— Tiens, tiens…
— … 20 à 30 % pour les nouvelles locales…
— Ah bon !
— … Environ 10 % pour les programmes de cinéma et de télévision, pour la météo…
— Voyez-vous !… Et combien lisent les papiers politiques, par exemple, les éditoriaux ? »
Le directeur-éditorialiste prend un air de chien battu :
« Euh… Moins de 0,5 %, paraît-il…
— Eh bien j’espère que cela ne vous découragera pas. »
La nuit tombe sur Colombey.
Une nuit douce et tiède.
20 août 1959…
Jacques Vendroux, le beau-frère du Général, et de Gaulle, seuls dans le petit salon, écoutent, à la radio, le dernier bulletin d’informations. Suit une chanson de Bourvil : « Elle vendait des cartes postales, et aussi des crayons », que de Gaulle, de mémoire, fredonne…
Et il dit :
« J’aime bien Bourvil… Il est l’image d’un bon paysan français, qui aime sa terre et son pays… (Un silence). Ça me repose des palabres européennes de Môssieur Jean Monnet et de Môssieur Robert Schumann… »
Lorsque de Gaulle fait savoir, le 27 janvier 1960, que son gouvernement a décidé d’établir, avec la Chine communiste, des relations diplomatiques, à Washington, on explose…
Rapporté par J.R. Tournoux, petit échange d’amabilités :
La Maison-Blanche :
« Compter un allié comme le Président de la République française rend tout à fait superflu d’avoir des ennemis. »
De Gaulle :
« Que les Chinois entrent à l’O.N.U. ! Ils ne dépareront pas la collection… »
De retour d’un voyage en Haute-Volta et au Niger, fin décembre 1961, Jean Foyer, ministre de la Coopération, rapporte au Général que le président Yameogo lui a déclaré qu’il était possible et souhaitable de fédérer tous les États africains, et que la présidence de cette fédération devrait revenir à Dieu lui-même.
« Bonne idée ! s’exclame de Gaulle. Ça évitera la concurrence. »
Poursuivant la relation de son voyage, Jean Foyer informe le Président que, dans les campagnes de la Haute-Volta, on est passé des transports à dos d’hommes aux transports à dos d’ânes.
De Gaulle (narquois) :
« Tiens ! Ils en sont déjà là ?… »
Cependant que Jean Foyer visitait le Niger et la Haute-Volta, Raymond Triboulet, ministre des Anciens combattants, accrochait quelques médailles sur les valeureuses poitrines d’anciens tirailleurs tchadiens.
« Cela m’a permis de constater, mon Général, que le président du Tchad, M. Tombalbaye, faisait des complexes… Il n’est pas ancien combattant.
— Et pourquoi diable ne s’inscrit-il pas à la Fédération internationale des anciens combattants ? On ne lui demandera rien ! »
En ce début d’avril 1961, la politique algérienne du Général est de plus en plus vivement contestée par une fraction de l’armée et de la classe politique. On fait grief à de Gaulle de sa volonté manifeste de désengagement, ce qui amène cette réplique :
« On dit, ici ou là, que dans les pays d’où la France se retirerait, l’Union Soviétique ou l’Amérique, ou l’une et l’autre à la fois, essaieraient de prendre sa place. Je réponds qu’à toutes deux, je souhaite d’avance bien du plaisir… »
On discute, en Conseil des Ministres, des promotions dans l’ordre de la Légion d’honneur, dont le choix doit être arrêté, et la plaque de grand officier, proposée pour un professeur de droit, suscite, de la part d’Edgard Pisani, ministre de l’agriculture, cette remarque acerbe :
« J’ai été son élève, et je puis vous dire qu’il nous a toujours assassinés de sa médiocrité ! »
De Gaulle sourit :
« C’est là précisément son titre, Pisani. Au bout de longues années de dignité et d’ennui, on devient représentatif. »
Au cabinet du Général de Gaulle, on commente l’impact, dans la presse et dans le pays, du message radiodiffusé et télévisé prononcé par le Général, le 23 avril 1961, et dans lequel il a stigmatisé la tentative de coup d’État, à Alger, d’un « quarteron de généraux ».
« L’expression, dit quelqu’un, a fait mouche… Tous les journaux l’ont reprise… »
Le Général hoche la tête :
« Oui… — Hélas !… — Dix-neuf étoiles et pas de tête !
— Mais quand même du caractère, mon Général !
— Le caractère, si rien ne l’accompagne, ne donne que des téméraires ou des entêtés. »
À Félix Gaillard, ancien Président du Conseil, venu lui rendre visite le 14 juin 1961 et qui lui confie :
« L’Algérie est un problème insoluble », de Gaulle répond :
« Vous avez raison. L’Histoire et le monde sont faits de problèmes jamais résolus. »
En cette année 1961, alors que l’O.A.S. multiplie les attentats, en France et en Algérie, après l’échec du putsch des généraux, et que le F.L.N. maintient sa pression et ses exigences, de Gaulle manifeste haut et clair sa volonté de sortir la France du guêpier algérien.
Au Conseil du 27 septembre, on informe les ministres que, de source sûre, le préfet ne pourrait compter, à Bône, que sur 80 policiers « loyaux », sur un effectif de 485.
Imperturbable, de Gaulle commente :
« C’est une proportion remarquable ! »
À ce Conseil des Ministres du 13 novembre 1961, figure, à l’ordre du jour, le saccage de l’Ambassade de France à Rabat, investie et mise à sac, la veille, par « des éléments incontrôlés ».
Pierre Guillaumat, Ministre des Armées, est amer :
« Cela ne serait pas arrivé si des troupes françaises étaient restées à proximité ! »
Couve de Murville acquiesce :
« Évidemment ! Si nous étions encore en régime de protectorat, cela ne se serait pas produit. »
De Gaulle (agacé et sarcastique) :
« Et si les Français de Napoléon étaient restés à Moscou, il n’y aurait pas eu Staline ! »
Appelé à se prononcer par référendum sur les accords d’Évian qui mettent un terme définitif à la guerre d’Algérie et prévoient, pour l’Algérie, des institutions provisoires, le peuple français, le 8 avril 1962, manifeste son approbation par plus de 90 % des suffrages exprimés.
Quelques semaines plus tôt, à la fin d’un Conseil des Ministres, de Gaulle a persiflé tous ceux, fort nombreux, qui, de la droite à la gauche, ont attaqué sa politique mais dont il était bien assuré que, finalement, ils la ratifieraient.
Il a recopié une réflexion de Chamfort et il la lit à haute voix, la malice dans l’œil :
« Premier principe : il n’y a de souveraineté que dans le peuple. Deuxième principe : il ne faut jamais lui permettre de l’exercer. »
L’automne de l’année 1962 voit renaître les appétits des « candidats à la succession ». L’imbroglio algérien n’est plus qu’un mauvais souvenir, la décolonisation s’est faite dans le calme, les usines tournent, les campagnes sont tranquilles, et l’élection du Président par les parlementaires, restant la règle, invite aux « grenouillages » et aux « magouillages ».