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Nous les traitons de barbares alors que c’est nous qui nous accrochons, timorés, à notre Retz, comme des Wisigoths tapis parmi les ruines de la splendeur fanée de Rome, et c’est nous qui nous proclamons « civilisés ».

En moins de dix mois standard, je leur avais avoué mon plus grand secret et ils m’avaient appris les leurs. Je leur expliquai avec autant de détails que possible comment leur extinction avait été planifiée par l’entourage de Gladstone. Je leur révélai le peu que les scientifiques du Retz comprenaient sur les anomalies présentées par les Tombeaux du Temps, et je leur fis part des craintes inexplicables entretenues par le TechnoCentre à propos d’Hypérion. Je leur décrivis le piège mis en place, avec Hypérion pour appât, et les terribles conséquences qui en découleraient pour eux s’ils s’avisaient de vouloir occuper ce monde. Toutes les unités de la Force fondraient alors sur le système d’Hypérion pour les écraser.

Ces révélations faites, je m’attendais, une fois de plus, à être mis à mort. Mais au lieu de m’exécuter, ils m’apprirent quelque chose. Ils me montrèrent des messages mégatrans interceptés, des enregistrements sur faisceau étroit ainsi que leurs propres archives de l’époque où ils avaient eux-mêmes fui le système de l’Ancienne Terre, quatre cent cinquante ans plus tôt. Les faits étaient d’une terrible simplicité.

La Grande Erreur de 08 n’était pas un accident. La mort de l’Ancienne Terre avait été délibérément provoquée, soigneusement préparée par des éléments du TechnoCentre et par leurs homologues humains dans le gouvernement naissant de l’Hégémonie. L’hégire avait été prévue en détail des dizaines d’années avant que le trou noir erratique ne plonge « accidentellement » dans le cœur de l’Ancienne Terre.

Le Retz, la Pangermie, l’Hégémonie humaine, tout cela avait été bâti sur le plus horrible des parricides. Et l’édifice se maintenait grâce à une politique tranquille et soutenue de fratricide, impliquant l’assassinat de toute espèce susceptible à un degré quelconque de devenir concurrente. Les Extros, représentant la seule autre tribu humaine libre d’errer entre les étoiles et le seul groupe en dehors de la domination du TechnoCentre, étaient la prochaine cible sur la liste de l’extinction.

Je retournai dans le Retz. Plus de trente-cinq années en temps local avaient passé. Meina Gladstone était devenue Présidente. La Révolte de Siri n’était plus qu’une légende romantique, une parenthèse dans l’histoire de l’Hégémonie.

Je rencontrai Meina Gladstone. Je lui fis part d’un grand nombre – mais pas de la totalité – des révélations que les Extros m’avaient faites. Je lui dis qu’ils savaient que tout combat mené pour conquérir Hypérion ne pourrait être qu’un piège, mais qu’ils viendraient quand même, et qu’ils souhaitaient que je sois nommé consul sur cette planète, afin que je puisse jouer le rôle d’agent double lorsque la guerre éclaterait.

Ce que je ne lui dis pas, c’était qu’ils avaient promis de me donner un appareil avec lequel je pourrais ouvrir les Tombeaux du Temps et laisser le champ libre au gritche.

La Présidente eut de longues conversations avec moi. Les agents du renseignement de la Force me questionnèrent longuement, pendant des mois. Des drogues et des moyens technologiques furent utilisés pour vérifier si je disais bien la vérité et si je ne leur cachais rien. Mais les Extros étaient également très forts dans ce domaine. Je ne disais que la vérité, mais pas toute la vérité.

Finalement, je fus nommé sur Hypérion. Gladstone proposa de donner à ce monde le statut de protectorat et de me nommer ambassadeur, mais je déclinai les deux offres. La seule faveur que je demandai fut de conserver mon vaisseau particulier. Je fis le voyage à bord d’un vaisseau de spin régulier, et mon appareil arriva plusieurs mois après dans le ventre d’un vaisseau-torche de passage. Il demeura sur une orbite d’attente, étant bien entendu que je pouvais le faire descendre et m’en aller avec à n’importe quel moment.

Seul sur Hypérion, j’attendis. Des années passèrent. Je laissais mon adjoint gouverner cette planète des Confins pendant que j’allais boire Chez Cicéron et que j’attendais patiemment.

Les Extros finirent par me contacter sur leur mégatrans privé.

Je pris un congé de trois semaines, fis descendre mon vaisseau dans un endroit désert à proximité de la mer des Hautes Herbes, gagnai un lieu de rendez-vous situé dans la région du nuage d’Oört, embarquai leur agent – une femme nommée Andil – et un trio de techniciens, et redescendis me poser au nord de la chaîne Bridée, à quelques kilomètres des Tombeaux du Temps. Les Extros ne possédaient pas de distrans. Leur existence se passait dans les vastes régions intermédiaires de l’espace interstellaire où ils voyaient passer la vie du Retz à toute allure, comme un film holo en accéléré. Le temps les obsédait. Le TechnoCentre avait donné le modulateur distrans à l’Hégémonie, et c’était lui qui entretenait le réseau. Aucune équipe humaine, aucun spécialiste n’en comprenait exactement la théorie. Les Extros avaient essayé d’élucider ce mystère, mais sans succès. Cependant, leurs recherches leur avaient permis de faire quelques percées dans la compréhension et dans la manipulation de l’espace-temps.

Ils comprenaient, par exemple, le phénomène des marées du temps et des champs anentropiques qui entouraient les Tombeaux. Ils n’étaient pas capables de reproduire ces champs, mais ils savaient se protéger d’eux et – théoriquement – provoquer leur effondrement. Les Tombeaux du Temps et leur éventuel contenu cesseraient alors de vieillir à l’envers. Les Tombeaux « s’ouvriraient ». Le gritche romprait sa longe, il ne serait plus confiné au voisinage des Tombeaux. Ce qu’il y avait d’autre à l’intérieur serait libéré.

Les Extros étaient convaincus que les Tombeaux du Temps étaient des artefacts issus de leur propre futur, et que le gritche était une arme de rédemption attendant pour la saisir la main adéquate. Le culte gritchtèque voyait dans le monstre un ange vengeur tandis que les Extros y voyaient un outil issu de l’imagination humaine et venu du futur pour délivrer l’humanité du TechnoCentre. Andil et ses techniciens étaient là pour étalonner et mettre au point leurs appareils d’expérience.

— Vous n’allez pas vous en servir maintenant ? demandai-je.

Nous étions assis à l’ombre de la structure appelée le Sphinx.

— Pas tout de suite, me répondit Andil. Seulement lorsque l’invasion sera imminente.

— Mais vous disiez qu’il faudrait des mois pour que ça marche et que les Tombeaux commencent à s’ouvrir.

Andil acquiesça. Elle avait les yeux d’un vert très foncé, elle était extrêmement grande, et je distinguais les raies discrètes de son exosquelette motorisé à travers son collant.

— Un an, ou même davantage, dit-elle. Ce dispositif détruira les champs anentropiques de manière graduelle. Cependant, une fois amorcé, le processus est irrévocable. C’est pourquoi nous attendrons, pour l’activer, que les Dix Conseils aient décidé l’invasion définitive du Retz.