Au poste frontière franco-suisse de Châble, le 9 octobre 1961, le président serre les mains des douaniers, impeccablement alignés, et il leur dit, dans un sourire :
« Messieurs, je n’ai rien à déclarer… Une fois n’est pas coutume. »
De Gaulle aimait les chats, ce qui n’étonnera, ni ceux qui aiment les chats, ni ceux qui aiment de Gaulle. Et à La Boisserie, bien entendu, régnait en maître le greffier du Général dont je crois me souvenir que c’était un chat gris, tirant sur le chartreux et assez banal, à ceci près qu’il était le seul être au monde à pouvoir se vanter de passer de longs moments sur les genoux du Général de Gaulle.
Ce dimanche-là, André Malraux avait fait le voyage, à la demande du Général qui prisait son enrichissante et volcanique compagnie, et, depuis le déjeuner, les deux amis échangeaient des vues élevées sur l’état de la France, le devenir du monde, les civilisations disparues et l’art polynésien.
Tout à coup, Malraux s’interrompit au milieu d’une phrase et, du doigt, il montra au Général le chat qui, assis à deux pas d’eux, semblait suivre la conversation avec une attention soutenue :
« Regardez, mon Général, ses oreilles qui bougent… Le chat nous écoute… »
De Gaulle tourna la tête vers son petit compagnon et sourit :
« Pensez-vous ! Je le connais… Il fait mine. »
Les conférences de presse du Général fournissaient souvent matière à formules assassines ou plaisantes.
Celle du 15 mai 1962 comportait, entre autre chose, la mise à l’ordre du jour de l’élection du Président de la République au suffrage universel et, par conséquent, les conditions de la « succession » :
« Ce n’est pas pour maintenant, répondait de Gaulle. Et j’ajouterai, en faisant allusion à ce qui arrivera quand de Gaulle aura disparu : ce qui est à redouter, après l’événement dont je parle, ce n’est pas le vide politique, c’est plutôt le trop-plein… »
Cette fin avril 1963 annonce un été précoce. La température est tiède et douce, les bourgeons éclatent, les vignes promettent une bonne vendange, et de Gaulle, qui visite la Champagne, prend plaisir à s’arrêter dans de petits villages où tout le monde lui fait bon accueil.
Dans celui-ci, un couple le salue, au bord de la route, leur loupiot devant eux. De Gaulle s’adresse au papa, en le désignant :
« Il travaille bien à l’école ?
— Pensez-vous, mon Général ! Il veut rien foutre ! »
De Gaulle incline sa haute silhouette vers le petit garçon :
« Tu ne veux rien foutre ? Mais c’est très grave !… Tu ne seras jamais Président de la République !
— J’ai pas envie… C’est trop fatigant. »
De Gaulle se redresse et soupire :
« À qui le dis-tu !… »
Michel Maurice Bokanowski, sénateur-maire d’Asnières, qui fut, à diverses reprises, ministre du Général, se souvient que cette visite officielle à Auxerre l’avait frappé par son ambiance de jeunesse. Les autorités laïques et religieuses avaient en effet rivalisé pour que des milliers d’enfants fassent cortège au Chef de l’État, agitant des drapeaux et braillant à tue-tête.
Le ministre de l’Industrie était bien placé pour voir poindre à l’horizon le spectre du chômage. Et il avait murmuré :
« Mon Dieu ! Qu’est-ce qu’on va faire de tous ces gosses ! »
Et de Gaulle lui avait répondu :
« Eh bien on ira envahir la Chine… »
À la fin de cette harassante journée, Bokanowski avait surpris le Général se massant une jambe, et il s’en était inquiété.
« Ce n’est rien, Bokanowski. Et puis, que voulez-vous, quand on est porté par une telle ferveur populaire, il faut bien supporter les petites punitions de l’âge !… On entend des choses tellement belles, tellement émouvantes !… Tellement surprenantes !… Comme cette femme, tout à l’heure, qui criait…
— Je ne l’ai pas entendue, mon Général. Que criait-elle ?
— Elle criait : mon soulier ! J’ai perdu mon soulier !
La Guadeloupe fait à de Gaulle, le 21 mars 1964, un accueil triomphal.
À Trois-Rivières, où il s’est arrêté, une femme fend la foule, écarte les « gorilles », bondit vers le Général et l’embrasse sur les deux joues.
… Et elle lui laisse aussi de belles traces de rouge à lèvres.
De Gaulle se tourne vers son aide de camp :
« Je n’ai pas de marques, au moins ?
— Oh si, mon général !
— Tant pis. Ma femme comprendra sûrement. »
En visite à Soissons, le 11 juin 1964, le Président de la République est accueilli, comme il se doit, à l’hôtel de ville. Et le maire, très cérémonieusement, lui remet, en présent, un superbe vase.
De Gaulle remercie et ajoute :
« Je veillerai à ne point le casser… »
À la fin de ses grands discours, de Gaulle ne manquait jamais d’inviter son auditoire à pousser une vibrante Marseillaise et, devant les micros, il lançait lui-même les premières mesures. L’embêtant, c’est qu’il chantait comme une seringue, et le chœur des fidèles avait bien du mal à repartir du bon pied…
Un jour, dans le Morvan — à Autun, très précisément —, alors qu’il recevait l’hommage d’une foule en liesse, on vit s’approcher de lui, à pas vifs et menus, une très vieille demoiselle qui lui tomba littéralement dans les bras.
Le Général, apparemment très ému, la gratifia d’une affectueuse accolade.
Puis, reprenant sa route, il se tourna vers Gaston de Bonneval :
— C’était mon professeur de chant. »
Et il ajouta, en souriant :
« Je crois qu’elle ne s’en vante pas… C’est elle qui m’a appris la Marseillaise. »
Alors qu’il était journaliste au « Monde » et chargé des affaires du Proche-Orient, Édouard Sablier avait reçu de Beuve-Mery, mission de recruter un correspondant au Liban.
Sablier le trouve, le nomme et lui donne ses instructions.
De ce jour, régulièrement, le Monde va publier des dépêches et des commentaires de son correspondant particulier Édouard Saab (eh oui ! C’est le nom du susdit) et les lecteurs du Monde (y compris le Général qui le lit attentivement) commencent à se demander pourquoi Édouard Sablier a transformé son nom…
Sur ce, le 7 mai 1965, grande réception élyséenne en l’honneur du Président de la République du Liban, M. Hélou.
Édouard Saab fait partie de la délégation et il est, comme les autres, présenté au Général.
Il en émerge, le visage ruisselant de bonheur… :
« Ah quel homme ! Quel homme extraordinaire ! Il connaît tout le monde !… »
Ses confrères le pressent de questions :
« Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
— Il m’a dit : Ah mais vous existez !… »
Jacques Raphaël-Leygues, qui fut ambassadeur en Côte-d’Ivoire de 1963 à 1979, rend visite au Président de la République.
Entre autres choses, il lui rapporte que le sénateur Biakabuda a été assassiné, en pleine brousse, dans des circonstances qui permettent de soupçonner une main et une inspiration françaises. Il ajoute que, dans son village, et à l’occasion d’une pieuse cérémonie rituelle destinée à sauver, dans l’au-delà, l’âme du défunt, le corps du malheureux sénateur a été partagé entre ses amis et… mangé.