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La lumière pénétrait par mille ouvertures, se transformant en rayon irisé partout où elle trouvait une base colloïdale suffisante dans les nuages flottants de poussières, de lubrifiants et de sang. De l’endroit où se tenait Kassad, secoué par les trépidations du vaisseau, il apercevait plus d’une vingtaine de cadavres, nus et déchiquetés, qui dansaient avec la grâce sous-marine trompeuse d’un ballet d’outre-tombe sous gravité zéro. La plupart des corps flottaient au centre d’un microcosme de tissus et de sang. Plusieurs regardaient Kassad de leurs yeux exorbités comme dans un dessin animé, et les mouvements lents et langoureux de leurs bras et de leurs mains semblaient lui faire signe de s’approcher.

Kassad se propulsa à travers les débris flottants jusqu’au puits de descente qui menait au cœur de manœuvre du vaisseau. Il n’avait pas vu d’armes jusque-là – apparemment, personne à l’exception du marine n’avait eu le temps de s’équiper d’un scaphandre – mais il savait qu’il devait y avoir une armurerie dans le cœur de manœuvre ou dans le quartier des marines à l’arrière.

Il s’arrêta devant le dernier joint de pressurisation déchiqueté. Il laissa échapper un rire, cette fois-ci, derrière sa visière. Le puits de descente s’arrêtait là. Il n’y avait plus de tronçon arrière. Plus de vaisseau. Le tronçon où il se trouvait – un puits d’axe et un module de soins – avait été arraché au vaisseau aussi aisément que Beowulf avait arraché un bras au corps du monstre Grendel. La dernière porte, non fermée, du puits de descente s’ouvrait sur l’espace. À quelques kilomètres de là, Kassad apercevait une douzaine d’autres fragments ravagés du Merrick, culbutant sur eux-mêmes dans la lumière éblouissante du soleil. Une planète vert et lapis grossissait, si proche que, lorsque Kassad se tourna vers elle, il fut pris d’un violent accès d’acrophobie qui l’obligea à s’agripper encore plus fort à l’encadrement d’une porte. Au même moment, une étoile se détacha du limbe de la planète, des lasers de combat crachèrent leur morse couleur de rubis, et un tronçon mutilé de vaisseau, à cinq cents mètres de lui, explosa dans l’abîme spatial, projetant autour de lui une pluie de particules métalliques vaporisées, de matières volatiles gelées et de points noirs dont Kassad s’avisa qu’ils devaient être des cadavres humains.

Il se hâta de retourner dans la sécurité relative des profondeurs de l’épave et considéra la situation. La combinaison du marine lui permettrait de survivre encore une heure au maximum. Déjà, il sentait l’odeur d’œuf pourri du respirateur déréglé. Il n’avait vu, en traversant l’épave, aucun compartiment étanche, aucun caisson d’air. Et même s’il découvrait un sas ou un compartiment susceptible de l’abriter, en quoi cela l’avancerait-il ? Il ignorait si la planète qu’il avait vue était Garden ou Hypérion, mais il était sûr que la Force n’occupait aucun de ces deux mondes. Il était également certain qu’aucune force de défense locale n’était capable de tenir tête à un vaisseau extro. Des jours s’écouleraient avant qu’une patrouille ne vienne explorer cette épave. Et il n’était pas impossible que l’orbite de la carcasse pourrie qui lui servait d’abri se dégrade peu à peu, précipitant ses milliers de tonnes de métal vers une atmosphère qui la consumerait avec tout ce qu’elle contenait. Les autochtones n’apprécieraient pas beaucoup cela, mais il était peut-être préférable pour eux de laisser un morceau de ciel leur tomber sur la tête que de faire quelque chose qui risquerait de mécontenter les Extros. Si la planète possédait des systèmes de défense orbitale, même primitifs, ou bien des BCC sol-espace, se disait-il avec un sourire sinistre, il serait plus intelligent pour eux de pulvériser l’épave que de s’attaquer au vaisseau extro.

Pour Kassad, de toute manière, cela ne ferait aucune différence.

Il serait mort longtemps avant que la carcasse ne pénètre dans l’atmosphère ou que les autochtones ne passent à l’action.

L’écran amplificateur du marine avait été fêlé par le shrapnel qui l’avait tué, mais Kassad fit descendre ce qu’il en restait à hauteur de sa visière. Des voyants rouges clignotèrent. Cependant, il restait assez d’énergie dans la combinaison pour afficher une vue amplifiée d’un vert pâle sur le fond craquelé. Kassad repéra ainsi le vaisseau-torche des Extros, à une centaine de kilomètres de là, avec ses champs de protection qui occultaient les étoiles à l’arrière-plan. Plusieurs objets furent lancés à ce moment-là. Un instant, Kassad fut persuadé que c’était le coup de grâce et qu’il n’avait plus que quelques secondes à vivre. Un sourire amer éclaira son visage. Puis il remarqua la faible vitesse des engins, et augmenta légèrement l’amplification. Les voyants rouges clignotèrent de plus belle, et l’amplification tomba en panne, mais Kassad avait eu le temps d’apercevoir les formes ovoïdes, effilées à l’arrière, hérissées de propulseurs et de bulles de cockpit. Chaque engin remorquait un enchevêtrement de six bras manipulateurs sans articulations. Les militaires de la Force appelaient ces vaisseaux d’abordage extros des « calmars ».

Kassad s’enfonça au cœur de l’épave. Il estimait qu’il ne disposait que de quelques minutes avant que les calmars n’arrivent jusqu’à lui. Combien d’Extros pouvait-il y avoir à bord de ces engins ? Une dizaine ? Vingt ? Pas moins de dix, en tout cas, et ils seraient puissamment armés, équipés de viseurs infrarouges et de détecteurs de mouvements. Ce seraient des commandos d’élite, l’équivalent des marines de l’Hégémonie, non seulement entraînés à se battre sous gravité zéro mais vivant depuis toujours en impesanteur. Leurs longs membres, leurs orteils préhensiles et leur prothèse caudale leur donnaient un avantage accru dans ce type d’environnement. Et des avantages, ils en avaient déjà bien plus qu’il ne leur en fallait pour affronter Kassad.

Il se tapit silencieusement au milieu des morceaux de ferraille tordus, en luttant contre la montée d’adrénaline qui le poussait à se précipiter, hurlant de peur, dans les ténèbres extérieures. Que cherchaient les Extros ? Des prisonniers. C’était une manière immédiate de résoudre son problème de survie. Il n’avait qu’à se rendre. L’ennui, c’était qu’il avait vu des holos des services de renseignement de la Force montrant l’intérieur des vaisseaux extros capturés dans l’espace de Bressia. L’un des vaisseaux contenait dans ses soutes de conservation plus de deux cents prisonniers. Et les Extros avaient dû avoir beaucoup de choses à demander à ces citoyens de l’Hégémonie. Peut-être était-ce dû à leur désir de ne pas s’encombrer de tant de bouches à nourrir et de tant de prisonniers à garder. Peut-être était-ce le fait de leur manière de procéder aux interrogatoires. Toujours est-il que les civils de Bressia et les militaires capturés de la Force avaient été trouvés écorchés vifs, éventrés et cloués sur des râteliers comme des grenouilles dans un laboratoire de biologie, leurs organes baignant dans des fluides nutritifs, leurs bras et leurs jambes amputés avec une précision chirurgicale, leurs yeux retirés, leur cerveau préparé pour l’interrogatoire à l’aide de rudimentaires contacts corticaux et de dérivations connectées directement à un appareillage de communication à travers des trous de trois centimètres de diamètre pratiqués dans la boîte crânienne.