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Tant et si bien que les affrontements musclés entre de Gaulle et Anthony Eden, Ministre des Affaires Étrangères, se faisaient de plus en plus fréquents.

Éden admirait de Gaulle, mais les « coups de gueule » du Chef de la France Libre, chaque fois que l’ombre d’une mainmise planait sur la souveraineté française, où que ce fût, l’avaient amené à prendre ses distances.

Winston Churchill, cependant, — et bien qu’il affirmât, à qui voulait l’entendre, que « de toutes les croix qu’il avait portées, la plus lourde était la croix de Lorraine », — Winston Churchill pressait son ministre de renouer le contact, et Eden s’y était résigné.

Sur ces entrefaites, de Gaulle tombe malade.

Les médecins anglais, mandés à son chevet, constatent qu’il est fiévreux, affaibli, mal en point, mais ne réussissent pas à diagnostiquer la maladie. Au Cabinet du Général, on se souvient alors que le Docteur André Lischwitz, célébrissime à Paris et engagé dans la France Libre, réside temporairement à Londres, et on le fait appeler.

« C’est une crise de paludisme », déclare André Lischwitz.

Il le soigne en conséquence, et de Gaulle se rétablit.

Une convalescence au calme serait néanmoins nécessaire, et Lischwitz la prescrit.

De Gaulle refuse.

« En tant qu’officier, je suis à vos ordres, dit Lischwitz, mais en tant que malade vous êtes aux miens.

— Non ! »

L’entourage du Général insiste. On a d’ailleurs loué pour lui une villa tranquille à Winstonhouse, dans le Kent. Il s’y rétablirait vite… Et comme de Gaulle persiste dans son refus, on lui en demande la raison, qu’il finit par donner :

« Si je quittais Londres maintenant, je ne pourrais pas, tous les jours, refuser de recevoir Eden. »

* * *

Après l’Égypte et l’Iran, le Président du gouvernement provisoire fait étape à Stalingrad, le 30 novembre 1944, et visite les ruines pathétiques de la ville qui fut le théâtre d’une effroyable bataille.

À Molotov, Ministre des affaires étrangères d’U.R.S.S., qui lui demande ses impressions, de Gaulle répond, songeur :

« Quel grand peuple ! Quelle armée !…

— N’est-ce pas ? s’exclame Molotov, en se rengorgeant. Notre grand peuple soviétique qui… »

De Gaulle l’interrompt, d’une voix douce :

« Je parlais des Allemands… Ils sont arrivés jusqu’ici ! »

* * *

Fidèle parmi les fidèles, Edmond Michelet se serait fait hacher menu pour de Gaulle. Pour autant, il ne se privait point de donner, sur les choses, les gens et les circonstances, un point de vue qui n’était pas nécessairement celui du Général. Mais de Gaulle, qui avait pour lui la plus grande admiration et la plus profonde amitié, s’en amusait secrètement car il savait mieux que personne comment se terminerait la discussion… Ce jour-là, justement, le désaccord était patent :

« Eh bien c’est entendu, mon Général, je ferai ce que vous me demandez. Mais, de vous à moi, je renonce à comprendre !

— C’est ça, Michelet, renoncez, renoncez. Ça nous fera gagner du temps à tous les deux. »

* * *

Le R.P.F. est lancé, et bien lancé.

À Marseille, le Rassemblement doit tenir son premier congrès, du 16 au 18 avril 1948, et de Gaulle, bien entendu, le présidera.

À Claude Mauriac, il confie, le 13 avril :

« J’ai trois discours à faire, à Marseille, et je n’ai pas commencé à les écrire… J’écris de plus en plus difficilement, et cela pour trois raisons. La première, parce que je ne suis plus porté par les événements. Ensuite parce que je vieillis, — mais si, mais si, ne protestez pas ! Enfin et surtout parce que je dois répéter toujours les mêmes choses et ça, si vous saviez combien ça me rase !… »

* * *

Le mois de mai de l’année 1959 voit défiler, à l’Élysée, les premiers ministres, présidents d’assemblées ou chefs de partis des anciennes possessions françaises d’Afrique, déjà largement émancipées, mais que de Gaulle entend conduire à l’indépendance de façon réfléchie et pacifique.

Le 4, c’est au tour de Fulbert Youlou, premier ministre du Congo, que le Président de Gaulle retient à dîner.

L’abbé Fulbert Youlou est un personnage tout à fait étonnant et quelque peu équivoque… Son état ecclésiastique ne l’empêche apparemment pas d’apprécier la compagnie des dames, ce qui n’est pas en soi blâmable, mais les mauvaises langues (ou les gens informés) vont nettement plus loin, ce qui est fâcheux…

Quoi qu’il en soit, le dîner se déroule sans encombre et, avec le café, on se lève pour deviser dans le grand salon, tasse à la main.

Jacques Chaban-Delmas observe de loin que de Gaulle et Fulbert Youlou se font face au centre de la pièce, de part et d’autre d’un guéridon, et semblent n’avoir plus rien à se dire… Ils sirotent leur café, regardent autour d’eux, hochent la tête d’un air entendu…

Soudain, de Gaulle avise Chaban et lui fait signe de s’approcher, — une sorte d’appel au secours. Mais le silence à deux devient un silence à trois, et Chaban cherche déjà le moyen de le rompre lorsque l’abbé-président Fulbert Youlou lance, tout à trac :

« Je viens de m’aviser, mon Général, que je ne vous avais jamais entendu en confession.

— Moi non plus, monsieur l’abbé. »

* * *

On sait que de Gaulle faisait grief au Général Juin, son ancien camarade de Saint-Cyr, de ne pas avoir rejoint la France Libre dès son retour de captivité et d’avoir quelque peu hanté les antichambres de Vichy. Et bien que Juin, par la suite, eût mis les bouchées doubles, notamment en Italie, où ses victoires auréolaient l’armée française, de Gaulle, de temps en temps, laissait percer la vieille amertume…

Si l’on ne peut tenir pour authentique ce mot féroce alors que, devant lui, on évoquait le vainqueur du Garigliano (« Juin ? aurait-il dit. De quelle année ? »), en revanche l’un de ses proches l’entendit annoncer la dédicace qu’il se promettait d’apposer au revers d’une photo de lui, de Gaulle, que Juin lui avait fait parvenir.

« J’ai trouvé ! s’était-il exclamé. Je vais écrire : Au Général Juin qui sut saisir la victoire lorsqu’elle volait vers lui. Affectueusement. »

Et il avait ajouté :

« Comme ça, je suis sûr qu’il ne la mettra pas sur son piano. »

* * *

Entre Charles de Gaulle et John Fitzgerald Kennedy, le courant passait, c’est bien connu. Aussi le premier voyage officiel en France du Président des États-Unis, du 31 mai au 2 juin 1961, donnerait lieu à des entretiens fructueux, empreints d’estime mutuelle et d’amitié, et le protocole, pour sa part, recevrait instruction de mettre les petits plats dans les grands.

Ce pourquoi figurait au programme un dîner de gala dans la galerie des glaces du château de Versailles, fastes du Grand Siècle à la clé.

Le Général, comme il se doit, avait Mme Kennedy à sa droite.