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L’Assemblée consultative provisoire inaugure ses travaux, à Alger, le 3 novembre 1943. Et, aussitôt, la tribune est assiégée, à la fois par les « anciens » de la IIIe République, avides de manifester leur résolution combative, pour certains assez fraîche, et par les « nouveaux », issus de la Résistance, soucieux de plaider pour leurs camarades des maquis, dépourvus d’armes et qui appellent le débarquement.

De Gaulle écoute, inlassablement, philosophiquement :

« Que voulez-vous ! Ils ont chacun un discours dans la gorge ! Il faut bien qu’ils le sortent… »

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On vient de désigner le Général de Larminat pour un commandement important.

Cela se passe fin 44.

Un membre du Cabinet militaire de De Gaulle s’en étonne :

« Vous savez bien, mon Général, qu’il est cinglé !

— Oui mais son Chef d’état-major est raisonnable. »

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François Missoffe, Ministre de la Jeunesse et des Sports, a assisté, au nom du gouvernement, aux « Jeux Olympiques méditerranéens » qui viennent de se dérouler à Tunis. En Conseil des Ministres, il fait le compte rendu de son voyage :

« Comme vous m’y aviez autorisé, mon Général, j’ai demandé audience au Président Bourguiba. Il m’a beaucoup parlé de la France, son histoire, sa culture, son prestige dans le monde… Il m’a même confié que c’est un peu par hasard qu’il avait fait sa carrière en Tunisie. Il a vécu si longtemps chez nous qu’il aurait pu, tout aussi bien, la faire en France… »

De Gaulle hoche la tête :

« En somme, Missoffe, si je vous comprends bien, son ambition, ça aurait été d’être maire de Marseille ? »

Au même François Missoffe qui lui annonce que le prix des pommes de terre ne cesse de grimper, de Gaulle répond, en levant les bras au ciel :

« Et qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ! »

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Pendant la guerre, les rapports entre de Gaulle et les Américains étaient souvent tendus, et la Conférence de Yalta, à laquelle la France n’avait pas été conviée, avait porté à son comble l’irritation du Général :

« Les Américains commettront toutes les conneries imaginables, et même celles auxquelles on ne pense plus. »

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Le Général de Gaulle arrive à Moscou, le 24 novembre 1944, en voyage officiel, et il est reçu au Kremlin par le maréchal Staline.

L’entretien se déroule sans encombre, par interprètes interposés. Staline, qui toise un peu de haut ce Général de brigade presque sans troupes, ne se prive pas de lui délivrer toutes sortes de conseils ; moi qui ai fait ci, moi qui ai fait ça…

De Gaulle l’écoute sans broncher, puis, lorsque Staline a terminé, il laisse tomber, avec cet air d’en avoir deux :

« Je vous remercie de vos bons conseils. Monsieur le Maréchal. Mais vous savez bien que vous êtes inimitable… »

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Ce rude hiver de 1944 a, dans les Vosges, malmené la Brigade Alsace-Lorraine presque autant que les Allemands qui s’accrochent au terrain.

À Remiremont, où la Brigade est enfin au repos, un motard pétaradant apporte une grande nouvelle : une « très haute autorité » va passer en revue l’unité que commande André Malraux. On chuchote : « Churchill… Churchill… » Mais c’est Charles de Gaulle qui descend de voiture…

Malraux s’est absenté (il n’attendait pas cette visite). Il revient donc au Commandant André Chamson d’escorter de Gaulle qui se fait présenter les combattants.

Comme il se doit lorsqu’un Général passe devant les rangs, les officiers restent figés au garde-à-vous. De Gaulle le remarque et se tourne vers Chamson :

« Quand je passe devant eux, Commandant, vos officiers me doivent le salut. »

André Chamson, qui connaît le règlement, sursaute :

« Excusez-les, mon Général, ils ne voient en vous que le chef de guerre. »

Alors de Gaulle le regarde, avec, dans l’œil, un mélange de sévérité et d’amusement :

« Assurément, Commandant, assurément… Mais il se trouve, voyez-vous, que je suis aussi le Chef de l’État.

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Jean-Raymond Tournoux nous remet en mémoire cette visite de Paul Ramadier au Président du gouvernement provisoire afin que soit inscrit, aux délibérations du prochain Conseil, un exposé sur le ravitaillement et la coordination des transports.

« Et voilà ! s’était exclamé de Gaulle. Nous venons du 18 juin pour nous occuper des harengs ! »

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L’Assemblée nationale constituante tient sa première séance le 6 novembre 1945. Le 19, Charles de Gaulle est réélu Président du gouvernement. Le 23, il présente son équipe ministérielle aux parlementaires et l’Assemblée se met aussitôt au travail. Dans un certain désordre, pour ne pas dire dans un désordre certain…

À la tribune, ça défile…

Et c’est le tour de Georges Bidault, président du M.R.P. Mais, visiblement, l’orateur a quelque peu abusé des remontants et il a les plus grandes difficultés à s’exprimer. Il bredouille, se répète, bute sur les mots et, finalement, il descend de la tribune sans terminer son discours.

De Gaulle, assis au banc du gouvernement, se penche vers son voisin :

« Serait-il désobligeant de constater que M. le Ministre des Affaires étrangères souffre d’une légère extinction de voix ?… »

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Début décembre 1945, le Général de Gaulle reçoit Jacques Maritain, qu’il estime fort. Et comme celui-ci l’interroge sur l’état du pays, de Gaulle lui répond : « En décembre dernier, souvenez-vous, les Français étaient malheureux. Aujourd’hui ils sont mécontents. C’est un progrès. »

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Pendant l’été 1946, le Mouvement Républicain Populaire prend nettement ses distances vis-à-vis du Général de Gaulle et de la politique qu’il a pour ambition de mener.

Un député M.R.P., venu lui rendre visite, lui expose les états d’âme de son parti, ses troubles, sa tristesse, ses regrets…

Après l’entretien, de Gaulle confie à son entourage :

« Ces braves M.R.P. !… Toujours les mêmes… Ils trichent mais ils coupent à cœur. »

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À Colombey-les-deux-Eglises, en cette fin d’année 1946, un hiver précoce ajoute à la mélancolie du Général, retiré des affaires depuis que la résurgence des partis a balayé les espoirs d’une rénovation.

À l’issue des travaux de la Conférence de la Paix, dont il gérait l’information, Jean Marin — le fidèle, la voix de la France libre — se rend à La Boisserie pour saluer et informer le Général, muré désormais dans sa solitude.

De Gaulle l’accueille avec chaleur et lui fait visiter le nouveau bureau qu’il a fait aménager à l’étage supérieur et que prolonge une échauguette.

De là-haut, la vue porte plus loin, mais, en ce froid et triste mois de novembre, on ne découvre que collines embrumées, champs figés sous le givre, ramures noires qu’agite un vent aigre…

De Gaulle ouvre une croisée à deux battants, pousse Jean Marin vers ce paysage désolé et grogne, avec une fureur contenue :

« La douce France, hein ?… »

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Le 2 février 1947, il confie à Claude Mauriac, son secrétaire particulier :

« Les Français d’aujourd’hui sont comme les petits cochons des abattoirs de Chicago : pleins de grognements et de réticences. Mais, à la fin, ils sortent bel et bien en boîtes de conserve… »