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— Pousse-toi un peu, Merin, me dit-elle en se glissant sous les draps à côté de moi. Ils étaient froids contre notre peau nue, et la couverture rêche n’était pas de trop. J’éteignis la lumière. Le bateau tanguait au rythme régulier de la respiration de l’océan, ponctuée par le craquement des mâts et du gréement. Demain, il y aurait encore des manœuvres de filet et du raccommodage à faire, mais c’était maintenant le moment de dormir. Je commençai à m’assoupir au son des vagues qui se brisaient contre le bois de la coque.

— Merin ?

— Oui ?

— Qu’arrivera-t-il si les séparatistes s’en prennent aux touristes ou aux nouveaux résidents ?

— Je croyais qu’ils avaient tous été envoyés dans les îles périphériques.

— C’est exact. Mais qu’arrivera-t-il s’ils résistent ?

L’Hégémonie enverra la Force, et les séparatistes seront mis au pas.

— Mais s’ils attaquaient la porte distrans, pour la détruire avant qu’elle ne soit opérationnelle, par exemple ?

— Impossible.

— Je sais, mais supposons que cela arrive quand même.

— Dans ce cas, le Los Angeles reviendrait, neuf mois plus tard, avec des troupes qui écraseraient les séparatistes… et tous ceux qui se mettraient en travers de leur chemin sur Alliance-Maui.

— Neuf mois de temps de transit… Onze ans pour nous.

— Ça ne changerait rien quand même, murmurai-je. Tu ne veux pas qu’on parle d’autre chose ?

— D’accord, accepta Siri.

Mais nous restâmes un long moment sans rien dire. J’écoutai les soupirs et les gémissements du bateau. Siri avait blotti sa tête au creux de mon bras. Elle respirait doucement contre mon épaule, et je crus qu’elle s’était endormie. J’étais sur le point de sombrer moi aussi dans le sommeil quand je sentis sa main chaude remonter le long de ma cuisse et m’entourer doucement. Je fus surpris tandis que mon membre commençait à se raidir. Elle murmura à mon oreille, en réponse à ma question muette :

— Non, Merin. On n’est jamais trop vieux pour ça. Tout au moins pour le contact et la chaleur humaine. À toi de décider, mon amour. Je serai contente de toute manière.

Je décidai. Nous ne nous endormîmes qu’un peu avant l’aube.

Le tombeau est vide.

— Donel ! Viens ici !

Il me rejoint en hâte, dans un froissement de robes qui trouble le silence caverneux. Le tombeau est entièrement vide. Il n’y a ni chambre d’hibernation – je ne m’attendais pas vraiment à en trouver une – ni sarcophage, ni cercueil. Une ampoule nue illumine l’intérieur de sa lumière crue.

— Qu’est-ce que ça signifie, Donel ? Je croyais que c’était le tombeau de Siri !

— C’est son tombeau, papa.

— Où est la sépulture ? Pas sous les dalles, bon Dieu !

Il essuie la sueur de son front. Je me souviens que c’est de sa mère que je suis en train de parler. Je me souviens aussi qu’il a eu près de deux ans pour s’habituer à l’idée de sa mort.

— Personne ne t’a rien dit ? me demande-t-il.

— Personne ne m’a dit quoi ?

La fureur et la perplexité me gagnent en même temps.

— On m’a juste fait venir ici dès que j’ai débarqué, en me disant que je devais visiter son tombeau avant l’inauguration de la porte. Qu’est-ce qu’il aurait fallu qu’on me dise, Donel ?

— Ma mère a été incinérée, conformément à ses instructions. Ses cendres ont été disséminées dans la Grande Mer du Sud, depuis la plus haute plate-forme de l’île familiale.

— Mais alors, pourquoi cette… crypte ?

Il faut que je fasse attention à ce que je dis. Donel est un être sensible. Il s’essuie de nouveau le front et regarde en direction de l’entrée. La foule ne peut pas nous voir, mais nous avons beaucoup de retard sur l’horaire. Déjà, les autres membres du Conseil ont été obligés de redescendre en hâte pour rejoindre les dignitaires sur le podium. Mon chagrin d’aujourd’hui n’a pas seulement dégénéré en contretemps officiel, il s’est transformé également en mélodrame.

— Ma mère a laissé des instructions précises, m’explique Donel. Elles ont été respectées à la lettre.

Il effleure une dalle de la paroi intérieure, et elle pivote pour dévoiler une niche dans laquelle se trouve un coffret de métal avec mon nom dessus.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Des objets personnels qu’elle a laissés à ton intention, murmure mon fils en secouant la tête. Seule la vieille Magritte en savait plus, mais elle est morte l’hiver dernier sans rien confier à personne.

— Très bien. Je te remercie. Je vous rejoins dans un moment.

Il consulte sa montre.

— La cérémonie commence dans huit minutes. La porte distrans sera activée dans vingt minutes.

— Je sais. Je ne vous demande qu’un petit moment.

Il hésite, puis sort. Je referme la porte derrière lui en plaquant la paume de ma main sur la serrure. Je soulève le coffret. Il est étonnamment lourd pour sa petite taille. Je le pose sur les dalles de pierre et m’accroupis devant lui. Une serrure palmaire miniature me permet de l’ouvrir dans un déclic. Je me penche pour en regarder le contenu.

— Merde alors !

L’exclamation à voix basse m’a échappé. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, en fait. Peut-être des souvenirs nostalgiques des cent trois jours que nous avons passés ensemble au total. Peut-être une fleur séchée offerte et oubliée depuis longtemps, ou l’un des coquillages que nous allions chercher ensemble sur les fonds sous-marins au large de Fevarone. Mais ce n’est pas du tout cela.

Le coffret contient un petit laser Steiner-Ginn, l’une des armes rayonnantes les plus puissantes fabriquées à ce jour. Son accumulateur est relié par un fil à une petite cellule de fusion que Siri a dû prélever sur son submersible personnel. Également relié à la cellule d’alimentation, il y a un antique persoc à circuits imprimés et à affichage à cristaux liquides. L’indicateur de charge est au vert.

Il y a deux autres objets dans le coffret. Le médaillon traducteur que nous avons utilisé pour parler aux dauphins il n’y a pas si longtemps pour moi, et une chose qui me laisse littéralement bouche bée de stupeur.

— Petite coquine…

Les choses se mettent en place dans mon esprit. Je ne peux pas m’empêcher de sourire. Je murmure de nouveau :

— Chère petite coquine…

Roulé avec soin selon les règles de l’art, son fil d’alimentation correctement branché, le tapis hawking que Mike Osho a payé trente marks sur la place du marché de Carvnel est prêt à s’envoler. Je le laisse au fond du coffret, je défais la connexion d’alimentation du persoc et je m’assois en tailleur sur le sol pour activer le disque. La lumière de la crypte pâlit, et Siri se dresse soudain devant moi.

Ils ne m’ont pas chassé du vaisseau lorsque Mike est mort. Ils auraient pu, mais ils ne l’ont pas fait. Ils auraient pu me laisser aux mains de la justice locale d’Alliance-Maui. Ils ont préféré éviter cela. Deux jours durant, la Sécurité du vaisseau m’a questionné. Une fois, même, c’est le Maître-Navigant Singh en personne qui est venu m’interroger. Puis ils m’ont laissé reprendre mon poste. Pendant les quatre longs mois qu’a duré le voyage de retour, le souvenir de Mike et de son assassinat n’ont pas cessé de me torturer l’esprit. Je savais, confusément, que j’étais en partie responsable de ce crime. Je continuais de prendre mes quarts, de me réveiller au milieu de la nuit couvert de transpiration et de me demander s’ils allaient annuler mon contrat à notre arrivée dans le Retz. Ils auraient pu me le dire tout de suite, mais ils préférèrent ne pas le faire.