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Cette histoire-ci a été racontée par André Franck, directeur des « dramatiques » de la télévision française au temps des « deux chaînes », à André Brincourt, qui me l’a répétée.

À Londres, l’entourage du Général le jugeait parfois un peu froid, un peu lointain, un peu sévère… Et Neuroy Turgot s’offrit audacieusement à en faire, au Général, le respectueux reproche.

Rendez-vous pris, notre officier « Français libre » est introduit chez de Gaulle et, sans barguigner, il se lance ! Si le Général pouvait se montrer, à l’occasion plus amical, s’il était plus près de ses Compagnons, moins raide, plus ceci, moins cela !…

De Gaulle l’écoute sans broncher.

Neuroy Turgot a fini. Et tout dit.

De Gaulle croise les bras sur son bureau et se penche un peu en avant :

« Dans quelle arme servez-vous ?

— La cavalerie, mon Général.

— Eh bien faites donc du cheval. »

* * *

Après un refus très net notifié, une semaine plus tôt, à Winston Churchill, de Gaulle finit par accepter, le 23 janvier 1943, de se rendre au Maroc, à la Conférence d’Anfa, pour y rencontrer Churchill, le Président Roosevelt et le Général Giraud, nommé, le 24 décembre 1942, Haut-Commissaire et commandant en chef en Afrique française du Nord. — Les entretiens ont pour objet le regroupement de toutes les forces françaises libérées de la tutelle de Vichy ou de la botte de l’occupant.

De Gaulle est de fort méchante humeur. Il juge profondément choquant d’être « invité » par les alliés, lui, le Chef de la France combattante, sur une terre placée sous protectorat français et, de surcroît, pour y débattre d’une affaire qui concerne au premier chef les Français eux-mêmes. Il ne le cache pas à Robert Murphy, Conseiller du Président Roosevelt, venu l’accueillir.

Murphy s’efforce de le calmer. Il lui propose même de venir s’installer à Alger, deux ou trois mois, le temps d’éliminer son rival.

« … Au demeurant, ajoute Murphy, le Général Giraud n’a aucune ambition politique…

— Les ambitions politiques, lui répond de Gaulle, ça vient vite !… Regardez-moi. »

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Robert Murphy, consul des États-Unis à Alger, en 1942, avait, dans un rapport au Président Roosevelt, indiqué qu’Alger, à la veille du débarquement allié du 8 novembre 1942, ne comptait « pas plus de 10 % de gaullistes ».

Le 30 mai 1943, Charles de Gaulle atterrit sur l’aéroport de Boufarik et, aussitôt, il se rend à Alger tout proche.

Sur son parcours, une foule considérable l’ovationne, les haut-parleurs déversent des airs martiaux, les drapeaux claquent aux fenêtres.

Au balcon du gouvernement général, face au forum noir de monde, il salue les Algérois qui scandent des « Vive de Gaulle ! » à n’en plus finir.

Robert Murphy, qui est à ses côtés, avec les officiels, s’exclame :

« Quelle foule énorme ! »

De Gaulle se tourne vers lui et, d’une voix douce :

« Ce sont les dix pour cent de gaullistes que vous aviez comptés l’an dernier. »

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Le Comité français de libération nationale est constitué à Alger, le 3 juin 1943, sous une double présidence : celle du Général de Gaulle (qui a faveur des Anglais) et celle du Général Giraud (qu’imposent les Américains).

« Ce machin à deux têtes ne marchera jamais ! » a grogné de Gaulle.

Le fait est, comme l’observe François Coulet, que le Comité « s’enfonce jusqu’au moyeu dans chaque ornière »… Comment en sortir ?

C’est alors que Giraud imagine de faire venir de France le Général Georges, qui « pantoufle » à Vichy, et dont il pense qu’il sera un allié. Le rusé Churchill favorise l’entreprise car il a tout lieu de penser que Georges, tout au contraire, contribuera à pousser discrètement Giraud vers la sortie.

De Gaulle, lui, ne voit pas arriver d’un bon œil ce « rallié » de la dernière heure qui, sans se compromettre comme tant d’autres, s’est cependant bien accommodé de la défaite et de l’occupation. Aussi, à l’issue d’une réunion à laquelle le Général Georges participait, il avait grommelé :

« Le 18 juin 40, je me suis assis sur la défaite ; « aujourd’hui, je m’assieds à côté d’elle !… »

Un déjeuner de travail, un peu plus tard, fournira à de Gaulle l’occasion de lui planter dans le cuir une autre banderille…

À propos d’une Légion d’honneur que le Général Giraud voudrait remettre au Général anglais Andersen, et qui fait problème, le Général Georges intervient malencontreusement :

« Moi aussi j’ai connu ça !… Tenez, après l’armistice, j’ai eu à remettre la Légion d’honneur à des officiers supérieurs. C’était à Vichy. Et au moment de lancer la formule rituelle : “Au nom du Président de la République, etc.”, je me suis subitement souvenu que la République avait été abolie… Alors, ma foi, j’ai tiré mon épée, et puis…

— Et puis, conclut de Gaulle, vous l’avez remise au fourreau… »

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À Alger, en juin 1943, à l’issue d’une séance du Comité français de libération nationale, le Général Giraud, qui le copréside avec de Gaulle, prend le Général à part pour se plaindre, une fois de plus, des « vive de Gaulle ! » que suscitent leurs apparitions conjointes dans les rues de la ville.

« Ne pourrait-on, dit Giraud, interdire de telles manifestations qui nuisent à l’unité de l’armée ?

— En effet, en effet, acquiesce de Gaulle. Nous pourrions, par exemple, prendre une ordonnance enjoignant aux populations de crier exclusivement : « Vive le coprésident du Comité français de libération nationale à tutelle partagée et à responsabilité limitée… »

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Au palais d’été d’Alger, en ce beau mois de juin 1943, de Gaulle et les membres de son Cabinet écoutent l’un des commentateurs de Radio-Paris.

Le Général se tourne vers Pierre Billotte, son Chef d’État-Major :

« Rappelez-moi donc le nom de ce “je ne sais plus qui” qui parle, parle, parle, jusqu’à ce qu’il ait quelque chose à dire… »

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À Alger, en ce mois d’été agité de l’année 1943, les relations entre les Généraux De Gaulle et Giraud, coprésidents du Comité français de libération nationale, ne s’améliorent pas, c’est le moins qu’on puisse dire. De toute évidence, Giraud agace de Gaulle de plus en plus, surtout lorsqu’il évoque, de façon appuyée, la faveur dont il jouit auprès des Américains :

« … Pour eux, que voulez-vous, j’incarne la vieille tradition militaire française. C’est clair, ils comptent sur moi. Et ils me le témoignent de mille manières… Tenez, ils m’ont même offert un uniforme neuf !… » De Gaulle, sarcastique :

« En somme, vous pratiquez le Consulat au bénéfice de l’étranger… »

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Depuis le 3 octobre 1943, le Général de Gaulle est le seul président du Comité français de libération nationale. (Exit le Général Giraud.)

Au Palais d’été, ce jour-là, le Président a réuni les Commissaires dont il s’est entouré et qui font office de ministres. Il écoute attentivement Henri Queuille, ancien Président du Conseil de la IIIe République, qui expose les grandes lignes d’un projet d’ordonnance. Au passage, Queuille exprime quelques doutes et scrupules à propos de certaines des dispositions envisagées et qui lui paraissent peu conformes à la légalité républicaine.

De Gaulle l’interrompt :

« Monsieur le Commissaire d’État, vous êtes-vous déjà aperçu que vous faisiez parti d’un gouvernement insurrectionnel ? »