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Coups de sifflet commandements, sonneries, voici le cortège…

Le Président de la République et de la Communauté passe devant les drapeaux des associations, et quelqu’un attire son attention sur les anciens de son régiment. Il s’approche, les salue et, soudain, il reconnaît son vieux compagnon d’armes, assis sur sa chaise :

« Tiens ! Mais c’est Jules Quagebeur ! Je ne me trompe pas 4e compagnie, 3e section… (Il lui tend la main.) Comment vas-tu, vieux camarade ? »

Le petit vieux se redresse un peu et lève des yeux fatigués vers la haute silhouette qui s’est immobilisée devant lui :

« Ah par exemple ! De Gaulle ! Quelle bonne surprise !… Alors, qu’est-ce que tu deviens ?… »

* * *

Le boulevard Jacquard est noir de monde, et de Gaulle le descend, serrant les mains qui se tendent, accompagné de son beau-frère…

Dans la foule qui se presse, un gosse d’une dizaine d’années essaye de faire la photo de sa vie, mais il ne parvient pas à trouver un petit espace libre entre les gens qui s’agglutinent devant lui.

Le Général l’aperçoit…

Il va vers lui, écarte gentiment quelques enthousiastes et lui dit :

« Vous vouliez une photo de moi avec votre maire ? bien allez-y ! (Et il ajoute, en souriant.) Et tâchez de la réussir. »

* * *

À l’Élysée, en ce mois de mars 1960, on prépare activement le voyage que le Général de Gaulle doit effectuer, le mois prochain, en Amérique du Nord. Roger Vaurs, chef du service de presse de l’Ambassade de France aux U.S.A., a été mandé pour assister le Cabinet de ses conseils.

Entre autres choses, Vaurs a demandé à son ami Aldon Hatch de hâter la publication du livre qu’il prépare sur de Gaulle (et qui paraîtra sous le titre : « De Gaulle, nobody knows. ») Et Hatch est donc venu à Paris pour avoir, avec le Général, un indispensable entretien.

À Vaurs, qui le presse de bien vouloir le recevoir, de Gaulle bougonne :

« Il m’embête, votre Hatch… Il va me parler golf et base-ball… »

Vaurs insiste.

« Bon, bon, je le recevrai cinq minutes. Mais pas plus ! »

Au jour dit, Aldon Hatch est introduit dans le bureau du Président, et de Gaulle découvre qu’il s’agit d’un grand handicapé physique, ce qu’il ignorait.

Il se lève, lui serre la main, et s’assied à côté de lui.

Il le gardera plus d’une heure.

* * *

Ce soir-là, Olivier Guichard quitte l’Élysée un peu plus tôt car il doit faire sa valise pour accompagner, le lendemain, le Président en Afrique.

En arrivant chez lui, il apprend que le Général a téléphoné à sa femme pour lui dire : « Je suis absolument confus et je vous prie de bien vouloir me pardonner de vous prendre votre mari pour un si long temps… »

« C’était vraiment très gentil », commente Guichard.

* * *

De Gaulle convoque Jean Foyer, Ministre de la Justice, à la fin mai 1963, et lui parle, en tête-à-tête, du cas d’un ex-général, artisan actif de la tentative du putsch du 22 avril 1961. (Bien que Jean Foyer n’ait jamais cité de nom, nous croyons savoir qu’il s’agit du général Maurice Challe.) Et de Gaulle lui dit :

« Sa femme a de sérieuses difficultés financières. Je prélèverai régulièrement une somme sur ma cassette personnelle. Vous la lui ferez remettre par le truchement d’un prêtre. Mais, — vous m’entendez bien ! — ni de mon vivant, ni après ma mort, la famille ne doit connaître l’origine des secours. »

* * *

Comme il le fait toujours à l’issue d’un Conseil des Ministres, le Président de la République fait le tour de la table et serre la main des Excellences.

Il arrive devant Michel Habib-Deloncle, Secrétaire d’État aux Affaires étrangères :

« Faites attention, cher ami. Vos lacets sont dénoués et vous allez tomber. »

* * *

Bernard de Gaulle est venu, à La Boisserie, présenter sa fiancée à son oncle, Charles de Gaulle.

Cette visite impressionne et angoisse la jeune femme — pour ne pas dire qu’elle la terrifie… Mais le Général va la mettre très vite à l’aise :

« Je suis heureux de vous connaître, mademoiselle… (Et il ajoute, très gentiment.) Les fiancés m’ont toujours intimidé… »

* * *

Ce mois d’avril 1968 a été particulièrement frais et humide, et Roland Nungesser, Secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances, chargé des Affaires Internationales, souffre de violents maux de gorge, au point qu’il en est venu à redouter un cancer.

Le spécialiste consulté est, à la fois, rassurant et formel :

« Non, ce n’est pas si méchant que cela, mais il faut quand même vous soigner énergiquement. Parlez le moins possible pendant quelque temps et faites, sans tarder, une cure de quinze jours à Luchon. »

Quinze jours, cela signifie deux Conseils des Ministres « séchés »…

Nungesser s’en ouvre à Georges Pompidou.

Le Premier Ministre le dispense très volontiers de participer à une réunion du Conseil mais, étant donné les circonstances (car on sent poindre déjà l’agitation), deux absences, c’est une de trop.

À la fin du Conseil suivant, Nungesser sollicite l’autorisation du Général, qui lui répond :

« Je suis au courant, Nungesser, Pompidou m’en a parlé. J’allais vous le dire, d’ailleurs : vous avez une voix de rogomme, il faut vous soigner. Et même si vous devez manquer deux réunions du Conseil, allez-y. Votre santé d’abord. »

* * *

ET CE MOT DE LA FIN, — HÉLAS…

Décembre 1969.

Jean d’Escrienne est venu, à La Boisserie, apporter, au solitaire de Colombey-les-deux-Églises, le « courrier-arrivée », et reprendre le « courrier-départ. »

Le Général le retient à dîner.

Après le café, d’Escrienne se lève pour regagner Paris, et de Gaulle, avec sa coutumière courtoisie, l’accompagne jusqu’à la porte.

D’Escrienne l’ouvre.

La nuit est totale… Un bouillard glacé noie le contour des choses…

« Ne sortez pas, mon Général, il fait très froid… Et puis, cette nuit est si triste ! »

Par la porte ouverte, le Général jette un long regard sur le parc enneigé, le squelette des arbres noirs…

Il réprime un frisson et hoche la tête… Pressent-il que le temps est proche, les jours comptés, et que ce froid, dehors…

Il tend la main à d’Escrienne :

« Vous verrez, dit-il, le jour se lèvera tout de même demain… »