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Les détecteurs audio externes de son casque-bulle commencèrent à lui transmettre le sifflement furieux de l’air sur la coque et à travers la verrière cassée de la section arrière. Kassad haussa les épaules, résigné. Il avait trop pris de paris. Cette fois-ci, il avait perdu.

Le calmar fit une série d’embardées. Kassad entendit le bruit du manipulateur arraché à l’avant. Le cadavre de l’Extro s’envola soudain à travers la verrière cassée comme une fourmi happée dans un aspirateur. Kassad, agrippé maintenant des deux mains à son anneau, avait les yeux tournés vers le cockpit et se disait que ces installations étaient vraiment archaïques, comme s’il s’agissait de pièces de musée. Une partie du revêtement extérieur était en train de brûler. Des fragments enflammés passaient au-dessus des verrières comme des projectiles de lave en fusion. Kassad ferma les yeux, essayant de se rappeler ce qu’il avait appris à l’École Militaire d’Olympus sur les structures et le revêtement des premiers vaisseaux de l’espace. Le calmar était maintenant secoué comme s’il allait se désagréger d’un instant à l’autre, dans un tumulte incroyable.

— Par Allah ! s’exclama Kassad.

Il n’avait pas poussé ce cri depuis son enfance. Il se hala frénétiquement en direction du cockpit, luttant contre le souffle qui l’attirait vers la verrière, en s’aidant des poignées du pont comme s’il grimpait sur une paroi verticale. Ce qu’il faisait en réalité. Le calmar avait pivoté, stabilisé en un plongeon de la mort, poupe par-dessus tête. Kassad devait lutter contre une force de 3 g, conscient du fait que le moindre faux mouvement risquait de rompre tous les os de son corps. Derrière lui, le sifflement de l’atmosphère se transforma en rugissement puis en hurlement de dragon. La soute s’embrasa dans une série d’explosions soufflées.

Grimper dans le siège de pilotage équivalait à escalader un surplomb de paroi avec le poids de deux autres grimpeurs suspendus à son dos. Les gantelets trop grands ne lui facilitaient pas la tâche tandis qu’il se balançait au-dessus du chaudron en flammes de la section arrière. Puis le vaisseau fit une nouvelle embardée, et Kassad en profita pour ramener ses jambes et se hisser dans le fauteuil. Les moniteurs vidéo avaient cessé de fonctionner. La verrière surchauffée avait un rougeoiement écœurant. Kassad était sur le point de perdre conscience lorsqu’il rassembla ses dernières forces pour se pencher en avant, tâtonnant dans l’obscurité au-dessous du siège, entre ses genoux, à la recherche de… Oui ! Une poignée… Non, par le Christ et Allah… Un anneau en D… issu tout droit des livres d’histoire…

L’engin était en train de se disloquer. Au-dessus de sa tête, la verrière éclata, répandant du Perspex liquide dans tout l’habitacle, éclaboussant la combinaison et la visière de Kassad. L’odeur du plastique fondu parvint à ses narines. Le calmar s’était remis à tournoyer en se désagrégeant. La vision de Kassad rosit, s’affaiblit, disparut totalement… De ses doigts gourds, il serra le harnais… serra… Ou les sangles lui rentraient dans la poitrine, ou le Perspex avait traversé sa combinaison… Sa main chercha de nouveau l’anneau en D. Ses doigts étaient trop maladroits pour se refermer dessus… Non… Tirer de toutes ses forces…

Trop tard. Le calmar explosa en un bouquet final de sifflements et de flammes. Le tableau de commande vola à travers le cockpit en un millier d’éclats de shrapnel.

Kassad se sentit écrasé contre son siège. Il se sentit projeté. Dans le ciel, au cœur des flammes.

Tout culbuta à plusieurs reprises.

Kassad eut vaguement conscience du fait que son siège, en basculant, s’était entouré d’un champ de confinement limité. Les flammes étaient à quelques centimètres à peine de son visage.

Des charges explosives propulsèrent le siège hors du sillage enflammé du calmar. Le fauteuil éjecté laissait sa propre trace bleue derrière lui tandis que ses microprocesseurs l’orientaient de manière à interposer l’écran de force entre son occupant et la fournaise de friction. Un géant était assis sur la poitrine de Kassad tandis qu’il décélérait sur deux mille kilomètres de ciel, sous une pression de huit gravités.

Il se força à ouvrir les yeux une seule fois, s’aperçut qu’il était replié en position fœtale dans le ventre d’une longue colonne de flammes d’un bleu presque blanc, puis referma les yeux. Il n’avait pas vu trace d’un système quelconque de parachute, de suspension ou de freinage. Mais peu importait. Il n’était plus capable de remuer ni les bras ni les jambes.

Le géant changea son poids de place, devint plus lourd.

Kassad s’aperçut qu’une partie de la bulle de son casque avait fondu ou disparu, emportée par le souffle. Le vacarme était insupportable. Mais quelle importance ?

Il serra les paupières encore plus fort. C’était le moment de faire un somme.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il vit la silhouette indistincte d’une femme penchée sur lui. Un instant, il crut que c’était elle. Puis il la regarda attentivement, et vit que c’était bien elle. Elle lui toucha la joue de ses doigts glacés.

— Est-ce que je suis mort ? murmura-t-il en levant la main pour lui saisir le poignet.

— Non.

Sa voix avait une douceur un peu rauque, voilée par un léger accent qu’il ne parvenait pas à identifier. C’était la première fois qu’il l’entendait parler.

— Es-tu réelle ?

— Oui.

Il soupira et regarda autour de lui. Il était nu sous une robe de chambre légère sur une sorte de lit ou de plate-forme au milieu d’une grande salle obscure comme une caverne. Au-dessus de lui, les étoiles étaient visibles à travers une brèche du plafond. Il tendit l’autre main pour lui toucher l’épaule. Ses cheveux formaient un nimbe noir au-dessus de lui. Elle portait une robe ample d’un tissu fin qui, même à la lumière des étoiles, lui laissait voir les contours de son corps. Il respirait son parfum, fait de l’arôme délicat du savon, de sa peau et du reste d’elle, qu’il se rappelait si bien de leurs précédentes rencontres.

— Tu dois avoir des choses à me demander, murmura-t-elle tandis que Kassad dégrafait la boucle dorée qui maintenait sa robe.

Le vêtement glissa au sol dans un froissement soyeux. Elle ne portait rien d’autre. Au-dessus d’eux, la ceinture de la Voie lactée était parfaitement visible.

— Non, fit Kassad en l’attirant contre lui.

Au petit matin, une brise se leva, mais Kassad remonta sur eux la couverture légère dont l’étoffe fine sembla préserver la chaleur de leurs corps tandis qu’ils demeuraient blottis dans les bras l’un de l’autre dans une quiétude parfaite. Quelque part, des rafales de sable ou de neige crissaient contre les murs nus. Les étoiles étaient nettes et brillantes.

Ils se réveillèrent peu de temps après le point du jour, leurs visages se touchant sous la couverture soyeuse. Elle passa la main le long de la hanche de Kassad, s’arrêtant sur ses cicatrices anciennes et récentes.

— Ton nom ? chuchota Kassad.

— Chut ! fit-elle en laissant glisser sa main plus bas.

Il enfouit son visage dans le creux parfumé de son cou. Ses seins étaient chauds et doux contre lui. Une lumière pâle les baignait. Quelque part, un vent de sable ou de neige crépitait contre les murs nus.

Ils firent l’amour, se rendormirent, refirent l’amour. Puis ils s’habillèrent. Il faisait maintenant plein jour. Elle avait disposé pour lui sur le lit des sous-vêtements, une tunique et un pantalon gris. Ils lui allaient parfaitement, de même que les chaussettes de mousse et les chaussures souples. Elle avait un ensemble du même genre, bleu marine.

— Dis-moi ton nom, lui redemanda Kassad tandis qu’ils quittaient le bâtiment à la toiture défoncée et sortaient dans les rues d’une cité morte.