Les élections cantonales des 20 et 27 mars 1949 consacrent l’irrésistible montée du Rassemblement du Peuple français, créé par de Gaulle en avril 1947 : 546 élus, 31 % des voix.
Olivier Guichard, Chargé de mission, énumère au Général les noms des notables qui, dans sa région, viennent d’entrer dans les Conseils généraux sous la bannière du R.P.F.
De Gaulle l’en félicite mais douche son enthousiasme :
« Ne vous faites pas trop d’illusions… Ils sont entrés au R.P.F. pour avoir des voix, ils en sortiront pour avoir des places. »
En cette année 1951, le Rassemblement du Peuple français est certes affaibli par quatre ans d’opposition sans victoire décisive, mais il demeure une menace pour la coalition qui s’accroche au pouvoir. Les stratèges imaginent donc, à l’occasion des élections législatives du 17 juin, et greffé sur un scrutin départemental à la proportionnelle, un système d’apparentements entre les partis qui marie la carpe et le lapin dans une perspective exclusivement électoraliste.
De Gaulle commente ce système :
« C’est vicieux, tordu et surprenant… Vous mettez dans l’urne un bulletin socialiste et il en sort un élu de droite. Dans le département voisin, vous votez pour un M.R.P., pieux et bien-pensant, et l’élu est un radical anticlérical et franc-maçon… Dieu seul, peut-être, reconnaîtra les siens. »
Si, au lendemain des élections législatives du 17 juin 1951, les 118 élus du Rassemblement du Peuple français manifestent une réelle cohésion et se réclament unanimement de la politique définie et voulue par le Général de Gaulle, président du R.P.F., on observe, au fil des mois et des années, une lente et inexorable désagrégation… Vingt-six députés quittent le Rassemblement, le 6 juillet 1952 ; d’autres prennent leurs distances, vis-à-vis de la direction du mouvement, en protestant, néanmoins, de leur fidélité !…
De Gaulle ironise :
« Et dire qu’ils me quittent sous le prétexte de me porter plus vite au pouvoir !… Au train où vont les choses, ils y seront bien avant moi… »
Un député gaulliste, élu sur une liste du R.P.F., est venu confier au Général que, sollicité d’entrer dans le gouvernement qui se constitue, en cette fin d’année 1952, il est fort tenté d’accepter.
Auprès de Louis Terrenoire, secrétaire général du Rassemblement, de Gaulle commente la visite :
« Que voulez-vous, il brûle d’envie d’être appelé monsieur le Ministre avant d’être trop vieux… Eh bien ! Il le sera ! Mais il ne fera pas mieux que les autres… (Un silence.) Peut-être, finalement, ne fera-t-il pas plus mal non plus… »
Le Général s’adresse aux délégués départementaux du R.P.F., réunis, rue de Solférino, le 13 décembre 1953 :
… « Nous ne pouvons être, dans le régime, que des gens qui n’en sont pas… Si nous y participions, même par personnes interposées, nous aurions l’air d’être comme les autres, c’est-à-dire une espèce de M.R.P., ou une espèce de parti socialiste, ou une espèce de parti radical, des types qui font carrière, qui peuvent d’ailleurs ne pas être inutiles aux électeurs, qui rendent des services, qui font les commissions, mais qui, au point de vue national, sont totalement impuissants… »
Dans la soirée, il confie à J.R. Tournoux :
« Je continuerai de parler… Ça fait des ronds dans l’eau. »
Sont candidats à la magistrature suprême, en cette fin d’année 1953 : Joseph Laniel, Marcel Naegelen, Yvon Delbos, Jean Médecin et André Cornu (Vincent Auriol, pour sa part, ne sollicite pas un nouveau septennat).
À Versailles, où les deux Chambres sont réunies en congrès, la compétition tourne à la farce. Les tours de scrutin se succèdent (on en comptera 13 avant qu’un outsider sorte du chapeau : René Coty), et la presse étrangère en fait des gorges chaudes.
De Colombey, où il observe le spectacle avec colère et tristesse, de Gaulle ironise :
« Mon candidat, c’est Cornu. — Il couronnerait si bien le régime ! »
La Communauté européenne de défense (C.E.D.), qui consacrait le leadership américain et autorisait le réarmement de l’Allemagne, est rejetée par l’Assemblée nationale le 28 août 1954.
À un journaliste qui lui demande les raisons de sa farouche opposition, de Gaulle répond :
« Les cadavres, monsieur, n’étaient pas encore froids. »
Comme on lui annonce, le 6 février 1955, la chute d’un gouvernement qui n’a, comme les précédents, duré que quelques petits mois, de Gaulle laisse tomber, goguenard :
« Jusqu’ici nous avions une politique à la petite semaine. Maintenant nous avons une politique à la petite journée… »
Pendant la « traversée du désert », un ancien député, venu le saluer à la Boisserie, lui détaillait et lui commentait la composition du nouveau gouvernement, constitué le matin même :
… « Et puis, naturellement, il y a trois radicaux… » De Gaulle l’interrompit en ricanant :
« Les radicaux ? Les radicaux sont les conservateurs… Pas les conservateurs des traditions, les conservateurs des abus… »
Aux élections législatives du 2 janvier 1956, les Républicains sociaux (ex. R.P.F.) n’obtiennent que 4,4 % des suffrages. Par contre, le libraire-papetier Pierre Poujade et son parti de petits commerçants rallient, sur leurs doléances fiscales, 2 451 555 voix, soit 11,4 % des votes exprimés.
De Gaulle commente :
« De mon temps, les épiciers votaient pour les notaires. Aujourd’hui, les notaires votent pour les épiciers. »
Au vieil ami venu le saluer à la Boisserie, en février 1956, et qui le presse de sortir de l’ombre et de se montrer davantage :
« J’ai libéré la France, mon ami, c’est l’essentiel. Que d’autres s’occupent des cérémonies. Il faut bien que tout le monde vive. »
Félix Gaillard succède, le 9 novembre 1957, à Maurice Bourgès-Maunoury qui n’a « tenu » que quatre petits mois.
Rue de Solférino, dans le bureau où de Gaulle reçoit ses visiteurs lorsqu’il séjourne à Paris, Roger Stéphane évoque l’imbroglio algérien et la manière d’en sortir.
De Gaulle hausse les épaules :
« La solution algérienne ne fait pas partie de l’univers de M. Gaillard. Ce qui fait partie de l’univers de M. Gaillard, c’est, malgré l’Algérie, de durer cinq jours de plus que M. Bourgès-Maunoury. »
Pendant « la traversée du désert », de 1953 à 1958, cette réflexion désabusée :
« Comme un homme politique ne croit jamais ce qu’il dit, il est tout étonné quand il est cru sur parole. »
Nous sommes en novembre 1957…
Depuis le début de l’année, trois gouvernements se sont succédé dans les magouilles et les grenouillages, et sans régler aucun des problèmes qui se posent à la nation : le gouvernement Guy Mollet, le gouvernement Bourgès-Maunoury, le gouvernement Félix Gaillard…
À Alger, l’agitation gagne peu à peu tous les quartiers, les manifestations se succèdent… On sent que, face à un pouvoir impuissant, le craquement est imminent.
Au 5 de la rue de Solférino, l’ancien siège du R.P.F., le dernier carré des fidèles a rejoint de Gaulle, venu à Paris prendre la mesure des événements. Et Olivier Guichard explose :