En novembre 1958, Paul Delouvrier, représentant de la France auprès de la Communauté Européenne charbon-acier, est de retour d’Algérie où de Gaulle l’a prié d’aller s’informer et de lui faire rapport.
Le Général l’écoute et lui annonce, tout à trac :
« Vous remplacerez Salan comme Délégué Général en Algérie. »
Paul Delouvrier exprime des scrupules, tout à son honneur (et que démentira, d’ailleurs, un parcours exemplaire) :
« Je ne suis pas sûr d’être de taille… »
Et de Gaulle, péremptoire :
« Vous grandirez, Delouvrier, puisque, en Algérie, vous serez la France. »
Dans le bureau du Général, ce soir-là, de Gaulle et Gaston de Bonneval, son aide de camp, sont en tête-à-tête et font le point.
Faisant allusion à l’un des visiteurs de la journée, Bonneval rappelle :
« Alors que vous bavardiez avec André Malraux… » Le Général le coupe et, d’une voix douce, avec un petit sourire :
« On ne bavarde pas avec le Général de Gaulle : on s’entretient avec le Général de Gaulle. »
Dwight D. Eisenhower et Charles de Gaulle se retrouvent à Paris, le 3 septembre 1959, puis, le lendemain, à Rambouillet, pour un tour d’horizon général.
À l’issue des entretiens, de Gaulle convie ses hôtes à un dîner intime et, le repas achevé, ils devisent au coin du feu, évoquent des souvenirs…
De Gaulle : « Roosevelt pensait que je me prenais pour Jeanne d’Arc. Il avait tort. Je me prenais simplement pour le Général de Gaulle. »
À Dunkerque où il s’arrête, le 25 septembre 1959, le Général de Gaulle est reçu à l’Hôtel de Ville par les élus locaux et les corps constitués. On lui remet une médaille commémorant sa visite. Avec des excuses :
« Monsieur le Président de la République, Monsieur le Président de la Communauté, cette médaille n’était pas assez grande pour tous vos titres. Nous avons juste pu y graver : Au Général de Gaulle.
— De Gaulle, c’était bien suffisant. »
Le 5 février 1960, de Gaulle décide de se séparer de certains de ses ministres et Michel Debré, le Chef du Gouvernement, s’inquiète de leur avenir :
« Ne vous faites pas de soucis, Debré. Quand on a été ministre de De Gaulle, on trouve toujours à se recaser. »
Ce 17 janvier 1961, Houphouët-Boigny, ancien Ministre du Général de Gaulle et ancien Président de l’Entente, est reçu à l’Élysée. Le premier Président de l’État indépendant de Côte-d’Ivoire souhaiterait vivement que le Président de la République française lui fasse l’honneur d’une visite officielle, à Abidjan.
Il insiste…
« Non, Houphouët, mon emploi du temps ne me le permet pas… Et puis je l’ai déjà fait, votre voyage, souvenez-vous…
— Oui, mon Général, mais à cette époque-là vous n’étiez pas Chef de l’État.
— Qu’est-ce que vous me chantez là, Houphouët ! De Gaulle était alors bien plus que cela ! »
22 avril 1961. Paris apprend avec stupeur qu’une tentative de putsch militaire secoue Alger. Les Généraux Jouhaud, Challe et Zeller, que rejoindra le lendemain le Général Salan, ont pris la tête de l’insurrection.
À l’Élysée, il y a un peu d’affolement. Ministres et membres du Cabinet pressent le Général d’intervenir à la radio et à la télévision :
« Il faut d’urgence adresser un message à la nation, mon Général !
— J’en ai bien l’intention. Mais mon texte n’est pas prêt.
— La France ne peut pas attendre, mon Général !
— Messieurs… Ce n’est pas parce que la situation est grave que je dois faire un mauvais discours. »
De Gaulle visite Toulon le 15 août 1964 et, peu avant son arrivée dans la ville, la police découvre, dissimulée dans une jarre, une bombe qui devait exploser sur son passage.
À son retour à Paris, ses collaborateurs le pressent de modifier la Constitution afin que soit créée une vice-présidence qui inscrirait, dans la loi, la pérennité du gaullisme.
Philippe Alexandre a gardé en mémoire la réponse du Général :
« Un vice-président ? Qu’aurait-il à faire ? Attendre ma mort ?… »
L’élection du Président de la République au suffrage universel, fixée au 5 décembre 1965, mobilise les états-majors politiques. Adversaires et partisans du Général, candidat sortant, rivalisent d’activité. Mais de Gaulle l’annonce clairement à son entourage : pas de campagne électorale ! Et il l’explique :
« Les Français connaissent de Gaulle. Je laisse donc les réunions publiques aux candidats qui ont besoin de se faire connaître. »
Petit dialogue à la nuit tombée :
Pierre Billotte : « Je suis bien certain que votre successeur ne pourra, au mieux, qu’essuyer un demi-échec. »
De Gaulle : « Et pourquoi ne remporterait-il pas, au pire, un demi-succès ? »
Pierre Billotte : « N’est-ce pas la même chose ? »
De Gaulle : « Pas pour l’Histoire. »
À onze heures, le vendredi 25 avril 1969, le Président de Gaulle enregistre le dernier appel qu’il adressera à la nation et qui sera radiodiffusé le soir même, à 20 heures.
Mais il n’a plus l’ombre d’une illusion… À travers ce référendum dont, au reste, ils se soucient assez peu, les Français vont dire « non » à de Gaulle.
Il le sait.
Il l’accepte.
L’enregistrement terminé, on le lui fait écouter sur un récepteur de contrôle. Il ne fait aucune remarque, serre la main des techniciens, et quitte la salle des fêtes accompagné du colonel d’Escrienne, son aide de camp.
Son seul commentaire, dans l’ascenseur, qui le remonte à son bureau :
« Comme sortie, ça pourra aller… »
Le 27 avril 1969, le projet de loi référendaire sur la réforme du Sénat et des régions était repoussé par 52,41 % des suffrages exprimés.
La dernière pierre de l’édifice, pensé et voulu par Charles de Gaulle, ne serait pas posée…
Pour le Général, cette consultation était capitale, car seule une adhésion massive du peuple français à l’ensemble de son projet pour la France — et quel qu’en fût l’aspect particulier — pouvait lui permettre d’engager la grande avancée sociale de la participation.
Désavoué sur un problème relativement mineur, il devait constater que les partis avaient repris leur ascendant sur le corps électoral, et il ne pouvait plus espérer être suivi sur une réforme majeure.
Le lendemain 28 avril, il annonçait, dans un communiqué, qu’il cessait d’exercer ses fonctions de Président de la République et il regagnait Colombey, dont il ne sortirait plus…
Au cours de l’été qui suivit, il allait souvent analyser l’événement. À Jean d’Escrienne, son aide de camp, il confiait :
« Il n’y a que dans l’effort, dans la poursuite d’une noble tâche que les Français sont un grand peuple… Chacun va donc, maintenant, faire chauffer sa petite soupe, dans sa petite marmite, sur son petit feu et dans son petit coin, en s’imaginant vivre des jours tranquilles. Eh bien soit ! Mais que cela se fasse donc en dehors de moi ! »
Le 29 avril, à Michel Debré qui lui téléphonait à Colombey pour lui dire sa tristesse et son désarroi, il avait confié :