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— Non, répondit le consul. Mais lorsque l’Yggdrasill a brûlé, j’ai tout de suite compris que quelque chose n’allait pas.

— Que voulez-vous dire ? demanda Kassad.

Le consul s’éclaircit la voix.

— J’ai eu l’occasion de fréquenter plusieurs Voix de l’Arbre des Templiers. Leur relation à leur vaisseau-arbre est quasi télépathique. La réaction de Masteen a été beaucoup trop faible. Ou bien il n’était pas ce qu’il prétendait être, ou bien il savait que le vaisseau allait être détruit, et il avait coupé tout contact avec lui. Pendant mon tour de garde, je suis descendu dans l’intention de lui poser quelques questions. Il n’était plus là. Sa cabine était dans l’état où nous l’avons trouvée, à part le fait que le cube de Möbius était à l’état neutre. L’erg aurait pu s’échapper. J’ai remis la sécurité et je suis remonté.

— Vous n’avez rien fait à Het Masteen ? demanda de nouveau Kassad.

— Non.

— Encore une fois, pourquoi devrions-nous le croire ? Demanda Silenus.

Le poète tenait à la main sa dernière bouteille de scotch, déjà bien entamée. Le consul y posa les yeux tout en répliquant :

— Vous n’avez aucune raison de me croire, en effet. Et cela n’a pas la moindre importance.

Les longs doigts effilés du colonel Kassad pianotèrent sur le manche de son bâton de la mort.

— Qu’allez-vous faire, maintenant, avec le mégatrans ? demanda-t-il.

Le consul prit une longue inspiration lasse avant de répondre :

— Je dois leur indiquer à quel moment précis les Tombeaux du Temps s’ouvriront. Si toutefois je suis encore en vie à ce moment-là.

Brawne Lamia désigna l’antique persoc.

— Nous pourrions le détruire, dit-elle.

Le consul haussa les épaules.

— Il pourrait nous être utile, fit le colonel, en nous donnant accès aux conversations civiles et militaires transmises en clair. D’autre part, nous pourrions faire venir ici le vaisseau du consul, en cas de besoin.

— Non ! s’écria le consul. Nous ne pouvons pas retourner en arrière, maintenant.

C’était le premier signe d’émotion qu’il manifestait depuis plusieurs minutes.

— Personne ici, je pense, n’a l’intention de retourner en arrière, déclara Kassad.

Il fit du regard le tour des visages las qui l’entouraient. Personne ne parla pendant un bon moment.

— Il faut que nous prenions une décision, murmura enfin Sol Weintraub en hochant le menton vers le consul tout en continuant de bercer son bébé.

Martin Silenus avait le front posé contre le goulot de sa bouteille à présent vide. Il releva la tête en disant :

— La trahison est punie de mort. De toute manière (il gloussa), nous allons tous mourir dans quelques heures. Pourquoi notre dernier acte ne serait-il pas une exécution ?

Le père Hoyt fit une grimace, visiblement sous le coup d’un spasme de douleur. Il porta un doigt tremblant à ses lèvres gercées.

— Nous ne sommes pas une cour de justice.

— C’est faux, lui dit Kassad. Nous en sommes une.

Le consul se pencha en avant, les jambes repliées sous lui, et posa les avant-bras sur ses cuisses, les doigts noués.

— Vous n’avez qu’à décider, dit-il d’une voix qui ne laissait transparaître aucune émotion.

Brawne Lamia avait sorti l’automatique de son père. Elle le posa par terre près de l’endroit où elle était assise. Ses yeux allaient sans cesse du consul à Kassad.

— Qui peut parler de trahison ici ? demanda-t-elle. Trahison envers quoi ? Aucun de nous, à l’exception, peut-être, du colonel, ne peut être considéré comme un citoyen exemplaire. Nous sommes tous les jouets de forces qui nous dépassent.

Sol Weintraub s’adressa alors directement au consul.

— Ce que vous ignoriez, mon cher ami, c’est que Meina Gladstone et certains éléments du TechnoCentre, lorsqu’ils vous ont choisi comme émissaire auprès des Extros, savaient parfaitement de quelle manière vous alliez réagir. Peut-être ne pouvaient-ils pas deviner que les Extros connaissaient le moyen d’ouvrir les Tombeaux du Temps – bien que, avec les IA du TechnoCentre, on ne puisse jamais savoir – mais ils avaient certainement prévu que vous vous retourneriez contre les deux civilisations à la fois, les deux camps qui ont fait du mal à votre famille. Tout cela fait partie de je ne sais quel plan bizarre. Il est évident que vous n’aviez pas plus de libre arbitre en la matière que… (il souleva son bébé) cet enfant.

Le consul parut désorienté. Il voulut dire quelque chose, mais se ravisa et demeura muet, se contentant de hocher la tête.

— Il se peut qu’il ait raison, admit le colonel Kassad. Néanmoins, même si nous ne sommes tous que des pions sur un échiquier, nous nous devons d’être responsables du choix de nos actions.

Il leva les yeux vers le mur, où des pulsations de lumière venues de la lointaine bataille spatiale peignaient sur le plâtre blanc des motifs rouge sang.

— À cause de cette guerre, reprit-il, des milliers, peut-être des millions de gens vont mourir. Et si les Extros ou le gritche ont accès au système distrans du Retz, des milliards de vies, sur des centaines de mondes, seront menacées.

Le consul le regarda tranquillement tandis qu’il levait vers lui son bâton de la mort.

— Ce serait la solution la plus rapide pour tout le monde, reprit Kassad. Le gritche, lui, ne connaît pas la pitié.

Personne ne disait rien. Le regard du consul semblait fixé sur un point extrêmement éloigné.

Kassad remit la sûreté et glissa le bâton à sa ceinture.

— Nous sommes arrivés jusqu’ici ensemble, dit-il. Nous ferons le reste du chemin ensemble.

Brawne Lamia rangea le pistolet de son père, se leva, traversa l’espace qui la séparait du consul, s’agenouilla devant lui et lui passa les bras autour du cou. Pris au dépourvu, il leva un bras pour l’arrêter tandis que la lumière dansait sur le mur derrière eux.

Un instant plus tard, Sol Weintraub les rejoignit et les serra tous les deux contre lui en entourant leurs épaules d’un seul bras. Dans l’autre bras, Rachel gazouilla de plaisir au contact de toute cette chaleur humaine. Le consul perçut l’odeur de talc et de nouveau-né qui se dégageait d’elle.

— J’ai eu tort, murmura-t-il. J’ai une requête, moi aussi, à formuler devant le gritche. Une requête en sa faveur.

Il caressa doucement la nuque chaude du bébé. Martin Silenus émit un rire qui se termina en une sorte de sanglot.

— Nos dernières volontés, dit-il. Je ne sais pas si les muses accordent aussi des faveurs, mais je ne demande rien d’autre qu’une fin pour mon poème.

Le père Hoyt se tourna vers lui.

— Est-ce si important, qu’il ait une fin ?

— Oh oui, oui, oui ! grogna Silenus.

Il laissa tomber la bouteille vide, plongea la main dans son sac et en sortit une poignée de pelures qu’il brandit vers le groupe comme une offrande.

— Voulez-vous les lire ? Voulez-vous que je vous en donne lecture moi-même ? Je sens que cela me revient. Relisez le début. Relisez les Cantos que j’ai écrits il y a trois siècles et qui n’ont jamais été publiés. Tout est là. Absolument tout. Nous sommes tous dedans. Vous, moi, ce voyage. Ne comprenez-vous pas que je ne crée pas seulement un poème, mais l’avenir tout entier ?

Il lâcha les pelures, ramassa la bouteille vide, fronça les sourcils et la leva comme un calice.

— Je crée l’avenir, répéta-t-il sans redresser la tête. Mais c’est le passé qui a besoin d’être changé. Rien qu’un instant. Rien qu’une décision.