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Et il s’était emporté :

« Il ne s’agit tout de même pas de la prostate de l’État, que je sache ! »

* * *

Pour le second tour de l’élection présidentielle, tous les conseillers se sont mobilisés : Alain Peyrefitte, ministre de l’Information, Michel Debré, Georges Pompidou, Étienne Burin des Roziers, Gilbert Pérol, aussi, chargé du Service de presse à l’Élysée, et qui conseille, plutôt que les monologues, des entretiens avec Michel Droit.

Et les Français découvrent, avec stupeur et ravissement, un de Gaulle insoupçonné : sarcastique, malicieux, retors, acide, familier…

Seul le Général n’est pas satisfait :

« Vous m’avez fait mettre en pyjama devant les Français », reproche-t-il à Galichon, son directeur de Cabinet.

* * *

À la veille d’un voyage présidentiel en Bretagne, Jacques Narbonne, chargé de mission au Cabinet du Général, vient lui remettre un épais dossier sur la région : géographie, économie, populations, traditions…

De Gaulle s’emporte :

« Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de tout ça ? Je ne vais pas voir les Bretons pour leur parler de la Bretagne ! Je vais voir les Bretons pour leur parler de la France ! »

* * *

Le Général supportait mal les prétentions à la gloire partagée de celles qu’il avait appelées un jour « les veuves abusives. »

Claude Dulong nous remet en mémoire cet incisif dialogue avec un membre de son Cabinet :

« … Et de quoi se mêle-t-elle ? grognait le Général. Pour qu’elle soit veuve de guerre, encore faudrait-il que son mari ait fait la guerre ! Or je peux vous assurer qu’il ne l’a pas faite !

— Bon, d’accord pour celle-là. Mais le mari de Mme Un Tel, il s’est vraiment battu, lui ?

— Ah pour ça oui !… Il s’est battu contre moi… »

Et d’une autre, il avait dit :

« La dinde !… Ce n’est tout de même pas elle qui a franchi le Rhin ! »

* * *

Le 5 décembre 1965, de Gaulle, qui sollicitait un second mandat présidentiel, ne recueille que 44,64 % des suffrages exprimés et il est mis en ballottage.

Dans le cercle de ses proches, il laisse éclater sa rogne et sa grogne — et bien qu’il soit déjà tout à fait résolu à faire le contraire de ce qu’il annonce :

« Puisque les Français m’ont mis en ballottage avec une marque de dentifrice (allusion à Jean Lecanuet, dit “dents blanches”), un politicien intelligent mais douteux (allusion à François Mitterrand) et un hurluberlu (allusion à Marcel Barbu), il faut que je m’en aille ! »

* * *

En Conseil des Ministres, le 2 juin 1967, le Président de la République analyse longuement la situation au Proche-Orient où un conflit semble imminent entre Israël et les États arabes voisins. Il déclare solennellement que la France, quelles que soient ses sympathies, ne pourrait que désavouer celui qui tirerait le premier coup de feu, et il annonce qu’à compter du 5 juin, la France suspendra les livraisons d’armes à sept pays arabes et à Israël.

Le 5 juin, les forces armées israéliennes lancent, sans préavis, une attaque éclair contre l’armée égyptienne, dans le nord du Sinaï, en même temps que contre les forces syriennes et jordaniennes. Simultanément, les Israéliens, commandés par le Général Dayan, détruisent au sol l’aviation et les concentrations de chars égyptiens.

Auprès de l’un de ses intimes, de Gaulle ne dissimule pas son irritation :

« Quels idiots ! En cherchant bien, ils pouvaient sûrement trouver quelques Arabes pour tirer les premiers ! »

Le 10 juin au soir, un cessez-le-feu met fin à « la guerre des six jours », consacrant l’écrasante victoire des Israéliens qui occupent le Sinaï, la Cisjordanie, Jérusalem et Charm-el-Cheikh, au débouché du golfe d’Akaba.

Le 21 juin, devant le Conseil des Ministres, le Général condamne à la fois l’intervention américaine au Viêt-Nam et l’attaque israélienne du 5 juin, condamnation qu’il renouvelle lors de sa Conférence de presse du 27 novembre, en des termes qui surprennent et choquent l’opinion publique et la presse.

Quelques jours plus tard, à Colombey, Jean d’Escrienne, son aide de camp, prend la liberté de le lui faire observer :

« Bien des gens, mon Général, partagent l’indignation des journalistes. Ils ne comprennent pas… Après les persécutions qu’ont subies les Juifs, il n’y a pas si longtemps, Israël ne peut ressentir que comme un outrage et une injustice que vous l’ayez qualifié de « peuple dominateur » !…

— Je n’ai outragé personne. Quand on commente un texte ou un propos, sérieusement et honnêtement, on n’isole pas une phrase de son contexte, à plus forte raison un mot à l’intérieur d’une phrase, sans quoi on altère le sens général ou on fausse l’idée exprimée. J’ai dit, du peuple juif, non pas qu’il était « un peuple dominateur », mais qu’il était « un peuple d’élite, sûr de lui et dominateur. » Il y a tout de même une sérieuse nuance !… Et pour qui sait écouter ou lire, c’est même plutôt un compliment… »

Dans la soirée, le Général et son aide de camp font un « tour de parc »…

Le fond de l’air est frais, le ciel est gris… Ils s’arrêtent un instant pour regarder le doux vallonnement du paysage, la campagne engourdie dans le silence, la grande forêt gauloise posée là-bas, à l’horizon…

De Gaulle semble absorbé dans ses pensées, perdu dans ses rêves. Et d’Escrienne l’entend murmurer :

« Ah si seulement on pouvait en dire autant des Français… : peuple d’élite, sûr de lui et dominateur… »

Le surlendemain, le Général reçoit l’un de ses ministres, qui s’inquiète :

« Ne redoutez-vous pas, mon Général, une réaction très défavorable de l’opinion publique ?

— Est-ce que je me suis occupé de l’opinion publique le 18 juin 1940 ?… »

* * *

Mai 1968.

Faute de pouvoir, comme les générations précédentes, défouler dans « une bonne guerre » (et peut-on vraiment le regretter ?), les jeunes du moment, après avoir bien cherché, finissent par se trouver des cibles : papa-maman, cela va de soi, et, surtout, la remarquable prospérité que connaît la France. Ils partent donc en guerre contre l’« autorité » (celle des profs et celle des parents) et la « société de consommation », coupable de tous les maux.

La bourgeoisie et les intellectuels font stupidement chorus et, de leurs balcons dorés, applaudissent les agités. Quant aux syndicalistes, ils se saisissent de l’aubaine et se joignent aux « fils à papa » pour réclamer des augmentations.

De Gaulle s’en indigne auprès de son gendre, le général Alain de Boissieu :

« Que voulez-vous que je fasse de cette France qui s’aplatit, de cette vachardise ?… Que voulez-vous que je fasse au milieu des veaux ?… »

Vers la fin de l’année, par un refus brutal, qui surprend tout le monde, de dévaluer un franc malmené par les grèves et les accords de Grenelle, de Gaulle renverse la vapeur.

Mais à son chef d’état-major particulier, il confie : « Je ne pourrai pas éternellement me substituer à tout un peuple. »

Et la France, de nouveau, repart de l’avant, et aussi les plans de rénovation conçus par de Gaulle.

À un intime qui lui demande :

« Alors, mon Général, les grands projets de réforme ?

— Eh bien, nous les ferons !

— Y compris la participation ?

— Oui, je la ferai passer.