De Gaulle commence par s’insurger :
« Je veux en savoir davantage !… »
Et puis l’humour noir s’en mêle :
« Au fait, voilà une fonction toute trouvée pour le Sénat qui se plaint toujours de manquer de responsabilités : lutter contre la faim dans le monde… »
Un grand voyageur, écrivain de talent fort apprécié du Général, rentre de Chine, et de Gaulle le reçoit.
Nous sommes au tout début du mois de novembre 1965. De Gaulle vient d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle et il a demandé aux Français de renouveler son mandat.
Dans le bureau du Général, le visiteur raconte ses pérégrinations, ses impressions, ses découvertes :
« … Et savez-vous, mon Général, qu’il y a, en Chine, des centaines de millions de gaullistes virtuels ? »
De Gaulle opine du chef :
« Très intéressant… L’embêtant, voyez-vous, c’est qu’ils ne votent pas en France… »
À Kourou, en Guyane française, le 25 novembre 1965, la fusée Diamant vient de lancer avec succès le premier satellite français : Astérix. Sa mise sur orbite est imminente.
Le Président de la République en est aussitôt informé. Il murmure :
« J’espère qu’on lui a fait ingurgiter assez de potion magique… »
Le second septennat du Président de Gaulle s’ouvre le 8 janvier 1966. À ses collaborateurs qui lui demandent si une cérémonie marquera l’événement, il réplique :
« Ma foi, si vous avez envie de boire un coup, on fera bien un petit quèque chose… »
Le président de la République est en U.R.S.S. et, le 25 juin 1966, figure au programme la visite d’un important complexe industriel. Le directeur de l’usine y va de ses explications :
« … Les pièces que vous voyez là sont fabriquées ici pour le barrage d’Assouan, en Égypte.
— Ah, très bien.
— Nous les expédions séparément et ce sont des techniciens égyptiens qui les assemblent sur place. »
De Gaulle opine du chef, gravement :
« Comme vous avez fait pour les pyramides, en somme. »
Dix ans après la malheureuse expédition de Suez de novembre 1956, ordonnée par le gouvernement de Guy Mollet, il apparaît convenable et utile de rétablir des relations normales entre la France et l’Égypte.
Providentiellement, un archéologue français vient de mettre à jour de précieux vestiges, dans la Vallée des Rois, et André Malraux, Ministre de la Culture, paraît tout désigné pour dégeler les rapports entre les deux pays.
À son retour, en Conseil des Ministres, Malraux brosse un compte-rendu de son voyage. Il décrit, avec lyrisme et fougue, le prestige dont jouit, là-bas, la France et la qualité de l’accueil qui lui fut réservé. Le Colonel Nasser ne lui a-t-il pas confié que si le Président de la République française envisageait un voyage prochain dans le Proche-Orient, il serait, lui Nasser, très heureux de l’accueillir ?…
« Bon, bon, grogne le Général, on verra ça. »
Malraux, un peu décontenancé, continue sur sa lancée… À l’inverse, dit-il, si le Général de Gaulle l’invitait officiellement, lui Nasser, serait enchanté de venir à Paris… (Le Général fronce les sourcils…)
Malraux, qui perd un peu pied, module son propos :
« Bien sûr, nous n’ignorons pas qu’il y aurait, chez certains, des réticences, de la mauvaise humeur… Le Colonel Nasser en est, le tout premier, conscient… Lui-même hésite… »
De Gaulle l’interrompt :
— Eh bien, quoi, Malraux ! Dites-nous tout ! Il a toujours peur de Guy Mollet ?… »
Un journaliste de France-Soir interroge Jacques Vendroux, député-maire de Calais et beau-frère du Général de Gaulle, et, à la fin de cette interview qui paraîtra le lendemain, 6 mars 1967, il lui pose une question pour le moins saugrenue :
« Vous êtes un inconditionnel du Général, tout le monde le sait. Mais si de Gaulle était communiste, le seriez-vous aussi ? »
Jacques Vendroux ne se démonte pas :
« C’est un peu comme si vous me demandiez : Et si votre femme était une autruche, l’auriez-vous épousée ? »
Lors de ce Conseil des Ministres de routine, Raymond Triboulet, ministre et député du Calvados, plaide pour le maintien du privilège des bouilleurs de cru.
De Gaulle l’interrompt :
« Monsieur le Ministre des Anciens Combattants et du Calvados réunis, nous examinerons cette importante affaire plus tard. »
Le Président de la République vient de prononcer, à Lyon, un important discours où il fut beaucoup question de régionalisation, et, au dîner qui suit, chez le Préfet, Edmond Michelet, Louis Joxe, Christian Fouchet et Roland Nungesser entourent le Général.
On devise à bâtons rompus…
Michelet parle de Lamartine dont le fameux lac n’est pas très loin. Fouchet s’étonne que Lamartine n’ait pas fait une carrière politique plus importante. « Il le pouvait et les circonstances l’y aidaient. »
De Gaulle en doute :
« Ce n’est pas sûr… Lamartine, c’était une sorte de M.R.P. avant l’heure… »
On parle d’autre chose, et les sujets ne manquent pas… En ce mois de mars 1968, à Paris, on observe les prémices d’une agitation qui ne fera que grandir. À la cinémathèque de l’O.R.T.F., la grève est totale et Christian Fouchet, Ministre de l’Intérieur, qui la fait garder par les C.R.S., s’inquiète d’une tension qu’il sent grandir :
« On traite les C.R.S. de S.S.… On leur crache dessus… Ils ne vont pas le supporter éternellement et je crains leurs réactions. (Il se tourne vers le Général.) Qu’est-ce qu’il faut faire ? »
De Gaulle demeure silencieux un long moment, réfléchit, les sourcils froncés, et laisse tomber :
« Vos C.R.S., ils ne peuvent pas cracher, eux ? »
En désaccord avec certains aspects de sa politique, Bernard Cornut-Gentille vient lui remettre, loyalement, sa démission de ministre des P.T.T.
De Gaulle l’accueille avec agacement et désinvolture : « Il ne doit pas être au-dessus des forces humaines de trouver un autre ministre des Postes et télécommunications… ».
Ce Conseil des Ministres, à l’Élysée, est exceptionnellement paisible et même morose. Sans doute parce que son ordre du jour ne comporte ni drame, ni calamité, ni menace…
Les ministres rendent compte de leur tâche dans un silence assoupissant…
C’est à Couve de Murville, à présent, qui livre un commentaire serein sur les affaires du monde. Il s’exprime avec son élégance coutumière mais, sans doute gagné par l’ambiance, sa voix est particulièrement douce, feutrée, quasi inaudible.
De Gaulle l’interrompt :
« Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, sans être tonitruant, pourriez-vous avoir la bonté d’élever un tout petit peu la voix ? »
En matière de vins et d’alcools, de Gaulle était un fort modeste dégustateur.
S’il lui arrivait, à l’occasion d’un événement notable ou d’un coup de fatigue, de se laisser tenter par un apéritif alcoolisé, sa plaisanterie favorite consistait à le réclamer « à l’hypocrite » :