Il se pencha le plus possible en avant, essayant d’introduire les doigts de son gantelet dans les alvéoles. Quatre des six manipulateurs se mirent en mouvement. Le premier dérapa sur la coque. Le dernier finit par arracher un morceau de cloison à l’épave du Merrick.
Le calmar se libéra d’une secousse. Les caméras vidéo montrèrent deux silhouettes en scaphandre qui rataient leur cible et une troisième qui se raccrochait à la même antenne qui avait sauvé la vie de Kassad. Celui-ci savait à présent plus où moins où se trouvaient les commandes des propulseurs. Il les actionna frénétiquement. Un voyant s’alluma sur le tableau. Les projecteurs holos s’éteignirent. Le calmar se lança dans une manœuvre complexe qui réunissait tous les plus violents éléments du tangage, du lacet et du roulis. Kassad vit passer la silhouette en scaphandre au-dessus de la verrière du cockpit, l’écran vidéo avant la montra une fraction de seconde, puis l’écran arrière prit le relais jusqu’à ce que l’Extro ne fût plus qu’un point bientôt invisible. Et pendant tout ce temps, il – ou elle – continuait de décharger son pistolet à énergie jusqu’à ce que tout disparaisse.
Kassad luttait pour ne pas perdre conscience en raison des violents mouvements désordonnés de l’engin. Toutes les alarmes vocales et visuelles étaient déchaînées. Il actionna de nouveau les commandes des propulseurs, et estima que ses efforts étaient couronnés de succès lorsqu’il ne se sentit plus écartelé dans cinq directions à la fois mais dans deux seulement.
Une manipulation de caméra au hasard lui montra que le vaisseau-torche s’éloignait. Parfait. Il ne doutait pas que les Extros fussent capables de le détruire à tout instant, et ils le feraient à coup sûr s’il s’approchait d’eux ou s’il les menaçait de manière quelconque. Il ignorait si le calmar était armé, mais il ne devait pas contenir beaucoup plus que des armes antipersonnel. Dans tous les cas, aucun commandant de vaisseau-torche ne prendrait le risque de laisser s’approcher une navette incontrôlée. Kassad supposait que les Extros savaient tous maintenant que le calmar était aux mains d’un ennemi. Il ne serait pas surpris – simplement déçu – d’être vaporisé d’une seconde à l’autre par le vaisseau-torche. En attendant, il tablait sur deux émotions au plus haut degré humaines – sinon extro-humaines – la curiosité et le désir de vengeance.
La curiosité, comme il le savait, pouvait être aisément court-circuitée dans les moments de stress, mais il comptait sur une société semi-féodale et paramilitaire comme celle des Extros pour placer au plus haut les concepts d’honneur et de vengeance. Toutes choses étant égales par ailleurs, n’ayant pas la moindre chance de leur faire davantage de mal ni de leur échapper, il semblait bien que le colonel Kassad fût devenu le candidat le mieux placé pour l’accession à l’un de leurs plateaux de dissection. C’était son dernier espoir.
Il jeta un coup d’œil au moniteur vidéo avant, fronça les sourcils et relâcha juste assez longtemps son harnais pour regarder par la verrière au-dessus de lui. L’engin tournoyait toujours, mais pas aussi violemment que précédemment. La planète semblait se rapprocher. L’un des hémisphères emplissait l’horizon « supérieur », mais il n’avait aucune idée de la distance qui le séparait de l’atmosphère. Il était incapable de lire les paramètres affichés. Il ne pouvait que faire des conjectures sur sa vitesse orbitale et sur la violence du choc en cas de rentrée. Son examen visuel attentif de l’épave du Merrick lui avait donné l’impression qu’elle se trouvait tout près de la surface, peut-être pas à plus de cinq ou six cents kilomètres, sur une orbite d’attente convenant, par exemple, au lancement d’un vaisseau de descente.
Il voulut essuyer la transpiration sur son front, et poussa un juron lorsque le bout flasque de son gantelet cogna la visière de son casque. Il était épuisé. Il n’y avait que quelques heures qu’il était sorti de fugue, et on l’avait ramassé corporellement mort à peine quelques semaines de voyage avant cela.
Il aurait bien voulu savoir si la planète au-dessous de lui était Hypérion ou Garden. Il ne connaissait ni l’une ni l’autre, mais il savait que Garden était plus peuplée et sur le point de devenir une colonie de l’Hégémonie. Il espérait que c’était celle-là.
Le vaisseau-torche largua trois engins d’assaut. Kassad les aperçut clairement avant que la caméra de poupe ne les fasse sortir du champ. Il actionna les commandes des propulseurs jusqu’à ce qu’il eût l’impression de dégringoler un peu plus vite vers la muraille planétaire au-dessus de lui. Il ne voyait pas ce qu’il aurait pu faire de plus.
Le calmar atteignit l’atmosphère avant d’être rejoint par les trois chasseurs extros. Il était probablement à portée de tir, mais quelqu’un, dans le circuit de commandement, devait être assez curieux – ou furieux – pour ne pas ordonner de faire feu.
L’engin de Kassad était loin d’avoir un profil aérodynamique. Comme la plupart des navettes de vaisseau à vaisseau, il était conçu pour flirter avec les atmosphères planétaires, mais ce serait sa perte s’il plongeait trop brutalement dans le puits gravifique. Il vit le rougeoiement caractéristique de la rentrée, entendit l’accroissement de l’activité ionique sur les canaux ouverts de la radio et se demanda subitement si son idée était si bonne que ça.
Le flux atmosphérique stabilisa le calmar, et Kassad ressentit les premiers effets de la gravité en cherchant, parmi les commandes du fauteuil et du tableau, celles qui actionnaient les circuits qu’il espérait trouver. Un écran vidéo envahi par les parasites lui montra l’un des vaisseaux de descente, suivi de la traîne de plasma bleuâtre de sa décélération. L’effet d’optique était analogue à celui que connaissaient bien les chuteurs lorsqu’ils voyaient un de leurs compagnons en chute libre au moment où il ouvrait son parachute ou déployait ses suspentes. Le chasseur sembla grimper subitement.
Mais Kassad avait d’autres sujets de préoccupation. Il ne semblait pas y avoir de mécanisme d’éjection ni de système d’évacuation d’urgence de l’appareil. Toutes les navettes spatiales de la Force étaient munies d’un dispositif de sortie dans l’atmosphère. C’était une habitude qui datait de près de huit siècles et remontait à l’époque où les vols spatiaux dépassaient rarement la limite de l’atmosphère de l’Ancienne Terre. Une navette conçue pour des transbordements de vaisseau à vaisseau n’était pas censée avoir besoin de dispositifs d’éjection atmosphérique. Cependant, les terreurs ancestrales inscrites dans les anciens règlements de sécurité avaient la peau dure.
Telle était, tout au moins, la théorie. Kassad ne trouvait toujours rien. Le calmar commençait à trépider dangereusement. Il tournoyait, et la température grimpait rapidement. Kassad défit les attaches de son harnais et se traîna vers la soute, sans même savoir ce qu’il espérait y trouver. Un paquetage de survie ? Un parachute ? Une paire d’ailes ?
Il n’y avait rien, à l’exception du cadavre du pilote et de quelques cartons pas plus grands qu’une boîte à chaussures. Kassad les ouvrit, mais n’y trouva rien de plus utile qu’une trousse médicale, sans remède miracle.
Il entendait maintenant les craquements des membrures du calmar et se disait, agrippé à un anneau à pivot, que les Extros n’avaient sans doute pas gaspillé de l’argent ou de la place pour un dispositif qui avait si peu de chances de servir un jour. Pourquoi l’auraient-ils fait ? Ils passaient toute leur existence dans l’obscurité des espaces interstellaires, et l’idée qu’ils se faisaient d’une atmosphère correspondait au tube pressurisé de huit kilomètres de long d’une de leurs cités de métal.