… il sent une douleur dans sa poitrine. Son mouvement de hanches continue, s’accélère, même quand il ouvre les yeux et voit…
… l’énorme épine d’acier qui surgit de la poitrine de Monéta et qui manque de l’empaler tandis qu’il se redresse par réflexe, en arrière. La lame d’acier a fait couler son sang, qui goutte sur la chair pâle de la fille, à présent réfléchissante comme un miroir, froide comme du métal mort. Les hanches de Kassad sont toujours en mouvement, bien qu’il perçoive, de son regard voilé par la passion, les changements qui rétractent et durcissent les lèvres de Monéta, révélant des rangées de lames d’acier à la place des dents. Des scalpels lacèrent ses fesses là où des doigts l’étreignaient, ses hanches sont prisonnières de puissants cercles d’acier là où des jambes se refermaient sur lui, et il voit ses yeux… dans les quelques secondes précédant l’orgasme, où il tente de se retirer… refermant ses mains sur la gorge d’acier… tandis qu’elle s’agrippe comme une sangsue, une lamproie prête à le vider… et qu’ils roulent contre les cadavres environnants… ses yeux rouges brillant comme des rubis… brûlant d’une chaleur folle, comme celle qui ravage ses testicules près d’éclater, de s’embraser comme un incendie, de verser leur flot jaillissant…
Il plaque violemment ses deux mains au sol, se soulève pour lui échapper, mû par une énergie insensée, mais impuissante à lutter contre la terrible gravité qui les cloue ensemble, qui les suce comme une bouche de lamproie et qui menace de le faire exploser… Il la regarde dans les yeux, et voit… la mort d’un monde… la mort de tous les mondes !
Il se redresse, de nouveau, en hurlant, et des lanières de chair se déchirent de lui tandis qu’il réussit enfin à s’arracher à elle. Des mâchoires se referment en claquant dans le vagin de fer, manquant son gland d’un millimètre moite. Il retombe sur le côté, roule sur lui-même, encore pompant des hanches, incapable de retenir son éjaculation. Le sperme jaillit en torrent, retombe sur le poignet serré d’un mort. Kassad gémit, roule encore sur lui-même, se rétracte dans la position du fœtus et jouit encore, et encore.
Il entend le sifflement et le frottement de son mouvement lorsqu’elle se lève derrière lui. Il roule sur le dos et plisse les paupières pour lutter contre le soleil aveuglant et sa propre douleur. Elle le surplombe, les jambes écartées, silhouette hérissée de piquants. Il essuie la sueur sur son front, voit son poignet couvert de sang et se prépare à recevoir le coup de grâce. Sa peau se contracte, attendant la lame qui va le déchirer. Haletant, il lève les yeux et ne voit plus que Monéta au-dessus de lui, ses cuisses de chair – et non d’acier – luisantes, sa toison mouillée du flot de leur étreinte passionnée. Son visage est sombre, elle a le soleil derrière elle, mais il aperçoit des restes de flammes rouges qui se meurent dans l’abîme à multiples facettes de son regard. Elle lui sourit, et il voit des éclats de soleil se refléter sur l’alignement de ses dents de métal. Elle murmure :
— Kassad…
Mais c’est le bruit du sable crépitant contre des ossements qu’il entend.
Il arrache son regard au sien, se remet péniblement debout et enjambe les morts et les décombres encore fumants dans sa terreur panique qui le pousse à fuir ces lieux de toute la vitesse de ses jambes. Il ne se retourne pas une seule fois.
Un peu moins de deux jours plus tard, une patrouille des Forces Territoriales d’Hypérion retrouva le colonel Fedmahn Kassad gisant, inconscient, sur une petite élévation de terrain couverte d’un tapis d’herbe, à peu de distance de la forteresse abandonnée de Chronos, et à une vingtaine de kilomètres de la cité morte et de l’épave du compartiment d’éjection extro. Kassad était entièrement nu, et presque mort des suites de ses blessures graves et de son séjour exposé aux éléments. Il réagit cependant de manière satisfaisante aux premiers soins sur le terrain, et fut immédiatement évacué par la voie des airs vers la Chaîne Bridée puis sur un hôpital de Keats. Les patrouilles de reconnaissance des FT firent prudemment route vers le nord, en prenant soin d’éviter le plus possible les marées anentropiques aux abords des Tombeaux du Temps, attentives aux engins piégés que les Extros auraient pu laisser derrière eux. Mais elles ne trouvèrent rien de tel. Tout ce qu’elles découvrirent, ce fut l’épave de l’appareil qui avait permis à Kassad d’échapper aux Extros ainsi que les carcasses brûlées des deux vaisseaux de descente qui l’avaient poursuivi. Aucun indice n’expliquait pourquoi ils avaient scorifié leurs propres vaisseaux et les cadavres disséminés à l’intérieur et autour des épaves, brûlant le tout en une masse impossible à analyser ou à autopsier.
Kassad avait repris conscience trois jours locaux plus tard, en jurant qu’il ne se rappelait absolument rien à compter du moment où il s’était emparé du calmar. Un vaisseau-torche de la Force l’avait pris à son bord quinze jours après pour lui faire regagner le Retz.
Il démissionna alors de l’armée, et participa quelque temps aux activités de plusieurs mouvements antimilitaristes. On le vit deux ou trois fois sur les écrans de la Pangermie, à l’occasion de débats où il défendait le désarmement. Mais l’attaque de Bressia avait orienté l’opinion de l’Hégémonie vers la guerre interstellaire totale, mieux que n’auraient su le faire trois siècles de discours, et la voix de Kassad fut noyée ou bien mise sur le compte de scrupules de conscience affectant tardivement le Boucher de Bressia.
Durant les seize années qui suivirent Bressia, Kassad disparut totalement de la conscience du Retz. Il n’y eut plus de grande bataille, les Extros demeurant cependant les croque-mitaines de l’Hégémonie tandis que s’estompait le souvenir des prouesses de Kassad.
La matinée était presque achevée lorsque Fedmahn Kassad acheva son histoire. Le consul battit des paupières et regarda autour de lui, de nouveau conscient du vaisseau et de tout ce qui l’entourait pour la première fois depuis deux bonnes heures. Le Bénarès avait maintenant rejoint le cours principal du fleuve Hoolie. Le consul entendait les craquements des chaînes et des câbles tirés par les mantas dans leurs harnais. Le Bénarès était apparemment le seul navire qui remontait le fleuve, mais il y en avait plusieurs dans l’autre sens. Le consul se frotta le front. Il fut surpris de retirer sa main couverte de sueur. La journée était chaude, et l’ombre de la bâche s’était déplacée sans qu’il s’en aperçût. Il cilla, se frotta les yeux et gagna un coin d’ombre pour se verser à boire en choisissant l’une des bouteilles que les androïdes avaient posées sur un petit meuble à proximité de la table.
— Mon Dieu ! fit alors le père Hoyt. D’après cette Monéta, les Tombeaux du Temps se déplaceraient donc en arrière dans le temps ?
— C’est exact, répliqua Kassad.
— Est-ce vraiment possible ?
— Tout à fait, lui répondit Sol Weintraub.
— Si ce que vous dites est vrai, intervint Brawne Lamia, vous auriez rencontré cette Monéta dans son passé, mais dans votre propre avenir, en un moment qui n’est pas encore arrivé pour nous.
— C’est cela, fit Kassad.
Martin Silenus alla se pencher sur le bastingage et cracha dans le fleuve.
— Colonel, est-ce que vous croyez que cette salope était en réalité le gritche ?
— Je l’ignore, fit Kassad dans un murmure à peine audible.
Silenus se tourna vers Sol Weintraub.
— Vous êtes un érudit. Y a-t-il quoi que ce soit dans la mythographie du gritche qui indique que ce monstre soit capable de changer de forme ?