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Un instant, Kassad crut qu’il s’agissait d’une autre personne parée des reflets chrome des champs de force dont ils étaient eux-mêmes drapés. Mais il n’y avait rien d’humain dans cet assemblage de vif-argent et de chrome. Comme en un rêve, Kassad remarqua ses quatre bras, les lames rétractiles de ses doigts, la profusion de piquants sur la gorge, au front, aux poignets, aux genoux et sur tout le corps. Mais il ne pouvait, surtout, détacher son regard des deux yeux aux milliers de facettes qui brillaient d’une flamme rouge auprès de laquelle la lumière du soleil pâlissait et les ombres prenaient des reflets sanglants.

Le gritche ! se dit Kassad.

— Le Seigneur de la Douleur, chuchota Monéta.

La créature tourna alors les talons et les guida vers la sortie de la cité morte.

Kassad approuvait en connaisseur la manière dont les Extros avaient organisé leurs défenses. Les deux engins d’assaut étaient posés à moins de cinq cents mètres l’un de l’autre, leurs canons, projecteurs et tourelles lance-missiles se couvrant respectivement ainsi qu’un champ de trois cent soixante degrés de tir. Les fantassins extros avaient pris la peine d’élever des remblais à une centaine de mètres de chaque vaisseau, et Kassad aperçut au moins deux blindés EM au sol, leurs tubes de projection et de lancement commandant la large plaine marécageuse déserte qui les séparait de la Cité des Poètes. Il y avait quelque chose d’anormal dans la vision de Kassad. Il percevait les champs de confinement des vaisseaux, qui se recouvraient en partie, sous la forme de minces rubans de brume jaune, et les détecteurs de mouvement ou les mines antipersonnel comme des œufs entourés de pulsations de lumière rouge.

Il cligna plusieurs fois des paupières, conscient d’une autre anomalie qu’il ne parvenait pas à définir. Puis il comprit soudain. En plus de la consistance de la lumière et de sa perception augmentée des champs d’énergie, c’était l’absence de tout mouvement qui était inhabituelle. Les Extros qu’il apercevait, y compris ceux qui se trouvaient dans une posture de mouvement, étaient aussi figés que les soldats de plastique avec lesquels il jouait, enfant, dans les bidonvilles de Tharsis. Les blindés étaient en position basse au centre de leurs fortifications, mais même leurs radars d’acquisition – qu’il percevait sous la forme d’un triangle d’arcs mauves concentriques – étaient immobiles. Il leva les yeux vers le ciel et vit une sorte de gros oiseau en suspens, comme un insecte dans une inclusion de résine. Il passa à portée d’un nuage de poussière soulevée par le vent, elle aussi en suspens, tendit une main de chrome et fit tomber à terre des spirales de particules brillantes.

Devant eux, le gritche s’avançait sans se presser à travers le dédale rouge des mines à détecteur de présence, enjambait les cordons bleutés des rayons de déclenchement, se baissait pour passer sous les pulsations mauves et immobiles des détecteurs des batteries de tir automatique, traversait le champ de confinement jaune puis le mur bleu-vert du périmètre de défense sonique, et pénétrait dans l’ombre de l’engin d’assaut, suivi de Monéta et de Kassad.

Comment est-ce possible ?

Il se rendit compte qu’il avait formulé la question par un moyen qui n’était pas tout à fait de la télépathie mais qui dépassait de beaucoup les possibilités technologiques d’un simple implant de conduction.

Il contrôle le temps.

Le Seigneur de la Douleur ?

Évidemment.

Que faisons-nous ici ?

Elle fit un geste en direction des Extros figés.

Ce sont tes ennemis.

Kassad eut l’impression de sortir finalement d’un long rêve. Tout cela était réel ! Les yeux de l’Extro devant lui, qui ne clignaient pas sous son casque, étaient réels, de même que le vaisseau d’assaut extro, dressé comme une pierre tombale géante couleur de bronze.

Fedmahn Kassad s’avisa alors qu’il aurait pu les tuer tous, jusqu’au dernier – commandos, marines, équipages – sans qu’ils puissent rien faire pour se défendre. Le temps ne s’était pas arrêté, il le savait, pas plus qu’il ne s’arrêtait lorsqu’un vaisseau passait en mode de propulsion Hawking. C’était juste une question de vitesse relative. L’oiseau figé finirait par achever son battement d’ailes au bout quelques minutes ou de quelques heures. La paupière de l’Extro battrait si Kassad avait la patience de l’observer jusque-là. Mais, dans l’intervalle, Kassad, Monéta et le gritche pouvaient les tuer tous sans qu’ils sachent même qu’ils étaient attaqués.

Ce ne serait vraiment pas juste, se disait Kassad. Cela représenterait la violation ultime du Nouveau Bushido, pire, à sa manière, que le massacre gratuit des civils. L’essence de l’honneur résidait dans l’instant de l’affrontement d’égal à égal. Il allait faire part de ces réflexions à Monéta lorsqu’elle lui dit – ou plutôt, pensa :

Regarde bien !

Le temps s’était remis à couler, dans une explosion qui n’était pas sans rappeler l’irruption brutale de l’air dans un sas. L’oiseau reprit son cercle et son vol vers le haut. La brise du désert souffla de nouveau ses particules de poussière contre le champ de confinement à charge statique. Un commando extro qui avait un genou à terre se releva pour voir le gritche et les deux silhouettes humaines, cria quelque chose dans son équipement de communication tactique et leva le canon de son pistolet à énergie.

Le gritche ne parut pas se déplacer. Pour Kassad, il cessa simplement d’être à un endroit pour apparaître simultanément à un autre endroit. Le commando poussa un deuxième cri, plus bref, puis baissa les yeux, comme incrédule, tandis que la main du gritche se retirait de sa poitrine en tenant son cœur entre ses doigts de métal acéré. Il ouvrit la bouche pour parler, puis s’écroula.

Kassad pivota sur sa droite pour faire face à un autre Extro en combinaison de combat, qui levait lourdement une arme. Kassad avança la main, perçut le bourdonnement du champ de force aux reflets de chrome et vit le tranchant de sa main pénétrer la combinaison, le casque et la base du cou de l’Extro, dont la tête se détacha et roula dans le sable.

Il sauta à pieds joints dans une tranchée. Plusieurs soldats commencèrent à se retourner. Le temps était toujours désarticulé. L’ennemi se déplaçait un instant au grand ralenti, puis aux quatre cinquièmes de la normale l’instant d’après. Mais jamais aussi vite que Kassad. Envolés, ses scrupules à propos du Nouveau Bushido ! Il avait devant lui des barbares qui avaient essayé de le tuer ! Il brisa la nuque d’un fantassin, s’écarta, fit entrer ses doigts de chrome rigides dans le corps d’un deuxième, broya le larynx d’un troisième, esquiva sans difficulté une lame de poignard plongeant sur lui au ralenti et disloqua d’un coup de pied l’épine dorsale de celui qui l’attaquait. Puis il bondit hors de la tranchée.

Kassad !

Il baissa la tête pour éviter le rayon laser qui balayait l’air au niveau de son épaule dans un grésillement de lumière rubis. L’odeur d’ozone demeura.

Impossible ! se dit-il. Je viens d’esquiver un rayon laser !

Il ramassa un caillou et le lança sur l’Extro qui servait le clap monté sur l’un des blindés. Il y eut un bang sonique, puis l’artilleur explosa entièrement vers l’arrière. Kassad se baissa pour extraire une grenade au plasma de la cartouchière d’un cadavre, se rua vers l’écoutille du blindé et se trouvait déjà à trente mètres de distance lorsque l’explosion souleva un geyser de flammes aussi haut que le nez d’un vaisseau de descente.