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– Bien. Revenons à nos organes. Je récapitule: plume, couilles, bitte, lèvres, oreille et main. C'est tout?

– Ça ne vous suffit pas?

– Je ne sais pas. J'aurais imaginé autre chose.

– Ah oui? Qu'est-ce qu'il vous faut encore? Une vulve? Une prostate?

– Cette fois, c'est vous qui êtes trivial. Non. Vous allez certainement vous foutre de moi, mais je pensais qu'il fallait aussi un cœur.

– Un cœur? Grand Dieu, pour quoi faire?

– Pour les sentiments, l'amour.

– Ces choses-là n'ont rien à voir avec le cœur. Elles concernent les couilles, la bitte, les lèvres et la main. C'est bien suffisant.

– Vous êtes trop cynique. Je ne serai jamais d'accord avec cela.

– Aussi votre opinion n'intéresse-t-elle personne, comme vous le disiez vous-même il y a une minute. Mais je ne vois pas où est le cynisme dans ce que je vous ai dit. Les sentiments et l'amour sont affaires d'organes, nous sommes bien d'accord: notre désaccord porte seulement sur la nature de cet organe. Vous, vous y voyez un phénomène cardiaque. Je ne m'insurge pas, moi, je ne vous envoie pas des adjectifs à la figure. Je me borne à penser que vous avez des théories anatomiques bizarres et, à ce titre, intéressantes.

– Monsieur Tach, pourquoi faites-vous semblant de ne pas comprendre?

– Qu'est-ce que vous me chantez là? Je ne fais semblant de rien du tout, espèce de mal élevé!

– Mais enfin, quand je parlais du cceur, vous saviez bien que je n'en parlais pas à titre d'organe!

– Ah non! A quel titre en parliez-vous, alors?

– A titre de sensibilité, d'affectivité, d'émotivité, voyons!

– Tout ça dans un bête cœur plein de cholestérol!

– Allons, monsieur Tach, vous n'êtes pas drôle.

– Non, en effet, c'est vous qui êtes drôle. Pourquoi venez-vous me dire ces choses qui n'ont rien à voir avec notre propos?

– Oseriez-vous dire que la littérature n'a rien à voir avec les sentiments?

– Voyez-vous, jeune homme, je crois que nous n'avons pas la même conception du mot «sentiment», Pour moi, vouloir casser la gueule à quelqu'un, c'est un sentiment. Pour vous, pleurer dans la rubrique «Courrier du cœur» d'un magazine féminin, c'est un sentiment.

– Et pour vous, qu'est-ce que c'est?

– Pour moi, c'est un état d'âme, c'est-à-dire une jolie histoire bourrée de mauvaise foi qu'on se raconte pour avoir l'impression d'accéder à la dignité d'être humain, pour se persuader que, même au moment où on fait caca, on est empli de spiritualité. Ce sont surtout les femmes qui inventent les états d'âme, parce que le genre de travail qu'elles font laisse la tête libre. Or, une des caractéristiques de notre espèce est que notre cerveau se croit toujours obligé de fonctionner, même quand il |ne sert à rien: ce déplorable inconvénient technique est à l'origine de toutes nos misères humaines. Plutôt que de se laisser aller à une noble inaction, à un repos élégant, tel le serpent endormi au soleil, le cerveau de la ménagère, furieux de ne pas lui être utile, se met à sécréter des scénarios débiles et prétentieux – d'autant plus prétentieux que la tâche de la ménagère lui paraîtra basse. C'est d'autant plus bête qu'il n'y a rien de bas à passer l'aspirateur ou à récurer des chiottes: ce sont des choses qu'il faut faire, voilà tout. Mais les femmes s'imaginent toujours qu'elles sont sur terre pour quelque mission aristocratique. La plupart des hommes aussi, d'ailleurs, avec moins d'obstination cependant, parce qu'on leur occupe le cerveau à l'aide de comptabilité, d'avancement, de délation et de déclaration d'impôts, ce qui laisse moins la place aux élucubrations.

– Je crois que vous retardez un peu. Les femmes aussi travaillent, à présent, et ont des soucis identiques aux hommes.

– Que vous êtes naïf! Elles font semblant. Les tiroirs de leurs bureaux regorgent de vernis à ongles et de magazines féminins. Les femmes actuelles sont encore pires que les ménagères d'antan qui, elles au moins, servaient à quelque chose. Aujourd'hui, elles passent leur temps à discuter avec leurs collègues de sujets aussi substantiels que leurs problèmes de cœur et de calories, ce qui revient exactement au même. Quand elles s'ennuient trop, elles se font sauter par leurs supérieurs, ce qui leur procure l'ivresse délicieuse de foutre la merde dans la vie des autres. Ça, pour une femme, c'est la plus belle promotion. Quand une femme détruit la vie d'un autre, elle considère cet exploit comme la preuve suprême de sa spiritualité. «Je fous la merde, donc j'ai une âme», ainsi raisonne-t-elle.

– A vous entendre, on jurerait que vous avez un compte à régler avec les femmes.

– Et comment! C'est l’une d'entre elles qui m'a donné la vie, alors que je ne lui avais rien demandé.

– Vous venez de parler comme si vous étiez en plein âge ingrat.

– Faux: je suis plus que jamais en plein âge gras.

– Très drôle. Mais un homme a été aussi pour quelque chose dans votre naissance.

– Je n'aime pas les hommes non plus, vous savez.

– Mais vous détestez les femmes encore davantage. Pourquoi?

– Pour toutes les raisons que je vous ai déjà énumérées.

– Oui. Voyez-vous, j'ai du mal à croire qu'il n'y ait pas un autre motif. Votre misogynie pue le désir de vengeance.

– Vengeance? Mais de quoi? J'ai toujours été célibataire.

– Il n'y a pas que le mariage. Du reste, vous ne connaissez peut-être pas vous-même l'origine de ce désir de vengeance.

– Je vous vois venir. Non, je refuse d'être psychanalysé.

– Sans aller jusque-là, vous pourriez peut-être y réfléchir.

– Mais réfléchir à quoi, grand Dieu?

– Aux relations que vous avez eues avec les femmes.

– Quelles relations? Quelles femmes?

– Ne me dites pas que… Non!

– Quoi, non?

– Vous seriez…?

– Quoi, à la fin?

– … vierge?

– Bien sûr.

– C'est impossible.

– C'est absolument possible.

– Ni avec une femme, ni avec un homme?

– Vous trouvez que j'ai une gueule de tapette?

– Ne le prenez pas mal, il y a eu des homosexuels très brillants.

– Vous me faites rire. Vous dites ça comme vous diriez: «Il y a même eu des souteneurs honnêtes» – comme s'il y avait une contradiction entre les termes «homosexuel» et «brillant». Non, je m'insurge contre votre refus d'admettre que je puisse être vierge.

– Mettez-vous à ma place!

– Comment voulez-vous qu'un être tel que moi se mette à votre place?

– C'est… c'est impensable! Dans vos romans, vous parlez du sexe comme un spécialiste, comme un entomologiste!

– Je suis docteur es masturbation.

– La masturbation peut-elle suffire à connaître si bien la chair?

– Pourquoi faites-vous semblant de m'avoir lu?

– Écoutez, je n'ai pas besoin de vous avoir lu pour savoir que votre nom est associé au discours sexuel le plus précis, le plus expert.

– C'est marrant, ça. Je ne savais pas.

– Je suis même tombé récemment sur une thèse qui portait le titre suivant: «Le priapisme tachien à travers la syntaxe.»

– Comique. Les sujets des thèses m'ont toujours amusé et attendri: c'est mignon, ces étudiants qui, pour imiter les grands, écrivent des sottises dont les titres sont hypersophistiqués et dont les contenus sont la banalité même, comme ces restaurants prétentieux qui affublent les œufs mayonnaise d'appellations grandioses.

– Il va de soi, monsieur Tach, que si vous le désirez, je n'en parlerai pas.

– Pourquoi? Ce n'est pas intéressant?

– Au contraire, ce ne l'est que trop. Mais je ne voudrais pas trahir un pareil secret.

– Ce n'est pas un secret.

– Pourquoi ne l'avez-vous jamais dit, alors?

– Je ne vois pas à qui je l'aurais dit. Je ne vais quand même pas chez le boucher pour parler de ma virginité.