« La République n’a jamais cessé d’exister, lui répond de Gaulle. Je n’ai donc pas à la proclamer. »
De Gaulle était républicain. On le sait, et sa réponse à Bidault le confirme. Mais il y avait quelque mérite car ses parents, eux, étaient résolument monarchistes.
À Mme de Lauzac qui la complimentait sur la belle prestance et le sérieux de ses quatre fils, Mme de Gaulle mère avait répondu :
« Ils me font quand même beaucoup de peine. Pensez ! Ils sont tous républicains ! »
Ce qui va suivre n’est pas une histoire drôle… Tout au plus une drôle d’histoire qui aurait pu se terminer tragiquement…
Venant de Rocamadour et se rendant au château de Roumégouse, de Gaulle traverse le Lot en voiture, le 22 février 1950, en compagnie de son aide de camp et de Pierre Lefranc, à l’époque chargé de mission du Rassemblement pour le Centre.
Un passage à niveau fermé se présente, et le chauffeur, Paul Fontenil, immobilise son véhicule. Sur ce, la garde-barrière, appuyée sur sa manivelle, tourne la tête et reconnaît le Général… Elle estime qu’il serait discourtois et même indécent de retarder, dans son voyage, le Libérateur de la patrie et elle lève la barrière. Le chauffeur traverse les voies, en toute confiance, mais à peine la voiture a-t-elle, de l’autre côté, roulé quelques mètres qu’un rapide surgit et défile avec fracas dans le dos des occupants…
Dans la voiture, sueurs froides…
De Gaulle, flegmatiquement :
« Eh ben !… »
Comme quoi l’enfer peut être pavé des meilleures intentions du monde…
De Gaulle aimait les bêtes, cela on le sait.
Ce que l’on sait moins, c’est qu’il avait, à cet égard, des scrupules et des délicatesses inattendues.
Par exemple, ce déjeuner à La Boisserie, dont se souvient l’un de ses ministres…
Figurait, au menu, un poulet de la basse-cour des de Gaulle. Mais, dans l’assiette du Général, trônait un bifteck… À un invité qui semblait s’en étonner, il avait avoué :
« Je ne mange pas les animaux que je connais. »
Harold Macmillan, premier ministre de Grande-Bretagne, est en France ce 10 mars 1959.
En marge des entretiens officiels, le protocole a aménagé une réception à Rambouillet afin d’offrir, aux hôtes de la France, une verte détente et un bon bol d’air.
Après le repas, de Gaulle et Macmillan, dont on sait ce qui les rapproche et ce qui les divise, font quelques pas dans le parc…
On a beaucoup parlé, bien sûr, de l’Europe et du marché commun et de Gaulle confesse, avec un demi-sourire :
« Eh oui, cher ami, nous passons vous et moi, auprès de certains, pour d’impénitents conservateurs, mais je vais vous faire un aveu : je suis parfois visité par l’ange du bizarre… »
Il arrivait, au Général, d’avoir mal aux dents, comme tout le monde. Il se faisait alors conduire jusqu’au cabinet du Dr Poisson, boulevard Malesherbes, où son chauffeur l’attendait. C’était le cas, ce jour-là…
De Gaulle pénètre dans l’immeuble, prend l’ascenseur, s’arrête au bon palier et croise une cliente qui, elle, sortait de chez le dentiste. Le Général sonne et entre.
Deux minutes plus tard, nouveau coup de sonnette. La secrétaire-réceptionniste va ouvrir : c’est la cliente de tout à l’heure, toute pâle et la mine défaite :
« Je reviens, parce que ça ne va pas du tout. L’anesthésie de tout à l’heure, peut-être ?… »
La secrétaire s’inquiète :
« Que se passe-t-il, madame ?
— Je ne sais pas… J’ai comme des visions…
— Des visions ?
— Oui, des visions… Je viens de voir là, sur le palier, le Général de Gaulle… Alors vous vous rendez compte !… »
En Algérie, l’année 1960 est tumultueuse… Les pieds-noirs sont désorientés et violemment hostiles aux orientations du Général. Les musulmans doutent encore de ses bonnes intentions. La classe politique en France, est profondément divisée…
À Paris, les Chefs d’État-Major adjurent de Gaulle d’expliquer sa politique publiquement ; mais, pour de Gaulle, le moment n’en est pas venu :
« En politique, il y a aussi la surprise. Napoléon a décliné dès qu’il a cessé de dérouter. »
Le 8 septembre 1961, non loin de Pont-sur-Seine, sur la route de Colombey-les-deux-Eglises, de Gaulle échappe de peu à un attentat monté par l’O.A.S.
Il descend de voiture, complimente François Maroux, son chauffeur, et renifle l’air ambiant :
« Il sent mauvais, leur plastic !… Ils devraient bien le parfumer à la lavande. »
La mort — en tout cas la sienne —, de Gaulle ne l’imaginait qu’à la mesure de son destin : apocalyptique, foudroyante, sauvage… Un champ de bataille, un attentat, un accident…
Visitant un cimetière militaire en compagnie de son ministre des Anciens Combattants, il avait soupiré : « Et dire que je mourrai peut-être dans mon lit ! Vous imaginez cela, vous, Sainteny ?
Roger Stéphane a gardé un vif souvenir de ce dîner à l’Élysée — c’était en 1963 — qui réunissait, autour du Président, Pierre et Hélène Lazareff, Joseph Kessel, élu l’avant-veille à l’Académie française, son épouse et d’autres commensaux de qualité.
Les conversations allaient bon train lorsque, dans l’un de ces silences subits qui font dire « un ange passe », la voix du Général porta, haut et clair, jusqu’à Roger Stéphane :
« Je ne les connais pas personnellement, mais j’ai pour eux beaucoup d’admiration… »
De quelles hautes personnalités s’agissait-il ?… Roger Stéphane était curieux de le savoir…
« Les Beatles » dit le Général.
En cet été 1963, tout est redevenu calme, tranquille…
Plus de conflits, pas de grèves, aucune vague… À l’Assemblée nationale, une confortable majorité assure la stabilité du pouvoir.
Emmanuel d’Astier de la Vigerie rencontre le Président de Gaulle :
« Comment ça va ? » lui demande-t-il.
« Ça ne va pas mal, mais il ne se passe rien… C’est un peu ennuyeux. »
Le cortège officiel a fait halte à Noisiel, en Seine-et-Marne, ce 19 juin 1965, et le maire, entouré de son conseil, est venu saluer le Général.
À la fin des discours, on lui ménage un entretien avec le président, et la circonstance lui paraît propice pour exposer qu’il a huit cents personnes « sur les bras » depuis que la chocolaterie Meunier a fermé ses portes.
« Ah bon, dit le Général. Je note cela sur mes tablettes. »
Un chef d’État sud-américain rend visite au Président de la République française et, à la fin de l’entretien, il exprime le vœu d’assister, le lendemain dimanche, à une messe basse à Notre-Dame.
Accordé.
Contact est pris avec Mgr. Marty, qui officiera.
À l’instant de la communion, le Chef d’État sud-américain et sa suite se lèvent pour recevoir l’hostie consacrée et Mme de Gaulle s’apprête à les suivre. Mais le Général l’arrête, d’un geste, et la prie de bien vouloir demeurer à sa place.
À la fin de l’office, Mgr. Marty s’étonne que le Général et madame de Gaulle n’aient pas communié, comme ils ont accoutumée de le faire.
« Ici, Monseigneur, lui répond le Général, j’étais la France. Et la France est un État laïque. »