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Elle avait hâte de se réveiller le lendemain entourée par les teintes automnales des plaines de Thingvellir. Du plus loin qu’elle se souvenait, on avait fait de la publicité pour des excursions spécialement consacrées à l’observation des couleurs dont le parc national se parait à l’automne, du reste elles n’étaient nulle part aussi belles que sur les rives du lac où les bruns rouille et les jaunes orangés de la végétation à l’agonie s’étendaient aussi loin que portait le regard.

Elle avait commencé par sortir son bagage de la voiture et le déposer à côté de la porte, sur la terrasse. Elle avait enfoncé la clef dans la serrure, ouvert la porte et cherché à tâtons l’interrupteur. Une lumière s’était allumée dans le couloir menant à la cuisine et elle était entrée avec une petite valise qu’elle avait posée dans la chambre conjugale. Elle avait été étonnée de constater que le lit n’avait pas été fait. Cela ne ressemblait pas à Maria. Une serviette de bain traînait sur le sol des toilettes. En allumant la lumière de la cuisine, elle avait perçu une étrange présence. Elle n’avait pas peur du noir, mais son corps avait brusquement été parcouru d’une sensation désagréable. La salle à manger était plongée dans l’ombre. Quand il faisait jour, on y jouissait d’une vue sublime sur le lac de Thingvellir.

Karen avait allumé la lumière de la salle.

Quatre poutres imposantes traversaient le plafond de part en part et à l’une d’elles était pendu un corps qui lui tournait le dos.

Elle sursauta si violemment qu’elle heurta le mur et que sa tête se cogna contre le lambris. L’espace d’un instant, ses yeux se voilèrent de noir. Accroché à la poutre par une fine cordelette bleue, le cadavre se reflétait dans la vitre obscure de la fenêtre. Elle ignorait combien de temps s’était écoulé avant qu’elle n’ose s’approcher un peu plus près. L’environnement paisible du lac s’était, en un instant, transformé en une vision d’effroi que jamais elle n’oublierait. Chaque détail s’était gravé dans sa mémoire. Le tabouret de la cuisine, cet objet qui n’avait pas sa place dans la salle à manger au style épuré, couché sur le côté en dessous du cadavre. La couleur bleue de la cordelette. Le reflet dans la fenêtre du salon. L’obscurité posée sur les plaines de Thingvellir. Et ce corps immobile sous la poutre.

Elle s’était approchée avec précaution et avait découvert le visage gonflé et bleui. Son mauvais pressentiment s’était vérifié. C’était son amie. C’était Maria.

2

Le temps lui avait semblé étonnamment bref entre le moment de son appel et l’arrivée sur les lieux des secouristes, accompagnés d’un médecin et de policiers de la ville de Selfoss. L’affaire était entre les mains de la Criminelle de Selfoss, laquelle savait en tout et pour tout que la femme qui avait mis fin à ses jours venait de Reykjavik, qu’elle était domiciliée dans la banlieue de Grafarvogur, mariée, sans enfant.

Les hommes discutaient à voix basse à l’intérieur du chalet. Ils se tenaient, mal à l’aise, dans cette maison inconnue où un événement terrible venait de se produire.

– C’est vous qui nous avez appelés ? demanda un jeune policier.

On lui avait indiqué la femme qui avait découvert le cadavre, assise dans la cuisine, prostrée et les yeux fixés sur le sol.

– Oui, je m’appelle Karen.

– On peut contacter la cellule d’aide psychologique si…

– Non, je crois que… ça ira.

– Vous la connaissiez bien ?

– Je connaissais Maria depuis gamine. Elle m’avait prêté son chalet. J’avais l’intention d’y passer le week-end.

– Et vous n’avez pas vu sa voiture à l’arrière ? demanda le policier.

– Non, je pensais qu’il n’y avait personne. Puis j’ai remarqué que le lit n’avait pas été fait et quand je suis entrée dans la salle à manger… Je n’ai jamais vu ça. La pauvre Maria ! La pauvre fille !

– Quand lui avez-vous parlé pour la dernière fois ?

– Il y a quelques jours. Lorsqu’elle m’a prêté le chalet.

– Elle vous a dit qu’elle y serait ?

– Non, elle n’a rien dit. Elle m’a simplement dit que ça allait de soi qu’elle me le laissait pour le week-end. Que ça ne posait aucun problème.

– Et elle était… en forme ?

– Oui, c’est l’impression que j’ai eue. Quand je suis passée chercher la clef, elle m’a semblé dans son état normal.

– Donc, elle savait que vous alliez venir ici ?

– Oui. Qu’est-ce que vous voulez dire ?

– Qu’elle savait que vous alliez la trouver, précisa le policier.

Il avait pris un tabouret et s’était assis à côté d’elle pour lui parler. Elle lui attrapa le bras et le dévisagea.

– Vous pensez que… ?

– Il est possible qu’elle ait voulu que ce soit vous qui la trouviez, reprit le policier. Mais ce n’est qu’une hypothèse.

– Pourquoi aurait-elle voulu ça ?

– Ce n’est qu’une éventualité.

– En tout cas, elle savait que je passerais le week-end ici. Elle savait que je viendrais. Quand… quand est-ce qu’elle a fait ça ?

– Nous n’avons pas encore de conclusion définitive sur ce point, mais le médecin pense que ça a dû se produire hier soir au plus tard. Ça doit remonter à vingt-quatre heures tout au plus.

Karen se cacha le visage dans les mains.

– Mon Dieu, c’est tellement… c’est tellement irréel. Je n’aurais jamais dû lui demander de me prêter son chalet. Vous avez interrogé son mari ?

– Nos hommes sont en route. Ils habitent à Grafarvogur, c’est ça ?

– Oui, comment a-t-elle pu en arriver là ? Comment un être humain peut-il faire une chose pareille ?

– Il faut une bonne dose de détresse, répondit le policier en faisant signe au médecin de le rejoindre. Une âme qui vacille. Vous n’avez rien perçu de semblable chez elle ?

– Elle a perdu sa mère il y a deux ans, observa Karen. Cela l’a beaucoup affectée. Elle est morte d’un cancer.

– Je comprends, dit le policier.

Karen détourna le visage. Le policier lui demanda si le médecin pouvait faire quelque chose pour l’aider. Elle secoua la tête et répondit qu’elle allait bien, mais qu’elle avait envie de rentrer chez elle s’ils n’y voyaient pas d’objection. Cela ne posait aucun problème. Ils l’interrogeraient plus tard en cas de besoin.

Le policier l’accompagna jusqu’au parking devant le chalet et lui ouvrit la porte de la voiture.

– Vous êtes certaine que ça va aller ? s’inquiéta-t-il une fois encore.

– Oui, je suppose, répondit Karen. Merci beaucoup.

Il la regarda effectuer son demi-tour avant de s’éloigner. Quand il revint au chalet d’été, le cadavre avait été dépendu du plafond et allongé sur le sol. Il s’agenouilla à côté. La femme portait un tee-shirt blanc et un jean, elle était pieds nus. Ses cheveux bruns étaient coupés court, elle était mince et menue. Il ne distinguait aucune trace de lutte, ni sur ce corps ni à l’intérieur de la maison, rien que ce tabouret dont la femme s’était servie pour accrocher la corde à la poutre. On trouvait ce type de cordelette bleue dans n’importe quel magasin de bricolage. Elle avait laissé une profonde trace sur son cou gracile.

– Elle est morte par asphyxie, annonça le médecin de district après s’être entretenu avec les secouristes. Les cervicales n’ont pas été brisées, malheureusement. L’agonie aurait été moins longue. C’est la corde qui l’a étranglée en se serrant autour de sa gorge. Ça a duré un certain temps. Ils demandent s’ils peuvent emmener le corps.