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«Vania! s’écria-t-elle, je suis coupable envers lui et je ne le vaux pas! Je croyais que tu ne viendrais pas, Aliocha. Oublie mes mauvaises pensées, Vania. J’effacerai cela!» ajouta-t-elle en le regardant avec un amour infini. Il sourit, lui baisa la main et, sans lâcher cette main, dit, en se tournant vers moi!

«Ne m’accusez pas non plus. Il y a bien longtemps que je désirais vos embrasser comme un frère; elle m’a tellement parlé de vous! Jusqu’à présent, nous nous connaissions à peine et nous ne nous entendions pas très bien. Nous serons amis et… pardonnez-nous, ajouta-t-il à mi-voix en rougissant légèrement, mais avec un si beau sourire que je ne pus pas ne pas répondre de tout mon cœur à son accueil.

– Oui, oui, Aliocha, appuya Natacha, il est des nôtres, c’est notre frère, il nous a déjà pardonné et sans lui nous ne serions pas heureux. Je te l’ai déjà dit… Oh! nous sommes des enfants cruels, Aliocha! Mais nous vivrons à trois… Vania! poursuivit-elle, et ses lèvres se mirent à trembler, tu vas maintenant rentrer chez EUX, à la maison; tu as si bon cœur que même s’ils ne me pardonnent pas, ils s’adouciront peut-être tout de même un peu en voyant que tu m’as pardonné. Raconte-leur tout, tout, avec les mots qui te viendront du cœur; trouve les mots qu’il faut… Défends-moi, sauve-moi; dis-leur toutes mes raisons, tout ce que tu as compris. Sais-tu, Vania, que je ne me serais peut-être pas décidée à CELA si tu ne t’étais pas trouvé aujourd’hui avec moi! Tu es mon salut; j’ai tout de suite espéré que tu saurais de leur annoncer, que du moins tu adoucirais pour eux la première horreur. Oh! mon Dieu, mon Dieu!… Dis-leur de ma part, Vania, que je sais qu’il est impossible de me pardonner maintenant; eux, ils me pardonneront, mais Dieu ne me pardonnera pas; mais que même s’ils me maudissaient, je les bénirais tout de même et prierais pour eux toute ma vie. Tout mon cœur est auprès d’eux! Ah! pourquoi ne sommes-nous pas tous heureux! Pourquoi, pourquoi!… Mon Dieu! Qu’est-ce que j’ai fait!» s’écria-t-elle brusquement comme si elle revenait à elle et, toute tremblante d’effroi, elle se couvrit le visage de ses mains. Aliocha la prit dans ses bras et, sans mot dire, la serra étroitement contre lui. Quelques minutes s’écoulèrent dans le silence.

«Et vous avez pu exiger un pareil sacrifice! dis-je en le regardant d’un air de reproche.

– Ne m’accusez pas! répéta-t-il, je vous assure que tous ces malheurs, quoiqu’ils soient très pénibles, ne dureront qu’un instant. J’en suis absolument convaincu. Il nous faut seulement la fermeté de supporter cette minute; elle aussi m’a dit la même chose. Vous savez: la cause de tout est cet orgueil familial, ces querelles absolument oiseuses, et par là-dessus ces procès! Mais… (j’y ai longuement songé, je vous prie de croire) tout cela doit cesser. Nous serons à nouveau tous réunis et nous serons alors parfaitement heureux, si bien que nos parents se réconcilieront en nous regardant. Qui sait, peut-être que c’est justement notre mariage qui servira de base à leur réconciliation. Je crois qu’il ne peut même en être autrement, qu’en pensez-vous?

– Vous dites: mariage, quand donc vous marierez-vous? demandai-je en jetant un coup d’œil à Natacha.

– Demain ou après-demain; au plus tard, après-demain, c’est sûr. Voyez-vous, je ne sais pas moi-même encore bien et, pour dire vrai, je n’ai encore pris aucune décision. Je pensais que Natacha ne viendrait peut-être pas aujourd’hui. De plus, mon père voulait absolument me conduire aujourd’hui chez ma fiancée (car vous savez qu’on recherche une jeune fille en mariage pour moi; Natacha vous l’a dit? Mais je ne veux pas). Alors je n’ai pu encore prendre de dispositions fermes. Mais nous nous marierons tout de même sûrement après-demain. Du moins, c’est ce qu’il me semble parce qu’il ne peut en être autrement. Dès demain, nous partons par la route de Pskov. J’ai un camarade de lycée, un très brave garçon, qui habite là-bas, pas loin d’ici, à la campagne. Je vous ferai peut-être faire sa connaissance. Dans son village, il y a un prêtre, et d’ailleurs je ne sais pas au juste s’il y en a un ou pas. Il aurait fallu se renseigner à l’avance, mais je n’ai pas eu le temps… Du reste, à vrai dire, tout cela, ce sont des bêtises. Du moment qu’on a l’essentiel en vue. On peut inviter un prêtre d’un village voisin; qu’en pensez-vous? Car il y a bien des villages dans les environs! La seule chose regrettable, c’est que je n’aie pas eu le temps d’écrire un mot; il aurait fallu prévenir. Mon ami n’est peut-être pas chez lui en ce moment… Mais c’est là le moins important! Quand on est décidé, tout s’arrange de soi-même, n’est-ce pas? Et en attendant, jusqu’à demain ou après-demain s’il le faut, elle restera ici, chez moi. J’ai loué un appartement indépendant dans lequel nous vivrons quand nous serons rentrés. Je ne veux plus aller vivre chez mon père, n’est-ce pas? Vous viendrez nous voir; je me suis installé très gentiment. Mes camarades de lycée viendront me rendre visite; je donnerai des soirées…»

Je le regardai avec une perplexité anxieuse. Natacha me suppliait du regard de ne pas le juger sévèrement et d’être plus indulgent. Elle écoutait ses propos avec un sourire triste, et, en même temps, elle semblait l’admirer. Tout comme on admire un enfant gentil et gai, en écoutant son bavardage vide de sens, mais gracieux. Je lui jetai un regard de reproche. Je commençais à me sentir insupportablement mal à mon aise.

«Mais votre père? demandai-je, êtes-vous fermement persuadé qu’il vous pardonnera?

– Certainement; que lui restera-t-il donc à faire? C’est-à-dire qu’au début, bien entendu, il me maudira; j’en suis même convaincu. Il est ainsi; et il est tellement sévère avec moi. Peut-être qu’il se plaindra aussi à quelqu’un; en un mot, il emploiera son autorité paternelle… Mais tout ceci n’est pas sérieux. Il m’aime à la folie; il se fâchera, mais me pardonnera. Alors tout le monde se réconciliera et nous serons tous heureux. Son père aussi.

– Et s’il ne vous pardonne pas? Avez-vous pensé à cela?

– Il me pardonnera sûrement, seulement peut-être pas si rapidement. Et puis après? Je lui montrerai que j’ai du caractère. Il me querelle toujours parce que je n’ai pas de caractère, parce que je suis frivole. Il verra maintenant si je suis frivole ou non… Avoir charge de famille, ce n’est pas une plaisanterie; c’est alors que je ne serai plus un gamin… c’est-à-dire…, j’ai voulu dire que je serai comme les autres…, enfin comme ceux qui ont une famille. Je vivrai de mon travail. Natacha dit que c’est beaucoup mieux que de vivre aux crochets d’autrui, comme nous faisons tous. Si vous saviez toutes les bonnes paroles qu’elle m’a dites! Je ne l’aurais jamais imaginé moi-même; je n’ai pas grandi dans ces idées-là, on ne m’a pas élevé de cette façon. Il est vrai que je sais moi-même que je suis léger, que je ne suis presque bon à rien; mais, savez-vous, j’ai eu avant-hier une idée étonnante. Je vais vous la dire, bien que ce ne soit pas le moment, parce qu’il faut que Natacha la connaisse et que vous nous donniez un conseil. Voici: je veux écrire des nouvelles et les vendre à des revues, comme vous. Vous m’aiderez auprès des journalistes, n’est-ce pas? Je compte sur vous, et toute la nuit dernière j’ai imaginé un roman, comme ça, pour essayer, et il pourrait en sortir quelque chose de très gentil, vous savez. J’ai pris le sujet dans une comédie de Scribe… Mais je vous raconterai cela plus tard. L’essentiel, c’est qu’on me donne de l’argent pour cela… On vous paie bien?»