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Sans hésiter, et pour honorer ce fidèle parmi les fidèles, le Général se dirigea vers la boutique et y pénétra, cependant que le délégué départemental retenait, à l’extérieur, officiels et partisans. Et de Gaulle se retrouva, seul avec Pierre Lefranc, dans cette échoppe un peu sombre, vide et silencieuse.

Lefranc appela Macchi à tous les échos, explora l’arrière-boutique, monta à l’étage… Personne. (Le malheureux Macchi, coincé dans la foule, ne parvenait pas à rejoindre son grand homme…)

Pour tuer le temps, de Gaulle déambula entre les comptoirs, regarda les ampoules, examina les piles électriques, reluqua les lampes de chevet et les lustres suspendus au plafond…

Au bout d’un moment, il se tourna vers Pierre Lefranc :

« Bon, eh bien puisqu’on ne veut rien nous vendre, allons-nous-en. »

* * *

J.R. Tournoux nous remet en mémoire cette visite que de Gaulle fit un jour à un châtelain de Seine-et-Marne, notable influent et militant généreux du Rassemblement.

Sur le perron de sa propriété, il accueille le Libérateur par un interminable discours qui déverse des flots d’éloquence prudhommesque, et de Gaulle, visiblement, commence à se lasser. Mais rien n’arrête l’orateur :

« … Et c’est pourquoi, mon Général, j’ai l’insigne honneur de vous recevoir dans ce canton, dont je suis conseiller général, sur mes terres qui… »

De Gaulle (qui veut en finir) :… « qui sont des terres à betteraves. Allons déjeuner. »

* * *

Réunion de travail informelle dans le bureau du Général, à l’Élysée.

Un expert, convoqué pour exposer un projet à caractère technique, développe longuement son argumentation. Son discours est sans cesse entrecoupé de « n’est-ce pas, mon Général ? » et de « Comme vous le souhaitiez, mon Général », et il multiplie à l’excès les références aux propos et aux écrits du Président.

Si bien que de Gaulle, un peu agacé, se tourne vers son voisin et murmure :

« Ah, celui-là ! Avec son gaullisme… »

* * *

Ce 27 janvier 1960, à Alger, l’émeute est à son paroxysme. La « semaine des barricades » a débuté le 24, et rien n’indique une prochaine reddition des insurgés, solidement retranchés.

De son bureau d’Alger, Paul Delouvrier, Délégué général du Gouvernement, appelle l’Élysée. Mais les communications sont désorganisées et la voix de Delouvrier semble venir d’une autre planète.

De Gaulle s’impatiente :

« Je ne vous entends pas, Delouvrier !

— Moi non plus, mon Général, hurle Paul Delouvrier.

— Alors pourquoi téléphonez-vous ? »

Et il raccroche.

* * *

Le voyage officiel du Président de la République française en Iran, du 16 au 20 octobre 1963, est l’occasion de manifestations nombreuses, enthousiastes et… harassantes.

Au lendemain de la réception du Président par les deux assemblées réunies et par l’Institut franco-iranien, l’une et l’autre fort riches en allocutions et discours fleuris, le protocole a programmé une visite du grand sud, au pas de chasseur.

Ce 18 octobre, donc, levés à cinq heures du matin, de Gaulle, le chah et les personnalités qui les accompagnent (au nombre desquelles figure Édouard Sablier, directeur de l’actualité de la R.T.F.) prennent la route en direction de Persépolis avec, en chemin, arrêts commentés à Ispahan et Chiraz.

Il fait une chaleur épouvantable. Tout le monde transpire à grosses gouttes…

À chaque ville ou village traversé, la foule assiège le cortège officiel, au grand agacement du chah mais pour le plus grand plaisir du Général qui aime bien les « bains de foule » et n’hésite pas à descendre de voiture pour aller serrer des mains.

À Persépolis où l’on arrive enfin, vers 14 heures — et l’estomac dans les talons —, le Conservateur en chef accueille ses illustres hôtes dans la grande salle du musée et se lance dans un grand discours qui, à vue de nez, remplit bien les cinquante feuillets qu’il tient dans la main :

« L’histoire de Persépolis, mon Général, commence il y a 7 000 ans… » (De Gaulle ne dit rien mais soupire… Si les 7 000 ans doivent défiler…) Un quart d’heure coule sur les auditeurs qui commencent à râcler des souliers… Et le conservateur continue… Il tourne un feuillet en s’humectant le pouce et l’index : « … Et, en 233 avant Jésus-Christ, Alexandre brûle Persépolis… »

Alors le Général l’interrompt et lance, d’une voix décidée :

« Bon. Allons voir ce qu’il en reste ! »

* * *

Ce voyage en Amérique du Sud, du 20 septembre au 16 octobre 1964 est, pour le chef de l’État, particulièrement éprouvant : le Venezuela, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie, le Chili, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, le Brésil…

À Buenos-Aires, entre deux réceptions et trois discours, on a prévu une « récréation » très couleur locale : dans la grande arène, les remarquables cavaliers que sont les gauchos, font se succéder les plus brillantes démonstrations : dressage de chevaux sauvages, prises au lasso de bétail au galop, acrobaties et haute voltige dans la poussière que soulèvent les sabots…

De Gaulle s’impatiente et souffle à son aide de camp :

« Allez, encore un cheval et on s’en va ! »

* * *

Le Président de la République reçoit, à l’Élysée, le 28 mai 1965, S.M.I Mohammed Reza Palhavi, chah d’Iran et l’impératrice Farah.

Mais le chah et sa suite sont en retard…

Sur le visage du Général, on devine les signes d’une impatience naissante…

Enfin les voilà ! Mais, avec eux, deux autres Iraniens qui n’étaient pas au programme : le gendre du chah et son ex-beau-frère, que le chah a amené avec lui avec la simplicité qui est dans les aimables coutumes du Proche-Orient : les amis de nos amis sont nos amis…

Le problème, au demeurant, est pour Mme de Gaulle, la maîtresse de maison…

On passe à table.

Au menu, il y a des pigeons. On en avait prévu vingt, mais nous voilà vingt-deux… Tout le monde a le sien, sauf le « chef », en cuisine, — le premier sacrifié — et le maître de maison, le Général, dont l’assiette reste vide.

Silence… Personne n’ose « attaquer »…

Alors la voix du Général s’élève, comiquement plaintive :

« Mais qu’on me donne au moins un bifteck ! Ça doit exister… »

* * *

Le Général de Gaulle, en voyage en Russie, visite à Kiev, le 29 juin 1966, l’exposition permanente des réalisations économiques ukrainiennes.

C’est beau, c’est long, c’est fatiguant…

De Gaulle s’arrête un moment devant un bas-relief représentant les races du globe. L’interprète se précipite :

« Ici figurent, mon Général, tous les peuples du monde. C’est une fresque admirable ! Les Slaves, les Germains, les Africains, les Polynésiens !… Ici, il y a les Chinois, et plus loin…

— Bon, coupe de Gaulle, puisque tout le monde est là, on peut s’en aller. »

LA PROVOCATION

On sait avec quelle vigilante opiniâtreté Charles de Gaulle affirmait et défendait la seule souveraineté française sur nos possessions d’outre-mer.

Ce n’était point toujours tâche aisée car les Alliés, qui tenaient pour dérisoires les forces dont disposait le Chef de la France Libre, prétendaient en toute occasion s’y établir, au nom de la sécurité et de l’efficacité tactique, — mais non, parfois, sans arrière-pensées. On l’avait vu en Syrie et au Liban, à l’occasion de l’armistice de Saint-Jean-d’Acre, conclu le 14 juillet 1941 entre les autorités vichystes et les britanniques, et qui, jusqu’à ce que de Gaulle en exigeât et en obtînt la révision des clauses, faisait passer le Levant sous contrôle anglais ; on l’avait vu à l’occasion du ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon lorsque les Américains avaient tenté d’y imposer une administration alliée ; on le voyait encore, ce 5 mai 1942, à Madagascar, où les forces britanniques débarquaient tout soudainement et n’en informaient de Gaulle que treize heures plus tard.