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L’objectif était de prendre le pouls de l’armée — et pas seulement des officiers supérieurs ou généraux — et de mieux pénétrer le sentiment de ceux qui, sur le terrain, vivaient le plus près le drame algérien.

Je l’accompagnais partout, naturellement, avec un contingent de grands journalistes triés sur le volet.

Aux étapes, je passais un long moment avec le Général car mes fonctions m’amenaient à expliquer et commenter tous les soirs, auprès des représentants de la presse française et étrangère, ses discours, allocutions et propos. Mieux valait donc ne pas se tromper… À l’étape de Touggourt, et en tête-à-tête, je lui avais demandé où il en était de ses réflexions relativement à cette « Algérie française » que les « pieds-noirs » appelaient de tous leurs vœux. De sa réponse » j’extraie ceci :

« … Il y a ici 10 millions de Berbères et d’Arabes qui se multiplient comme des lapins. Alors, aujourd’hui, l’Algérie française, et, dans trente ans, la France algérienne… Mais, entre-temps, l’Algérie aura sucé comme du petit lait nos forces, nos ressources, nos économies et nos énergies pour tenter de se hausser, et bien légitimement, jusqu’à notre propre niveau de vie… Ont-ils pensé à cela ? Non ! Ils ne voient pas plus loin que le sommet de ce djebel !… »

Dans un douar, que nous traversions, l’une des personnalités qui accompagnaient de Gaulle m’avait rapporté que les habitants étaient sortis de leurs gourbis en pisé et tôle ondulée pour applaudir « di Gaulle » — en haillons, pour la plupart, dépenaillés, pieds nus… Et un sergent-chef avait lancé fièrement au Général : « Et tous Français, mon Général ! »

De Gaulle l’avait toisé et avait rétorqué, sèchement :

« Tous Français ? Eh bien, commencez donc par les habiller ! »

* * *

En ce début janvier 1960, de Gaulle se décide à prendre un peu de repos à l’hôtel de l’Abbaye de la Celle, près de Brignoles, dans le Var.

Sur la route qui l’y conduit, son aide de camp, François Flohic, a ménagé une pause pique-nique dans les collines boisées qui dominent Tournus, et le général et Mme de Gaulle peuvent enfin se dégourdir les jambes à l’abri des regards indiscrets.

Tout en cheminant sous les ombrages, de Gaulle confie à Mme Flohic combien l’agace la pression constante des journalistes et des photographes :

« … Je ne peux même pas me rendre compte par moi-même du prix des carottes : je suis obligé de le demander à ma femme… »

(Ce qu’il ignore encore, c’est qu’un photographe, juché dans un arbre, a réussi à fixer la scène au téléobjectif… La photo paraîtra avec cette légende : « Le général de Gaulle se promenant dans le parc de La Boisserie en compagnie de sa fille Élisabeth. »

* * *

Le lendemain de l’insurrection dont les Généraux Salan, Jouhaud, Zeller et Challe ont, le 22 avril 1961, pris la tête à Alger, des renseignements convergent vers l’Élysée et annoncent que des unités rebelles de l’armée seront parachutées sur Paris dans la nuit du 23 au 24 avril.

Aussitôt, branle-bas de combat ! À la radio, André Malraux appelle à la résistance le peuple de Paris. Les commandants militaires de Matignon et de l’Élysée mettent leurs effectifs en alerte rouge. Des chars prennent position autour du Palais Bourbon et, dans la cour du ministère de l’Intérieur, qui jouxte l’Élysée, des volontaires affluent dans un ballet bruyant de véhicules militaires et civils.

De Gaulle, qui n’a pas cru une seconde à la détermination ni aux capacités des insurgés (« Ce sont des militaires, ils vont s’empêtrer… »), convoque le lendemain matin Roger Frey, ministre de l’Intérieur, et l’apostrophe sévèrement :

« Voudriez-vous m’expliquer les raisons de ce tumulte grotesque que vous organisâtes sous mes fenêtres ?… »

Un peu plus tard, il l’interrogera, — angélique et sarcastique :

« À votre avis, monsieur le Ministre de l’Intérieur, dois-je quitter l’Élysée tout de suite ? Ou bien seulement lorsque messieurs les parachutistes en franchiront les grilles ?… »

Dans la soirée, il confiera à André Valabrègue, Vice-Président du Sénat :

« Savez-vous ce qui est grave, dans cette affaire ?… C’est que ce n’est pas sérieux. »

Et à Léon Noël :

« Le seul danger, voyez-vous, pouvait venir de ce qu’ils sont bornés. »

* * *

À quelques exceptions près, de Gaulle se méfiait des journalistes, et la vérité oblige à dire que, dans l’ensemble, ils ne l’avaient guère ménagé…

À son chef de Cabinet qui lui disait :

« Votre conférence de presse d’hier a eu d’excellents échos, même dans la presse d’opposition… » il avait lancé, hargneux :

« La presse d’opposition ! Parce que vous en connaissez une autre, vous ?… »

* * *

À la fin juin 1961, le putsch des généraux écrasé et la nation pacifiée, de Gaulle va prendre, à Colombey, un peu de repos mérité.

« Je suis vidé, avoue-t-il au capitaine de vaisseau Flohic, son aide de camp. C’est la deuxième fois de ma vie que je ressens une telle fatigue… »

— Et elle est visible ! » reconnaît Flohic.

… Tellement visible même que Gaston Monnerville, Président du Sénat et, à ce titre, chef de l’État par intérim en cas de malheur, rassure à tous les échos ses amis et ses affidés :

« Si de Gaulle disparaît, je suis là. »

Le Général s’en irrite énormément :

« Il m’agace, ce Monnerville ! Il pourrait au moins attendre le faire-part !… »

* * *

Un visiteur vient de sortir du bureau du Général. Olivier Guichard lui succède et, du premier coup d’œil, il comprend, à voir l’air sombre du Président, que l’entretien n’a pas dû bien se passer. Et de Gaulle poursuit, à voix haute, un monologue intérieur :

… « Eh oui, c’est difficile… Je n’aime pas les béni oui-oui, et, d’un autre côté, j’ai horreur qu’on me tienne tête… »

* * *

Dans les derniers jours du mois d’août 1961, les négociations engagées, à Évian, avec les représentants du F.L.N., butent sur un obstacle de taille : les Algériens revendiquent aussi une souveraineté sans partage sur le Sahara, — désert stérile que ne valorise que le pétrole, découvert et exploité par les Français, et dont de Gaulle espérait faire une sorte de condominium franco-maghrébin.

Il en est d’autant plus amer que toutes les initiatives pacifiques, libérales et généreuses viennent de lui : la fin des combats, l’autodétermination qui doit conduire à l’indépendance, l’aide économique…

Au Conseil des Ministres du 30 août, il exprime sa déception :

« … Cela ne les intéresse pas, du moment que ça vient de la France. Ils me font penser à ces tableaux des Primitifs où l’on voit les démons entraîner les réprouvés vers l’enfer. Or, les damnés ne font pas grise mine au diable : c’est aux anges qu’ils montrent le poing !… Eh bien, que le diable les emporte ! »

Mais un accord semble hors de vue, et le Général, lors du Conseil du 26 octobre, affirme sa propre détermination. Il annonce à ses ministres :

« Messieurs, accrochez-vous au mât, parce que ça va tanguer ! »

* * *

De Gaulle n’aimait pas que la presse s’occupât de sa santé. Lors de son opération, il avait été très choqué, nous dit Pierre Galante, par les détails chirurgicaux dont abondaient les journaux, en particulier par les croquis techniques.