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« Ah ! » dit-il simplement, avec un flegme tout britannique. Puis, se tournant fièrement vers ses premiers et rares compagnons :

« Ma femme et mes enfants arrivent en renfort. »

* * *

Lors de la réception qui suit l’inspection, par le Général Sir Cory, des forces françaises, au camp d’Aldershot, ce 1er août 1940, une jeune femme, qui s’exprime dans un excellent français, s’approche du Général et lui pose cette question, fort sotte et saugrenue compte tenu des circonstances :

« Et comment va la France, Général ? »

De Gaulle ne se démonte pas :

« Très bien, madame. Elle nous enterrera tous. »

* * *

Le colonel Passy-Dewavrin, chef des 2e et 3e Bureaux du B.C.R.A., se souvient de ce déjeuner à l’hôtel Savoy, en novembre 1940, auquel l’ambassadeur Maurice Dejean avait convié le Général et Mme de Gaulle, le lieutenant de Courcel, chef du Cabinet, et lui-même.

À la fin de cet excellent repas, le « chef » français de l’hôtel tint à se présenter au Général pour lui dire sa joie et sa fierté de pouvoir le saluer.

« J’en ai autant à votre service, lui répondit le Général, car vous êtes un plus grand « Chef » que moi… »

* * *

À Londres, de Gaulle avait loué une chambre et un salon au dernier étage de l’hôtel Connaught.

André Gillois se souvient que son nouvel aide de camp, François Coulet, qui habitait aussi l’hôtel, avait mission de régler la note du Général chaque semaine. Ce que de Gaulle, à l’occasion, lui remettait en mémoire :

« Et, surtout, n’oubliez pas ! Il me déplairait fort d’être obligé de passer à quatre pattes devant la réception… »

* * *

De Gaulle regagne l’Angleterre, le dimanche 31 août 1941, au terme d’un long périple en Afrique noire, en Égypte et au Proche-Orient.

L’hydravion Catalina, dans lequel il voyage depuis Gibraltar et qui doit amerrir sur le plan d’eau de Poole, survole à basse altitude les bois et les pâtures du Devon et du Dorset.

De Gaulle jette un coup d’œil par le hublot :

« L’ennui de survoler ce pays, un dimanche, c’est qu’avec tous ces braves types de la Home Guard, qui brûlent d’en découdre et qui s’ennuient un peu en famille, on est bien fichus de recevoir du plomb dans les fesses… »

* * *

Fin 1941, la menace d’une invasion de la Grande-Bretagne pouvait être tenue pour écartée. On respirait.

Cependant, pour les Anglais, la phase suivante consistait à se doter d’un armement efficace et puissant, ce qu’ils ne détenaient pas encore, et les contingents alliés, qu’ils avaient accueillis sur leur sol, les trouvaient parfois un peu lents à s’organiser.

À Leeds, par exemple, où de Gaulle avait été invité à présider une cérémonie patriotique, deux bataillons féminins avaient défilé au pas, à la bonne cadence, martialement, mais sans armes.

De Gaulle, qui raillait un peu les inquiétudes de ses bons alliés, s’était penché vers son aide de camp, avec un faux air d’angoisse :

« Voilà qui est bien préoccupant !… J’espère que nous pourrons leur prêter des fusils pour défiler sur les Champs-Élysées… »

* * *

Churchill vient d’avoir, avec de Gaulle, un accrochage sévère qui a laissé le Premier ministre britannique au bord de l’apoplexie.

L’un de ses conseillers tente de le raisonner :

« Vous admettez cependant que c’est un grand homme ? »

Churchill s’étrangle de fureur :

« Un grand homme ? De Gaulle ? Lui, un grand homme ?… (Il se calme). Naturellement que c’est un grand homme ! »

* * *

À Londres, le Général de Gaulle a accoutumée de traiter, à l’hôtel Connaught, quelques fidèles, sédentaires ou de passage. Or l’un d’eux, qui figurait au nombre des habitués, n’a pas reçu depuis longtemps le carton d’invitation tant convoité. Raymond Offroy, qui est son ami, plaide en sa faveur auprès du Général.

« Je veux bien l’inviter de nouveau, répond le Général, mais sans sa femme.

— Pourquoi, mon Général ? Parce qu’elle est anglaise ?

— Mais non, voyons !… Il est vrai que vous n’étiez pas avec nous lorsque j’ai tenté de rallier Dakar à la France libre. Eh bien, à bord du « Westernland », cette dame était infirmière. Elle a couché avec tout le monde, sur ce bateau, sauf avec moi, Courcel, et, peut-être, le père d’Argenlieu. »

* * *

Winston Churchill, qui vient d’arriver à Marrakech ce 10 janvier 1944, paraît fort mal en point.

En tout cas, c’est ce qu’annonce au Général l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Alger, M. Duff Cooper.

De Gaulle décide alors qu’« un geste s’impose » et, sans attendre la date du 12, retenue pour les entretiens franco-britanniques, il se fait conduire au terrain de Boufarik et s’envole vers Marrakech.

En l’accueillant, Gabriel Puaux, haut-commissaire de France au Maroc, lui annonce :

« M. Churchill va de mieux en mieux. »

Bonne nouvelle !

De Gaulle invite Churchill à déjeuner.

La suite de l’histoire, le Général va la raconter, à son retour, à Louis Joxe, Secrétaire général du Comité français de la libération nationale :

« À la fin du repas, il me parut un peu las alors qu’il avait fait preuve, au début, d’une agressivité rassurante. Toujours est-il que je lui offris de passer nos troupes en revue, le lendemain matin, tout en restant bien assis, pendant le défilé, et sous un parasol. Cette perspective l’attira plus que je ne l’aurais cru. C’est un sentimental… Le lendemain il arriva à l’heure, revêtu d’une tenue d’amiral (il paraît qu’il y a droit). Les Français et les Marocains se comportèrent très bien, le public fut chaleureux et, ma foi, lui et moi nous sentions émus et satisfaits. À la fin du défilé, il m’adressa quelques phrases aimables. — On crie beaucoup « Vive de Gaulle », dit-il. — Ah ! Vous l’avez remarqué, lui ai-je répondu… »

* * *

Le Chef du gouvernement provisoire de la République française effectue son premier voyage officiel aux États-Unis du 5 au 12 juillet 1944. Il aura, avec le Président Roosevelt, plusieurs entretiens qui seront, bien souvent, des dialogues de sourds…

Le 8 juillet, il manifeste le désir de rendre visite au Général Pershing qui commanda, en 1917, le corps expéditionnaire américain et qui occupe un appartement privé au Walter Read Hospital de Washington.

Au cours de leur conversation, le vieux Général Pershing, qui en est resté à la guerre de 14, demande à de Gaulle :

« Et comment va le maréchal Pétain ?

— Ma foi, répond de Gaulle sans se démonter, voilà bien longtemps que je ne l’ai vu… »

* * *

Le général de brigade Charles de Gaulle quittait la France, le 17 juin 1940, avec, pour seul compagnon de voyage, le lieutenant Geoffroy de Courcel.

Quatre ans plus tard, le 25 août 1944, à 16 heures, il rentrait à Paris et s’installait aussitôt au ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique, qu’il avait occupé en 1940 comme Sous-secrétaire d’État à la Guerre. Et, cette fois encore, son compagnon de voyage était le directeur adjoint de son Cabinet : Geoffroy de Courcel.

En descendant de voiture, il se tourna vers lui :

« Et voilà, Courcel ! On a fait le tour. »

* * *

Le lendemain, Paris en liesse l’acclamait et faisait fête à ses libérateurs.

La descente à pied des Champs-Élysées, de l’Arc de Triomphe à la Concorde, le bain de foule rue de Rivoli, la messe à Notre-Dame, ponctuée des tirs des « desperados » qui venaient des toits… Rude journée !