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Je me mis à rire, pour la dernière fois.

— Il y a un système de traitement chimique, lui dis-je. De plus, j’ai vendu la maison hier. Le chèque de remboursement du reliquat de l’avance a dû vous parvenir.

Tyrena effleura de la main le manche en plastique de son bâton de la mort.

— Transverse a racheté les droits du concept de la Terre qui meurt, comme vous le savez. Quelqu’un d’autre écrira la série à votre place.

— Je lui souhaite bien du plaisir, fis-je en inclinant la tête.

Quelque chose avait changé dans la voix de mon éditrice quand elle s’était aperçue que je ne plaisantais pas. Je compris qu’elle avait des avantages à tirer de ma collaboration future avec Transverse, mais je ne voyais pas lesquels.

— Je suis sûre que nous pouvons arranger ça, Martin, murmura-t-elle. Je discutais, l’autre jour, avec le patron, et je lui disais justement que Transverse devrait augmenter vos à-valoir et vous laisser débuter une nouvelle série…

— Tyrena, Tyrena, soupirai-je. Adieu.

Je me distransportai alors sur le Vecteur Renaissance, puis sur Parcimonie, où j’embarquai à bord d’un vaisseau de spin pour gagner Asquith et le royaume surpeuplé du roi Billy le Triste.

(Notes pour un portrait sommaire du roi Billy le Triste :)

Son Altesse Royale William XXIII, souverain du royaume de Windsor-en-Exil, ressemble un peu à une chandelle de suif humaine qui aurait séjourné un peu trop longtemps sur un poêle trop chaud. Ses longs cheveux coulent en fins ruisseaux vers ses épaules molles tandis que les sillons de son front rejoignent, un peu plus bas, les rides qui entourent ses yeux de basset, pour continuer, à travers les plis et les replis de ses joues flasques, jusqu’au dédale tremblotant des fanons de son cou et de ses bajoues. On dit que, pour les anthropologues, Billy le Triste rappelle les poupées de chagrin de Kinshasa, tandis que pour les gnostiques zen il évoque le Bouddha de miséricorde après l’incendie du temple de Taï Zhin. Quant aux historiens des médias, ils courent, en le voyant, à leurs photos d’archives, pour vérifier la ressemblance avec un ancien acteur de cinéma bidim nommé Charles Laughton. Mais aucune de ces références n’a de signification pour moi. Plus je regarde Billy le Triste, plus je pense à la figure de mon ancien précepteur, don Balthazar, après une cuite de huit jours.

La réputation de morosité du roi Billy le Triste est quelque peu exagérée, me semble-t-il. Il rit assez souvent, en fait, mais il a le malheur, ce faisant, de secouer ses bajoues de telle manière que la plupart des gens sont persuadés qu’il sanglote.

On ne peut rien pour changer sa physionomie. Dans le cas de Son Altesse Royale, cependant, le personnage tout entier suggère soit le bouffon, soit la victime. Son costume, s’il est permis d’employer ce mot, frise perpétuellement l’anarchie et représente un véritable défi au sens du goût et des couleurs de ses serviteurs androïdes. Il y a des jours où il jure non seulement avec son entourage, mais avec lui-même. Et l’impression de chaos ne concerne pas que sa mise. Le roi Billy évolue dans une atmosphère de laisser-aller permanent. Sa braguette n’est jamais fermée, sa cape de velours est déchirée et balaie toutes les poussières du sol. La ruche de sa manche gauche est deux fois plus longue que celle de sa manche droite, celle-ci donnant l’impression d’avoir été plongée dans un bocal de confiture.

Je pense que vous voyez ça d’ici.

Malgré tout, le roi Billy le Triste possède un esprit intuitif et une passion pour les arts et la littérature qui n’ont pas été égalés depuis l’époque authentique de la Renaissance sur l’Ancienne Terre.

Sous certains aspects, Billy le Triste est un enfant adipeux au visage éternellement collé contre la vitrine d’un marchand de bonbons. Il aime et apprécie en connaisseur la grande musique, mais est incapable d’en produire. Amateur de ballets et de toutes choses gracieuses, Son Altesse a la légèreté d’un cornichon ambulant doublé d’une andouille comique. Lecteur passionné, critique de poésie au goût infaillible, amateur de rhétorique, le roi Billy allie un bégaiement rédhibitoire avec une timidité telle qu’il ne peut jamais se résoudre à montrer sa prose ou sa poésie à quiconque.

Célibataire toute sa vie, entrant dans sa soixantième année, le monarque habite un palais délabré et un royaume de cinq mille mètres carrés comme s’il s’agissait d’un autre de ses costumes royaux dépenaillés, et les anecdotes ne manquent pas sur sa légendaire distraction. Un jour, l’un des peintres auxquels il sert de mécène le croise en train de marcher la tête penchée en avant, les mains croisées dans le dos, un pied sur l’allée de gravier du jardin et l’autre dans la boue, visiblement perdu dans ses pensées. L’artiste interpelle respectueusement le roi. Celui-ci relève la tête en battant des paupières, regarde autour de lui comme s’il sortait d’un long sommeil et demande au peintre médusé :

— Exc-c-c cusez-moi… Est-ce que j-j-j j’allais dans la d-d-d direction du p-p-p-p palais ou d-d-d-d dans l’autre ?

— Dans celle du palais, Majesté, répond l’artiste.

— Ah b-b-b bon, fait le roi. C’est d-d-d donc que j’ai d-d-d déjà d-d-d déjeuné.

Le général Horace Glennon-Height était déjà entré en rébellion, et le monde reculé d’Asquith était tout droit sur son chemin de conquête. Asquith ne se tourmentait pas outre mesure pour cela, l’Hégémonie ayant proposé de faire bouclier avec une flottille de la Force. Mais le royal souverain du royaume de Monaco en exil semblait dans un état de déliquescence adipeuse un peu plus avancé qu’à l’accoutumée lorsqu’il me fit appeler pour me dire :

— M-M-M Martin, vous avez entendu p-p-p parler de la b-b-b bataille de F-F-F Fomalhaut ?

— Oui, répondis-je. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de s’inquiéter, Majesté. Fomalhaut est exactement le genre de planète qui intéresse Glennon-Height. Un monde de petite taille, pas plus de quelques milliers de colons, des richesses minières, un déficit de temps d’au moins… Combien ? Vingt mois par rapport au Retz ?

— V-V-V Vingt-trois, fit le roi. Vous ne p-p-p pensez donc pas que nous soyons en d-d-d danger ?

— Pas du tout. Avec une durée de transit réel de trois semaines et un déficit de temps inférieur à un an, l’Hégémonie peut nous envoyer des renforts avant que le général ait le temps d’arriver de Fomalhaut avec ses vaisseaux de spin.

— Vous avez p-p-p peut-être raison, fit le roi Billy en s’appuyant sur un globe qui se mit à tourner sous son poids et l’obligea à se redresser dans un sursaut. Mais, né-né… néanmoins, j’ai décidé de pré-pré préparer notre modeste hégire.

Je battis des paupières, surpris. Billy parlait depuis deux ans de déménager le royaume en exil, mais je n’avais jamais pensé qu’il pouvait parler sérieusement.

— Les vai-vai les vaisseaux sont prêts sur Papa… sur Parvati, dit-il. Asquith a accepté de nous fou-fou… de nous prêter les moyens de trans… de transport dont nous avons b-b-b besoin pour rejoindre le Retz.

— Mais votre palais, Majesté ? La bibliothèque ? Les dépendances ?

— Cédés en échange, naturellement. Mais le contenu de la bi-bi… bliothèque partira avec nous.

Assis sur le bras du canapé de crin, je me frottai plusieurs fois les joues. Depuis dix ans que je me trouvais dans le royaume, j’étais passé du statut de simple protégé à celui de précepteur, confident et ami du roi, mais jamais je n’avais réellement essayé de résoudre l’énigme de ce personnage. Dès mon arrivée, il m’avait accordé audience.

— Sou-Sou Souhaitez-vous rejoindre les rangs des artistes ta-ta talentueux de notre pe-pe petite co-co… lonie ?