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Auprès d’un Ministre qui s’inquiète de cette « ruée au pouvoir », de Gaulle ironise :

« Le pouvoir ? Ils ne savent même pas ce qu’ils veulent en faire !… Laissons-les jouer. »

* * *

À Chartres, en 1962, André Malraux, Ministre des Affaires culturelles, a traîné de Gaulle à un concert de musique moderne — ultra-moderne…

De Gaulle, à la sortie :

« Je n’ai jamais entendu, en si peu de temps, autant de sons discordants et inattendus… »

* * *

À l’Élysée, le 7 avril 1962, le Président de la République reçoit Guy Mollet, secrétaire général de la S.F.I.O.

Le leader socialiste manifeste, sur de nombreux points, son désaccord avec la politique du Général. Et le ton monte…

Guy Mollet : « Non, mon Général, la République, ce n’est pas vous ! Elle existait avant vous, et elle existera après vous !

De Gaulle (d’une voix radoucie) : « Bien sûr… Mais ce ne sera pas la même. »

* * *

En cette fin d’année 1962, les ministres et les conseillers étudient les modalités du référendum, annoncé le 12 septembre par communiqué, et qui doit proposer au pays l’élection du Président au suffrage universel.

Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances, est sensible aux réserves exprimées par le Conseil d’État. Il en fait part à de Gaulle :

« La procédure choisie prête le flanc à la critique… »

De Gaulle en convient mais il ajoute :

« Si nous conservions le système actuel, c’est-à-dire le choix du Président par les parlementaires, ils se mettraient d’accord sur le plus médiocre, et ils n’auraient, croyez-moi, que l’embarras du choix… »

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Ce jour-là, Roger Stéphane déjeune à Louveciennes, chez les Lazareff.

La semaine d’avant, ils ont été, l’un et l’autre, les hôtes du Président de la République et Pierre Lazareff relate qu’à la fin de la réception, un aide de camp est venu le chercher, lui a fait traverser tout le palais à sa suite et l’a finalement introduit dans un petit salon où de Gaulle l’attendait. Et de Gaulle, en substance, lui a dit ceci :

« Ce salon, monsieur Lazareff, est celui où l’empereur Napoléon 1er fut, en 1815, sommé, par ses généraux, d’abdiquer. Il n’avait guère le choix mais, d’ici même, il entendait le murmure lointain du peuple de Paris qui criait : “Vive l’Empereur !”. C’est dans cette encoignure de fenêtre que, dans une nuit du 1er décembre, Napoléon III se pencha vers le duc de Morny et lui demanda :

— “Tout est prêt ?”

— “Oui”, répondit Morny.

— “Alors, allez-y !”

C’est sur ce divan, monsieur Lazareff, que le Président Félix Faure perdit sa “connaissance”, et sa vie… Voyez-vous, monsieur Lazareff, on m’a reproché beaucoup de choses, au long de ma vie, mais jamais de négliger l’histoire. Cependant, j’ai lu dans “France-Soir” que Mme Carmen Tessier, devenue, je crois, Mme André Dubois et qui signe dans votre journal “la commère”, avait assuré que j’avais transformé cette pièce en chapelle. Eh bien, monsieur Lazareff, je vous demande de bien vouloir rassurer Mme Dubois ou “la commère”. Vous avez vu la pièce. Elle est intacte… »

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Un visiteur vient de s’en aller.

Olivier Guichard, qui assistait à l’entretien, fait observer au Président du Conseil que ce Monsieur fort distingué a dit des choses fort intelligentes.

« Bien entendu, admet de Gaulle, il n’est pas bête. Il voit convenablement le problème. Mais ce qu’il comprend et ce qu’il dit est totalement dépourvu d’intérêt car il ne fait que s’imaginer avoir des pouvoirs. La seule différence, entre lui et moi, c’est que je sais que je ne peux rien faire dans ce cas précis, alors qu’il croit, lui, pouvoir faire quelque chose. »

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Devant le Président et les ministres, ses collègues, réunis le 3 juillet 1963, Jean Foyer plaide pour qu’une rallonge de crédits soit, dans le prochain budget de l’État, inscrite au bénéfice du Ministère de la Justice — cette justice que de Gaulle vitupérait, aux beaux jours de l’O.A.S., et dont il avait dit, au lendemain d’une molle réquisition du procureur contre l’assassin d’un policier : « Tout le monde sait qu’en France la justice n’est pas rendue. Une idée s’est ancrée dans l’esprit des magistrats, qui entretiennent des complicités avec le barreau : à partir du moment où les affaires en cause possèdent un rapport quelconque avec la politique, on ne rend pas la justice, parce qu’il s’agit, en somme, de protéger l’individu contre l’État… — Vos magistrats sont lamentables ! »

Jean Foyer s’en souvient mais, courageusement, il poursuit son plaidoyer :

« … Et même les bâtiments qui crient misère ! Tenez, ce matin, les plafonds de la direction des affaires criminelles sont tombés par terre !… Cet effondrement de la justice, c’est un avertissement. »

De Gaulle l’interrompt, glacial et souverain :

« Monsieur le Garde des Sceaux, ce n’est pas un avertissement : ce n’est qu’une confirmation. »

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La grève des mineurs, fin 1964, s’étend de bassin en bassin… Dans ce sombre tableau, quelques lueurs d’espoir, fragiles cependant, très fragiles…

Michel Maurice-Bokanowski, ministre de l’Industrie, en informe le Général :

« À ce propos, j’aurai une communication à faire au Conseil. Mais elle doit rester totalement confidentielle.

— Totalement confidentielle ?… Alors ne la faites pas. »

* * *

Le 3 décembre 1965, de Gaulle est mis en ballottage avec 44,64 % des suffrages exprimés.

La consternation règne dans le camp gaulliste, et le Général lui-même ressent tristesse et amertume.

Sur ce lui parvient une analyse de François Goguel et Jacques Narbonne qui démontre que le Président sortant a obtenu plus de voix que ses partisans ou ses adversaires n’en ont jamais comptabilisées dans une consultation de ce type. L’erreur était de confondre élection présidentielle et référendum.

Au Conseil des ministres du mercredi suivant, c’est un de Gaulle tout ragaillardi et souriant qui commente :

« Aucun parti politique n’a jamais, en France, approché un tel score. » Et il ajoute, malicieusement :

« La preuve est faite, s’il en était encore besoin, que nous sommes bien en démocratie. Est-ce que l’on met un dictateur en ballottage ?… »

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Le vice-amiral Flohic, qui fut aide de camp du Général de Gaulle, se souvient du voyage qu’ils firent ensemble à Moscou, en juin 1966 et, tout particulièrement, de la réception fastueuse, organisée dans la salle des Chevaliers du Kremlin, en l’honneur du Général.

Alors que le Président de la République française prononçait son discours, Flohic remarqua que les ambassadeurs des U.S.A. et de Grande-Bretagne, tournant le dos à l’orateur, s’étaient portés vers le buffet et se trouvaient fort occupés à pousser du caviar avec de la vodka.

En raccompagnant le Général à ses appartements, Flohic laissa éclater son indignation.

« Bah, dit de Gaulle, ils s’expriment en anglais, ils vivent chez les Russes… Ils ne doivent pas comprendre le français. On ne peut pas tout savoir… »

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À la faveur de l’agitation de Mai 68, les partis de gauche se rapprochent pour tenter une unité qui permettrait de faire jouer l’alternance.