Выбрать главу

Alors qu’ils descendent le perron du Q.G., une « traction avant » Citroën s’immobilise, la portière s’ouvre, et le Général se déplie de toute sa hauteur.

Clostermann et Remlinger se figent dans un garde-à-vous marmoréen, de Gaulle répond à leur salut, monte trois marches, s’arrête, et se retourne :

« Messieurs les aspirants, où avez-vous laissé votre cheval ?… À moins que vous n’alliez à la pêche ?… (Ses sourcils se froncent.) Allez ôter ces déguisements, je vous prie. Vous vous croyez au cirque ? »

(Quelques années plus tard, l’as des as Pierre Clostermann, titulaire de 33 victoires aériennes dans les rangs de la R.A.F., Compagnon de la Libération, Grand officier de la Légion d’honneur, ferait une entrée fracassante en littérature avec un inoubliable chef-d’œuvre : « Le grand cirque. »)

* * *

En 1941, nous relate le Général Pierre Billotte, alors attaché au Cabinet du Général, un chalutier venant de France débarque, à Portsmouth, un capitaine de corvette, une doctoresse et un Général, que nous appellerons charitablement X. Or ce Général est très petit, tout petit, minuscule…

De toute sa hauteur, de Gaulle le toise avec étonnement et embarras… Que va-t-on bien pouvoir en faire ?… Dans une unité, il ferait rigoler tout le monde. À l’État-Major, personne ne le prendra davantage au sérieux…

« Nommez-le donc inspecteur des monuments et des tombes, confie de Gaulle à son aide de camp. Ça l’occupera et il ne pourra faire de mal à personne. »

Mais, à l’usage, le petit Général se révèle, non seulement ridicule, mais, de surcroît, intempestif, gaffeur et, pour tout dire, résolument barjo… Il faut lui trouver une fonction encore moins voyante.

Le Chef d’État-major, après avis du psychiatre, propose de l’héberger dans une maison de repos et, de préférence, assez loin de Londres.

De Gaulle, que le comportement du petit Général a agacé prodigieusement, approuve et ajoute :

« Assurez-vous que votre maison de repos comporte un jardin d’enfants, avec un beau tas de sable pour faire des petits pâtés. C’est de sa taille, sinon de son âge. »

* * *

Un accord criminel entre Darlan et Hitler, signé le 12 mai 1941, livrait la Syrie aux Allemands où, depuis février, la mission Von Hintiz et Roser préparait l’occupation nazie.

Le 7 juin, alors que les Junkers 52 déversaient des unités ennemies à Damas, les forces franco-britanniques, venant de Palestine et de Jordanie, pénétraient en Syrie et au Liban.

Le 21 juin, la 1ère Division française libre entrait à Damas.

Le 23, de Gaulle y arrivait aussi.

Cette inutile, sanglante et douloureuse bataille avait opposé les forces françaises libres et celles de Vichy, et la blessure serait longue à cicatriser.

Au quartier général de De Gaulle, rares furent les combattants vichystes à se présenter, l’immense majorité choisissant de rentrer en France, « pour continuer l’humiliation », ainsi que l’exprime amèrement François Coulet, chef de Cabinet du Général.

De Gaulle recevrait pourtant, parmi quelques autres, la visite d’un colonel de l’Infanterie coloniale qui avait été son camarade à Saint-Cyr et qu’à ce titre il tutoyait.

« Tu comprends, disait le colonel, ici nous n’étions pas informés. Tous les journaux mentent. Quant à la radio de Londres, pourquoi croire, a priori, ce qu’elle raconte ?… »

De Gaulle s’était alors penché vers lui et il lui avait dit, d’une voix basse et terrible :

« À propos d’information, écoute ceci : de source sûre, je sais que les Allemands sont à Paris… »

* * *

Au plus fort de la mésentente entre Roosevelt et de Gaulle, en janvier 1943, le colonel Passy, chef des 2e et 3e Bureaux, s’annonce chez le Général pour lui donner connaissance d’un rapport qui vient de lui parvenir. Il en commence la lecture :

« La politique étrangère des États-Unis… »

De Gaulle l’interrompt aussitôt :

« La politique étrangère des États-Unis ? Je ne savais pas qu’ils en avaient une ! »

* * *

L’armée des ombres et celle du grand soleil se rejoignent à Paris le 24 août 1944 : F.F.I. et 2e D.B. se donnent la main…

Paris s’est libéré comme de Gaulle le voulait : par sa détermination et avec l’aide d’une unité française sous commandement français.

À la gare Montparnasse, le général von Choltitz, commandant la garnison allemande du Gross Paris, signe l’acte de capitulation. Le Général de Gaulle est là pour la recevoir. Le général Leclerc aussi. Le colonel Roi-Tanguy, commandant des F.F.I. de l’Île de France, également. Et, bien sûr, le Délégué militaire national : le général de brigade Jacques Chaban-Delmas.

Chaban, selon ses propres termes, est « déguisé : calot un peu trop grand, vareuse de lieutenant où les deux étoiles remplacent les galons, culotte de cheval de papa, leggins de tonton, chaussures de montagne… Il a 29 ans mais en paraît dix de moins…

De Gaulle ne l’a jamais vu et Leclerc le présente : « Mon Général, vous connaissez le général Chaban ? »

De Gaulle laisse tomber son regard sur Chaban… Long silence… Et, dans l’œil courroucé et le sourcil froncé, on voit poindre la fureur…

Il éclate :

« Comment ? Ils m’ont fait nommer ce gamin ? À ce poste ? Avec ce grade ?… »

Il se calme… Dans sa tête, sans doute, des images et des propos défilent… Alors il se détend, lui prend la main et la tient longtemps dans la sienne :

« C’est bien, Chaban. C’est très bien… »

* * *

Roosevelt, Churchill et Staline se rencontrent à Yalta, sur les bords de la mer Noire, le 4 février 1945. Ils vont se partager leurs « zones d’influence » réciproques dans une Europe bientôt pacifiée.

La France n’a pas été conviée à cette Conférence, et de Gaulle ne décolère pas. Il déverse son ire dans les oreilles de ses proches collaborateurs puis, soudain, il se calme et assène un grand coup de poing sur son bureau :

« Et puis je m’en fous ! Je les enterrerai tous les trois ! »

… Et c’est ce qu’il advint.

* * *

Décembre 1945. Réélu Président du gouvernement provisoire de la République, Charles de Gaulle doit faire face à tous les problèmes : la réorganisation des pouvoirs publics, la réforme de la Constitution, la situation en Indochine, la grogne du parti communiste, les rapports de forces en Allemagne occupée, la mise en place d’une assurance sociale obligatoire…

À Paul Ramadier, Ministre du Ravitaillement, qui lui a demandé audience, il lance, hargneux :

« Vous, j’en suis sûr, vous venez encore m’emmerder avec vos patates ! »

* * *

Janvier 1946.

À l’Assemblée nationale constituante, les députés malmènent en toute occasion le Général et sa politique.

Devant son entourage, il explose :

« Ils oublient que j’ai sauvé la maison !… Et même quelques meubles ! »

* * *

En ce printemps de 1946, de Gaulle s’installe à « La Boisserie » dont les travaux de remise en état sont terminés.

Il s’ennuie et rumine ses rancœurs à l’égard des « politichiens » et des « scribouillards » qui ne l’ont ni compris, ni soutenu, ni regretté.

La lecture des journaux qu’un chauffeur va, tous les matins, lui chercher à Bar-sur-Aube le gonfle souvent de colères froides et de sarcasmes acides :

« Tiens ! Ce canard organise un concours d’erreurs !… C’est impayable ! Comme s’il n’était pas lui-même un concours permanent d’erreurs ! »