Kassad s’arrêta au cœur de la tempête pour observer Monéta, entourée de son propre cercle de carnage. Elle était éclaboussée de sang, mais celui-ci n’adhérait pas à elle et coulait comme de l’huile à la surface de l’eau sur les courbes irisées de son menton, ses épaules, ses seins et son ventre. Elle le regarda, par-dessus le champ de bataille, et il sentit monter en lui un nouvel élan de désir de sang.
Derrière Monéta, le gritche se déplaçait lentement au milieu du chaos, choisissant ses victimes comme s’il cueillait des fruits. Il continuait de disparaître et d’apparaître, et Kassad comprit que, pour le Seigneur de la Douleur, Monéta et lui devaient donner l’impression de se déplacer aussi lentement que les Extros par rapport à eux.
Le temps fit un nouveau bond aux quatre cinquièmes. Les Extros survivants étaient pris de panique. Ils se tiraient les uns sur les autres, abandonnant leurs postes, se battant pour monter les premiers dans le vaisseau. Kassad essaya d’imaginer ce que les deux dernières minutes avaient dû représenter pour eux. Des fantômes flous pénétrant leurs défenses, faisant sauter leurs têtes ou leurs membres dans des gerbes de sang. Il voyait Monéta qui s’en donnait à cœur joie, tailladant et broyant l’ennemi. À sa grande surprise, il s’aperçut qu’il pouvait, dans une certaine mesure, agir sur le temps. Un battement de paupières, et ses adversaires ralentissaient à un tiers de son propre rythme. Un autre battement, et le flux du temps redevenait presque normal. Son sens de l’honneur et de l’équité lui dictait d’arrêter le massacre, mais sa soif de sang, d’une agressivité presque sexuelle, balayait tout scrupule.
Quelqu’un, à l’intérieur du vaisseau, avait bloqué le sas, et un commando terrorisé lança une charge creuse au plasma pour faire sauter la porte. La foule des Extros s’engouffra à l’intérieur, piétinant les blessés dans sa fuite éperdue devant des tueurs invisibles. Kassad entra avec les autres.
L’expression « se défendre comme une panthère acculée » dit bien ce qu’elle veut dire. Dans toute l’histoire des grandes batailles militaires, il y a toujours eu des combattants humains qui se sont défendus avec la dernière énergie dans des endroits où toute fuite leur était impossible. Que ce soit dans les couloirs de La Haye Sainte et de Hougoumont, à Waterloo, ou bien au plus profond des souterrains de Lusus, quelques-uns des plus féroces corps à corps de l’histoire se sont déroulés dans des espaces exigus interdisant toute retraite, et ce fut le cas ce jour-là. Les Extros se battirent comme des panthères acculées… et périrent jusqu’au dernier.
Le gritche avait démantelé le vaisseau. Monéta s’occupa de massacrer la soixantaine de commandos demeurés à leurs postes à l’extérieur, et Kassad extermina ceux qui étaient à l’intérieur.
Finalement, le deuxième vaisseau extro tira sur celui qui était condamné. Mais Kassad l’avait déjà quitté, et il contempla les couleurs irisées des rayons de particules et des faisceaux laser à haute énergie qui se traînaient vers lui, suivis, une éternité plus tard, de missiles qui avançaient si lentement qu’il aurait pu écrire son nom sur eux pendant leur vol. Tous les Extros du premier vaisseau étaient déjà morts. Le bâtiment était couché sur le flanc, mais son champ de confinement était toujours actif. La dispersion de l’énergie et les explosions provoquées par l’impact projetèrent des cadavres sur tout le périmètre, mirent le feu au matériel et vitrifièrent le sable. Mais Kassad et Monéta étaient à l’abri d’un dôme de flammes orange lorsque le deuxième vaisseau se retira dans l’espace.
Est-ce qu’on ne peut pas les arrêter ? haleta Kassad, qui transpirait à grosses gouttes et tremblait littéralement d’excitation.
Ce serait possible, répliqua Monéta, mais nous préférons qu’ils s’enfuient pour transmettre le message à leur essaim.
Le message ? Quel message ?
— Approche, Kassad.
Il se retourna au son de sa voix. Autour d’elle, le champ de force réfléchissant avait disparu. La peau de Monéta était luisante de sueur. Ses cheveux noirs collaient à ses tempes. Les pointes de ses seins avaient durci.
— Viens, dit-elle.
Kassad baissa les yeux pour examiner son propre corps. Le champ de force qui le protégeait avait disparu – il l’avait supprimé par sa simple volonté – et il était sexuellement plus excité que jamais.
— Viens, répéta Monéta à voix basse.
Il s’avança jusqu’à elle et la souleva, sentant dans ses mains la douceur de ses fesses huilées de sueur. Il la porta sur une élévation de terrain couverte d’un tapis d’herbe, et la posa entre des piles de cadavres extros. Puis il lui ouvrit les cuisses d’un mouvement du genou, en tirant vers le haut ses deux poings serrés dans une seule main pour les clouer au sol dans le prolongement de son corps. Il abaissa ensuite son corps mince et glissant entre ses jambes.
— Oui, murmura-t-elle tandis qu’il lui embrassait le lobe de l’oreille gauche, posait les lèvres sur la pulsation qui faisait battre le creux de son cou, léchait la pellicule de sueur salée sur ses seins.
Tous ces morts gisant autour de nous. Et tant d’autres à venir. Des milliers. Des millions. Tous ces ventres morts qui gargouillent de rire. Ces longues files de soldats sortant des grands vaisseaux portiers pour se jeter directement dans les flammes qui les attendent…
— Oui, fit le souffle chaud de Monéta à son oreille.
Libérant ses mains, elle les glissa le long des épaules trempées de Kassad, creusant de longs sillons avec ses ongles dans son dos puis agrippant ses fesses pour l’attirer plus près d’elle. Son érection racla la toison pubienne, pulsa contre l’arrondi de son ventre.
Portes distrans s’ouvrant pour laisser passer les fuseaux glacés des gros porteurs de combat. Chaleur des explosions au plasma. Vaisseaux dansant et mourant par centaines, par milliers, comme des grains de poussière dans la tempête. Rayons géants de lumière rubis solidifiée traversant d’immenses étendues, baignant leur objectif d’un spasme ultime de chaleur irradiante, corps en ébullition dans la lumière rougeoyante…
— Oui, fit Monéta en lui ouvrant sa bouche et son corps.
Il sentit sa chaleur en haut et en bas, sa langue explorant sa bouche tandis qu’il la pénétrait, accueilli par un doux étau de friction lubrifiée. Il s’enfonça de tout son corps, se retira légèrement, se laissa envahir par l’ivresse moite et brûlante et replongea tandis qu’elle synchronisait ses mouvements avec lui.
Explosions de soleils sur des centaines de mondes. Continents livrés aux flammes de spasmes aveuglants. Mers en ébullition. L’atmosphère elle-même prend feu. Les océans d’air superchaud se soulèvent comme la peau excitée au contact de la main d’un amant.
— Oui… Oui… Oui…
Le souffle brûlant des lèvres de Monéta effleure les siennes. Sa peau est d’huile et de soie. Il accélère maintenant son rythme, l’univers se contracte et les sensations éclatent. Ses sens se rétractent tandis qu’elle le serre dans son fourreau lustré et que ses hanches le cognent sauvagement en réponse à la terrible montée en puissance qui fait trembler, irrésistible, la base de son être. Il grimace, ferme les yeux, et voit…
… des boules de feu qui entrent en expansion, des étoiles qui meurent, des soleils qui explosent en un brasier de pulsations géantes, des systèmes solaires qui meurent dans un déchaînement de destruction extatique…