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De Gaulle hausse les épaules :

« L’unité de la gauche, elle se fera peut-être, après ma mort. Mais, à ce moment-là, elle se réclamera du gaullisme, et je ne serai plus là pour rafraîchir quelques mémoires… »

* * *

En juillet 1968, les tumultueux événements d’Algérie, les révoltes, les excès, tout cela semble déjà lointain, et le temps du pardon paraît venu.

Une loi d’amnistie est déposée sur le bureau de l’Assemblée, et Bernard Destremau, député des Yvelines, y ajoute un amendement qui restitue, aux amnistiés, les décorations méritées pour fait de guerre.

Auprès de René Capitant, Président de la Commission des lois à l’Assemblée Nationale, Destremau s’inquiète :

« Le Général n’a pas objecté à mon amendement ?

— Ma foi non, assure Capitant. Il a haussé les épaules, avec amusement et résignation, et il m’a dit : “Ils ont eu la montre. Ils veulent aussi la chaîne…” »

* * *

Jean-Bedel Bokassa, ancien sergent de la France libre, se saisit du pouvoir en République centrafricaine et se proclame empereur. Vouant à de Gaulle une vénération sans bornes, il demande à être reçu à l’Élysée.

Le Président de la République, que ce coup de force a fortement indisposé, le fera attendre plus d’un an…

À la fin des fins, l’audience tant espérée est accordée, et Bokassa est accueilli, le 11 février 1969, à l’Élysée.

À peine introduit, il se précipite vers le Général, lui prend les mains et bredouille :

« Oh ! Papa !… Papa !…

— Voyons, Bokassa, appelez-moi mon Général, comme tout le monde !…

— Oui, papa… »

* * *

De retour d’un voyage en Afrique noire, un parlementaire, reçu en audience, rapporte à de Gaulle qu’au Gabon et au Congo des masques de danse ont été sculptés à l’effigie du Général, qu’une nouvelle danse, apparue au Gabon, s’appelle « Eko-de-Gaulle », qu’au Congo nombreux sont les nouveau-nés qui sont baptisés « Gaul », si ce sont des garçons, et « Tantivonn », si ce sont des filles.

« Bon, bon, grogne le Général. On ne leur en demande pas tant ! »

* * *

À La Boisserie, où il s’est définitivement retiré le 28 avril 1969 et dont il ne sortira que pour deux brefs séjours, en Irlande et en Espagne, de Gaulle prend connaissance du courrier émouvant qui lui parvient du monde entier.

Le journaliste Frédéric Barreyre, à l’affût des derniers « mots » du Général, évoque le message du Président Nixon qui lui écrit, entre autres choses :

« … Je n’oublierai jamais la sagesse de vos conseils. »

De Gaulle hoche la tête :

« Il n’a pas oublié mes conseils ? Comme c’est étrange… Il n’en a suivi aucun ! »

* * *

Chez lui, à Colombey, Charles de Gaulle reçoit quelques fidèles et, parmi eux, le 11 décembre 1969, son ami André Malraux.

Évoquant d’autres années sombres, il lui confie :

« J’ai dressé à bout de bras le cadavre de la France en faisant croire au monde qu’elle était encore vivante… »

* * *

Dans son refuge de la Haute-Marne, en ce mois de décembre de 1969 triste et froid, Charles de Gaulle écrit, médite, reçoit ses amis…

Les événements récents l’ont profondément marqué, et, souvent, la mélancolie l’envahit :

« Après ma mort, on dressera une grande croix de Lorraine sur la plus haute colline, derrière ma maison… Et comme il n’y a personne, par là, personne ne la verra… Elle incitera les lapins à la résistance. »

* * *

De Gaulle portait, sur les hommes, des jugements sans illusions — dans ses bons jours, résignés, amusés ou indulgents ; dans ses mauvais jours, sarcastiques, tranchants ou impitoyables.

À Raymond Schmittlein qui objectait à la nomination d’un haut fonctionnaire : « C’est une fripouille, mon Général ! », de Gaulle répondait :

« Vous en connaissez, vous, des hommes qui n’aient pas été, qui ne sont pas ou qui ne seront pas des fripouilles ? Eh bien moi je préfère un homme dont je sais qu’il a été une fripouille à un homme dont j’ignore s’il ne va pas devenir une fripouille. »

À Edmond Michelet qui lui donnait le choix entre deux candidats, forts connus, à un poste important : « En somme, Michelet, pour occuper ce poste, vous me proposez un emmerdeur et un salaud ? Bon, prenons l’emmerdeur. »

D’Édouard Herriot, il disait :

« Je ne trouve, dans sa carrière, que trois actes d’homme d’État. Ce sont trois abandons : l’évacuation de la Ruhr, la dévaluation du franc, la caution donnée à Pétain. »

Accueillant le sénateur Roger Duchet, Secrétaire général du Centre national des Indépendants-paysans, il lançait :

« Ainsi, monsieur, vous êtes indépendant. Indépendant de qui ? Indépendant de quoi ?… »

Il avait brossé, de Staline, ce portrait sans complaisance :

« Communiste habillé en maréchal, dictateur tapi dans sa ruse, conquérant à l’air bonhomme, il s’applique à donner le change. »

D’une phrase acérée, il vous clouait un bonhomme au pilori :

« Eisenhower ? Le premier des généraux fonctionnaires. »

« Le Chanoine Kir ? Ce n’est pas un homme d’église, c’est un homme de cirque ! »

À propos de Mendès France :

« Il n’aime pas être attelé. Il veut toujours être le cocher. Seulement voilà, pour le moment, c’est moi le cocher ! »

Et à Michel Droit qui s’étonnait, le 27 mai 1968, que Mendès France fût allé discourir, au stade Charletty, devant les « soixante-huitards » :

« Mendès !… Il aurait pu être un homme d’État s’il avait été moins velléitaire !… C’est comme son plan !… On m’a parfois reproché de lui avoir préféré le plan Pleven… Mais j’ai choisi le plan Pleven parce qu’il n’y avait pas de plan Mendès !… »

Dix ans plus tôt, en septembre 1958, il avait confié à l’ambassadeur Léon Noël :

« Ce pauvre Mendès !… Son pire ennemi, c’est lui-même. »

Sur Albert Lebrun, Président de la République en 1940, le capitaine de vaisseau Flohic avait recueilli ce jugement sans appel :

« Comme Chef de l’État, deux choses lui ont manqué : qu’il fut un chef et qu’il y eût un État… »

De Philippe Pétain, il avait dit :

« C’est le plus grand chef militaire que j’aie connu. Malheureusement, il est mort en 1925, au Maroc, et personne n’a jamais pu l’en persuader… »[4].

… Et des « politichiens » enfin, sa bête noire :

« Il ne faut pas attendre des professionnels du dénigrement, de la nostalgie et de l’aigreur, qu’ils renoncent à suer le fiel, cracher la bile et lâcher le vinaigre. »

L’IMPATIENCE

Le fondateur du Rassemblement du Peuple Français voyageait beaucoup. Pour impulser le mouvement dont il avait pris l’initiative et exposer ses vues, dans tous les domaines, il sillonnait la France, d’Est en Ouest et du Nord au Sud.

Or, ce 13 septembre 1948, il se trouvait à Ajaccio, accompagné, notamment, de Pierre Lefranc, Chargé de mission du R.P.F. et, au cœur de la ville, de Gaulle, descendu de voiture, prenait un « bain de foule », ainsi qu’il le faisait toujours.

Alors qu’il cheminait dans un grand concours de peuple, le délégué départemental du R.P.F. lui désigna du doigt un magasin d’articles de ménage et d’électricité qui appartenait à Eugène Macchi, grand résistant couvert de médailles et gaulliste de la première heure.

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4

Et il le redira, en juin 1964, au capitaine de vaisseau Flohic, son aide de camp :

« Pétain est mort, pour moi, en 1925, lorsqu’il accepta la mission de porter à Lyautey l’annonce de son limogeage. Il le fit par ambition et par vanité, en dépit des mises en garde de son entourage. »