penche vers lui :

« C’est merveilleux, mon Général, cette équipe d’hommes gonflés à bloc qui étaient avec vous dans cette grande aventure, et qui avaient… heu… (il cherche ses mots), qui avaient… »

Et de Gaulle termine pour lui :

« Ah pour en avoir, ils en avaient ! »

* * *

À la fin juillet 1948, j’organise un voyage du Président du R.P.F. dans les départements de l’Est et, le 1er août, j’escorte le Général dans le Haut-Rhin.

À Thann, il est reçu à l’hôtel de ville alors qu’un orage d’été s’annonce sur la vallée.

De Gaulle se tourne vers moi :

« Que fait-on après ?

— J’ai prévu un “bain de foule” jusqu’au monument aux morts, mon Général. »

De Gaulle regarde, par une fenêtre, le ciel menaçant :

« Avec ce qui va tomber, ce sera un bain tout court… »

* * *

Aux élections au Conseil de la République des 7 et 14 novembre 1948, les onze départements de l’Est et du Centre-Est dont j’ai la charge, au titre du Rassemblement du Peuple français, font un malheur. De très loin le meilleur score.

Depuis un an et demi, de Gaulle est tellement sous-jacent au travail que nous, chargés de mission, accomplissons dans nos régions respectives que nous ne croyons plus utile de le rappeler en toutes circonstances. Aussi mon compte rendu au Président du R.P.F. est-il dans la tradition :

« … Dans ma région, mon Général, nous avons enlevé les trois quarts des sièges !

— Qui c’est ça, “nous” ?

— Eh bien les délégués départementaux, cantonaux et municipaux, et les militants, bien sûr, et moi aussi, si vous le voulez bien, qui les ai choisis… »

Il se croise les bras et fronce les sourcils, un pétillement dans l’œil :

« Parce que vous ne pensez pas que j’y suis pour quelque chose ?…

* * *

Paul-Henri Spaak, ancien premier ministre de Belgique, en 1949, président de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, est un européen enthousiaste et quasi mystique.

En visite à Paris, il tente de convaincre de Gaulle des réalités et des bienfaits d’une Europe supranationale :

« … Il n’y a plus d’espace national aérien allemand, ni d’espace national aérien italien, ni d’espace national aérien belge, ni… »

Feignant, malicieusement, d’interpréter le propos de travers, de Gaulle l’interrompt :

« Rassurez-vous. Il existe encore un espace national aérien français. »

* * *

Au cours de ce voyage que le Général a entrepris en Bourgogne, fin janvier 1950, il y a, on s’en doute, de bonnes étapes, de bonnes tables…

Mais, à ce dîner que les notables de Beaune ont mitonné avec raffinement pour leur illustre visiteur, Olivier Guichard, Chargé de mission du R.P.F., s’est présenté un peu mal en point, fatigué, chipoteur…

De Gaulle s’en aperçoit :

« Alors, Guichard, vous n’aimez pas le potage ?… Comment peut-on bâtir une nation sans potage ? »

* * *

Louis Vallon, l’enfant terrible du gaullisme, entretenait avec le Général des rapports particulièrement francs, directs et, à l’occasion, humoristiques, surtout lorsque Louis Vallon s’était accordé un whisky de trop.

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2

Le 4 juin 1958, au micro de Radio-Alger, Léon Delbecque, ancien chargé de mission du R.P.F. et artisan efficace de l’appel à de Gaulle, utilisera la même image en apprenant que le Général refuse aux militaires tout pouvoir civil et appelle, autour de lui, quelques-uns de ses adversaires politiques de la veille.