Le Général qui avait, dans la soirée, regagné ses bureaux, au ministère de la Guerre, en avait, révérence parler, plein les bottes…
Et devant Maurice Schumann, qu’il avait convoqué, il promettait comiquement :
« Eh bien, on ne m’y reprendra plus ! »
De Gaulle quitte son bureau du ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique.
Ce 20 janvier 1946, il vient d’annoncer, aux ministres réunis, qu’il se retirait devant la réapparition du « régime exclusif des partis ».
Sur le seuil, à l’instant du départ, il se tourne vers ses derniers fidèles et, d’un air amusé, il répète la phrase que le maréchal Clauzel avait lancée au duc d’Orléans devant Constantine qui leur résistait :
« Et maintenant vous allez voir ce qu’il y a de plus difficile, dans l’art de la guerre : la retraite ! »
1946, une année sombre…
De Gaulle a pris du champ, faute de pouvoir gouverner efficacement, et les Français l’ont regardé s’éloigner sans réagir.
À la Boisserie, où il s’est cloîtré, de Gaulle écoute, observe, reçoit, médite… La France, oui ! Mais les Français…
Le général Vanier, Ambassadeur du Canada, lui fait parvenir une invitation à passer quelques semaines au Québec, et de Gaulle rêve, avec un sourire malicieux aux lèvres :
« Je pêcherais des poissons… »
Il se tourne vers Mme de Gaulle
« Vous les feriez cuire… »
À la veille du référendum sur le projet de Constitution, le samedi 4 mai 1946, — projet que de Gaulle conseille aux Français de rejeter, — Claude Mauriac, fils de François et son secrétaire particulier, lui demande s’il se rendra pour voter, le lendemain, à la salle des fêtes du 16e arrondissement où il est inscrit.
« Oui, répond de Gaulle. Mais très tôt ou très tard… Avant ou après la grande foule… Je suis un timide. »
À propos de Georges Bidault, cofondateur du M.R.P. et chef du gouvernement du 19 juin au 18 novembre 1946, de Gaulle a cette boutade, que nous rapporte Jean-Raymond Tournoux :
« Un jour, dans un salon, j’ai surpris une réflexion de Bidault. Il racontait à mon propos : Je n’ai jamais vu quelqu’un prendre autant de mouches avec du vinaigre. Celui-là m’a compris. »
Le 29 janvier 1950, la Côte d’Or reçoit la visite du Président du Rassemblement du Peuple français, créé le 14 avril 1947 pour battre en brèche le « régime des partis ».
Le Chargé de mission Olivier Guichard, qui est ici « chez lui », est le premier à l’accueillir, un peu avant Dijon.
Salutations, poignées de mains, salamalecs… Guichard se dispose à s’installer sur le siège avant de la voiture du Général, à côté de Gaston de Bonneval et du chauffeur, lorsque de Gaulle l’arrête d’un geste et d’un sourire :
« Ne vous mettez pas à trois devant, ça fait socialiste. »
Le 9 juin 1951, le Président du Rassemblement du Peuple Français visite, cette fois le Morbihan. Les élections législatives ne sont pas loin et le Général fait, depuis six mois, un grand tour de la France pour mobiliser les Français et soutenir les candidats du R.P.F.
À Vannes, après les discours, Jacques Bruneau, chargé de mission pour la région (et qui deviendra, plus tard, diplomate, puis préfet) escorte le Général jusqu’à sa voiture.
En chemin, une question insolite lui vient aux lèvres :
« Combien mesurez-vous, mon Général ? »
De Gaulle se tourne vers lui, un peu étonné :
« Un mètre quatre-vingt-quatorze… Pourquoi cette question ?
— Parce que j’ai la même taille que vous, mon Général : un mètre quatre-vingt-quatorze. »
De Gaulle s’arrête et le toise :
« Ah… (Il marque une pause.) Et c’est pour ça que vous êtes gaulliste ? »
De Gaulle ne voyait pas que des avantages à sa haute taille.
« Certes, avait-il dit, les gardes du corps me voient de loin », mais pour ajouter aussitôt : « Les mal intentionnés aussi… »
Il confiait volontiers à son entourage :
« Nous ne sommes jamais entièrement à notre aise, nous autres, les géants… Les fauteuils sont toujours trop petits, les tables toujours trop basses, les lits toujours trop courts, les interlocuteurs toujours trop loin… »
Le 24 septembre 1940, une flotte franco-britannique, sous les ordres de l’amiral Cunningham, se présente devant Dakar pour rallier à la France libre les territoires de l’Afrique occidentale française. De Gaulle est présent, à bord du Westernland.
Mais le gouverneur général Boisson donne l’ordre au Richelieu et aux batteries côtières d’ouvrir le feu, et les obus de 380 pleuvent sur les navires britanniques et les trois avisos français.
Cunningham enjoint à ses unités de se retirer.
Treize ans plus tard, le 5 mars 1953, Charles de Gaulle, à l’occasion d’un long périple en Afrique noire, fait étape à Dakar.
Aux conseillers municipaux et aux notables réunis pour le saluer et le recevoir, il déclare, mi-figue, mi-raisin :
« Bien ou mal, Messieurs, je suis toujours heureux d’être accueilli à Dakar. »
La librairie Plon publie, le 22 octobre 1954, le premier tome des « Mémoires de guerre » du Général de Gaulle.
C’est un événement, à la fois politique et littéraire.
Aussitôt Vinogradov, ambassadeur d’U.R.S.S. en France, dont on s’accorde à dire qu’il voue, au Général, une grande admiration, prend contact avec l’aide de camp de l’ermite de Colombey et demande audience.
Elle est accordée.
Au jour dit, une grande limousine noire s’immobilise devant le perron de La Boisserie et Vinogradov en descend, un exemplaire de L’Appel sous le bras.
Il est introduit auprès de De Gaulle et, d’entrée de jeu, il exprime son vif désir d’être dans les tout premiers à bénéficier d’une dédicace amicale de l’auteur. Et puis, soudain, les vieux réflexes de prudence et de peur jouent aussi :
« Je dois vous préciser cependant, mon Général, que mon gouvernement ne m’a nullement chargé de faire cette démarche… Toutefois, il ne me l’a pas non plus interdite… Autrement dit (il patauge un peu) il ne désapprouve pas ma visite, mais, pour autant, il ne saurait, étant donnée la conjoncture internationale, la cautionner officiellement. Et… »
De Gaulle lui coupe la parole :
« Je crois que j’ai compris, Monsieur l’Ambassadeur… En fait, c’est des Chinois dont vous avez peur. »
Le 29 mai 1958, pressenti par le Président Coty pour former et présider le dernier gouvernement de la IVe République, le Général de Gaulle réunit autour de lui le petit groupe des fidèles qui ne l’ont jamais quitté et qui ont valeureusement contribué à son retour.
C’est une course contre la montre : il vient à peine d’arriver de Colombey, il voit Coty à l’Élysée à 19 h 30, il doit rendre publique, dans trois jours, la composition de son gouvernement — mais avec quels ministres ?… Allez ! Faites marcher vos méninges !
À Georges Pompidou, qui deviendra, à Matignon, son Directeur de Cabinet, il demande de lui trouver des radicaux.
Pompidou s’en étonne…