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Le Général fait les présentations :

« Voici ma fille Elisabeth… Mais je vous prie d’excuser l’absence de mon fils, qui est en mer. » (Il se tourne vers sa fille Anne dont on sait qu’elle est, hélas, handicapée mentale, et il a pour elle cette phrase qui sonne comme un superbe et fier défi) :

« Et voici Anne… C’est aussi une de Gaulle ! »

Lorsque Anne mourut, le 6 février 1948, à la fin de la cérémonie, le Général se tourna vers Mme de Gaulle : « Maintenant, elle est comme les autres. »

* * *

Gaston Bonheur a consigné, avec le talent qu’on lui connaît, cette savoureuse anecdote qui a pour cadre ce village où de Gaulle s’arrête, le 14 juin 1944, à peine débarqué de La Combattante. — « C’est la fête, malgré les ruines. S’il reste une fenêtre, elle arbore un drapeau, s’il reste une porte, une grand-mère tend les bras, s’il reste une cloche, elle sonne à toute volée. Et, faisant escorte à la jeep qui roule doucement entre les trous d’obus, les écoliers aux voix fausses chantent la Marseillaise et font claquer au pas leurs semelles de bois.

Soudain, au bruit d’un galop, de Gaulle se retourne, étonné d’entendre un cheval dans cette guerre mécanique. C’est un lourd percheron de labour qui fait feu des quatre fers sur les derniers pavés. Il est monté, sans selle ni étriers, par un grand et gros curé de campagne, — tout rouge d’une colère sacrée — qui, parvenu à la hauteur de De Gaulle, se laisse glisser à bas.

— « Ah vous voilà ! (l’indignation l’étouffe mais il se met au garde-à-vous.) Mon général ! J’ai écouté votre appel du 18 juin, j’ai aidé les patriotes, j’ai recueilli des parachutistes, j’ai été en liaison avec le maquis, et vous êtes passé à côté de mon village sans même vous arrêter pour me serrer la main ! Ah, bien ! si j’avais su que ça se passerait comme ça !… »

Le Général a du mal à ne pas rire. Il descend de sa jeep et, prenant le bon curé dans ses bras, lui dit :

« Monsieur le curé, je ne vous serre pas la main, je vous embrasse ! »

* * *

À deux mois des élections législatives du 17 juin 1951, je demande audience au Général de Gaulle, qui me l’accorde aussitôt car il ne refuse pas grand-chose aux Chargés de mission du R.P.F. qui cohabitent avec lui, 5, rue de Solférino.

« Alors, Ragueneau, ça se présente bien, ce voyage que je dois faire dans votre région ?

— Très bien, mon Général. Mais ce qui m’amène, c’est autre chose… On me presse d’être candidat aux législatives, en Loire-Atlantique. Qu’est-ce que je réponds ?… »

De Gaulle réfléchit un moment, puis secoue la tête :

« Je ne vous le conseille pas, Ragueneau… La politique ?… Je vous connais… Vous ne seriez pas heureux. »

En conséquence de quoi, je n’ai pas été député. Et j’ai vécu très heureux.

* * *

Le 12 avril 1959, le Général de Gaulle reçoit à déjeuner la reine mère d’Angleterre.

Depuis quelques jours, c’est un nouvel intendant qui préside à la bonne ordonnance des repas officiels, et, à l’heure dite, ce bon M. Lefèvre, très ému, s’avance jusqu’au milieu du salon des Ambassadeurs où le Général, Mme de Gaulle et la reine mère devisent, un verre de muscat à la main, et il annonce, d’une voix de stentor :

« Monsieur le Président de la République est… »

Il s’étrangle d’émotion et reprend tout depuis le début :

« Monsieur le Président de la République est… »

Sa voix s’éraille, il devient écarlate, perd pied et lance subitement et d’une traite :

« Monsieur le Président de la République est élu ! »

Surprise générale, stupeur, fou rires discrets…

On passe à table.

Le lendemain, Lefèvre apporte sa démission à Pierre Lefranc, qui le calme et lui promet d’intercéder en sa faveur auprès du Général. Ce qu’il fait.

« Bah, dit de Gaulle, il aurait pu faire bien pire… Renverser la saucière dans le cou de la reine mère, par exemple… Ou bien annoncer : « Sa Majesté la reine mère est élue ! » — Ça nous aurait fait un bel incident diplomatique !… »

* * *

Au cours de son périple en Alsace, de Gaulle s’arrête à Wittelsheim, le 20 novembre 1959.

Il descend de voiture, salue les notables, serre des mains, et voici que, venant vers lui, une fillette lui offre une belle poupée, vêtue en alsacienne, nommée Odile, comme la sainte patronne de l’Alsace.

De Gaulle sourit et embrasse la gamine :

« Tu es gentille, merci. Je vais jouer avec. »

* * *

Conseiller, au Cabinet du Président de la République, pour les affaires politiques et de l’information, Pierre Lefranc, à l’issue d’une réunion, présente une requête :

« Je voudrais, mon Général, vous parler de Pierre M…

— Pierre M… ?

— Oui, Pierre M… Il a dirigé un important réseau de la Résistance et il a rejoint la France Libre en 1942. C’est un type très bien.

— Bon. Et alors ? Qu’est-ce qu’il me veut ?

— Un poste de conseiller à l’Ambassade d’Angleterre se trouve vacant et il a toutes les qualifications requises.

— Ça n’est pas mon affaire, c’est au ministre de décider.

— Mon Général, le ministre, je l’ai vu. Il est tout à fait d’accord mais il souhaite, simplement, avoir votre opinion.

— Je n’ai pas d’opinion. Si votre Pierre M… est le meilleur, qu’il le nomme ; sinon, qu’il en nomme un autre. Et, surtout, ne dites pas au Ministre que je souhaite quoi que ce soit !

— Bien, mon Général.

— Et ne m’en reparlez plus !

— Bien, mon Général.

Quelques jours plus tard :

« Et alors, Lefranc, votre copain Pierre M…, où en est sa nomination ? »

* * *

Le duc de Luynes, qui possédait en Argentine un important élevage, avait fait don au Général d’un superbe poney. « Il sera pour vos petits-fils, mon Général. »

Comme les pelouses de l’Élysée ne sont guère faites pour l’élevage, de Gaulle confia le poney à son gendre, le Général Alain de Boissieu, et celui-ci fit héberger la bête à Coëtquidan.

Mais, dans le haras, le poney, qui était entier, allait bientôt faire régner le stupre et la débauche… D’un robuste tempérament, il semait la joie et la panique parmi les pouliches, ce qui n’était pas prévu au programme de la direction.

Un dimanche, déjeunant avec le Général, Alain de Boissieu relata les frasques de son protégé et conclut : « On n’a pas le choix : il va falloir le castrer.

— Quoi ? s’exclama le Général. Mutiler ce poney ? Il n’en est pas question ! »

On trouva donc, pour le poney, une pension moins collet-monté où il vécut heureux et eut beaucoup d’enfants.

* * *

À Calais, le 24 septembre 1959, Jacques Vendroux, beau-frère du Général de Gaulle et député-maire, accueille le Chef de l’État et Mme de Gaulle, très émue de revoir sa ville natale dans ces circonstances.

Parmi ceux, nombreux, qui sont venus les saluer et les acclamer, figurent en bonne place les « anciens » du 33e régiment d’infanterie auquel Charles de Gaulle a appartenu, de 1914 à 1916.

Eux, les pauvres, ne sont plus foule : la mort ou l’âge les a touchés… L’un d’eux, en particulier — visage parcheminé, regard absent, chevelure de neige — assis sur une chaise, le menton sur sa canne, parait indifférent à toute cette agitation qui l’entoure.