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– En effet, convint Erlendur. On a essayé de vous contacter à l’époque, mais en vain.

– Ses parents sont toujours vivants ?

– Son père, oui, il est vieux et malade.

– C’est pour lui que vous faites ça ?

– Pour personne en particulier, répondit Erlendur. J’ai soudain pensé, l’autre jour, que vous étiez le seul de ses amis à ne jamais avoir été interrogé parce que vous étiez parti vous installer à l’étranger.

– J’avais prévu de passer un an au Danemark, expliqua Gilbert en sortant une autre cigarette de sa combinaison. Cet homme semblait ne jamais sombrer dans la précipitation, il trouva son briquet au fond d’une de ses poches et tassa sa cigarette sur la table. Et, finalement, je suis resté là-bas une vingtaine d’années. Ce n’était pas du tout mon intention, mais bon… ainsi va la vie.

– On m’a dit que vous aviez discuté avec David peu avant de quitter l’Islande.

– C’est vrai, on était en contact permanent. Vous avez interrogé Steini, je veux dire, Thorsteinn ?

– Oui.

– Je l’ai croisé à une de ces réunions d’anciens du lycée. À part ça, j’ai perdu de vue tous ceux que je connaissais dans le temps.

– Vous avez dit à Thorsteinn que David avait probablement rencontré une femme. Ce détail n’est pas apparu dans l’enquête que nous avons menée à l’époque. Je voulais savoir si vous saviez son identité et l’endroit où je pourrais la joindre.

– Steini est tombé des nues quand je lui ai dit ça. Je pensais qu’il en savait plus que moi, poursuivit Gilbert en allumant sa cigarette. Mais j’ignore qui c’était. Je ne suis même pas certain qu’il s’agissait d’une femme. Personne ne s’est manifesté, à la disparition de David ?

– Non, répondit Erlendur, personne.

Son portable se mit à sonner. Erlendur demanda à Gilbert de l’excuser et décrocha.

– Oui, allô.

– Vous interrogez les gens sur Maria ?

Erlendur sursauta. La voix de son correspondant était grave et sévère, le ton accusateur et froid.

– Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

– Son mari, et je veux savoir ce que vous fabriquez.

Diverses réponses traversèrent l’esprit d’Erlendur, toutes plus mensongères les unes que les autres.

– Vous pouvez m’expliquer ce qui se passe ?

– Nous ferions peut-être mieux de nous rencontrer, suggéra Erlendur.

– Sur quoi enquêtez-vous ? Qu’est-ce que vous fabriquez ?

– Si vous êtes chez vous dans l’après-midi, alors je peux…

Baldvin lui raccrocha au nez. Erlendur adressa un sourire embarrassé à Gilbert.

– Je vous prie de m’excuser. On parlait de cette femme, vous en savez un peu plus sur elle, même si ça ne vous semble être qu’un détail ?

– Presque rien, répondit Gilbert. David m’a appelé la veille de mon départ pour me dire au revoir. Il m’a dit qu’il pouvait peut-être me confier un secret puisque je m’envolais le lendemain pour le Danemark. Mais bon, pour qu’il annonce enfin la couleur, il a fallu que je le cuisine et que je lui pose directement la question. Alors, il m’a répondu qu’à mon retour en Islande, il y aurait sûrement du nouveau de son côté en termes de conquêtes féminines.

– C’est la seule chose qu’il vous a dite, que peut-être il aurait du nouveau en termes de conquêtes féminines ?

– Oui.

– Et il n’avait jamais eu de petite amie avant ça ?

– Non, pas vraiment.

– Donc, vous avez eu l’impression qu’il avait rencontré une femme, c’est ça ?

– Oui, c’est ce que j’ai cru comprendre. Mais bon, ça reste assez vague, il ne m’a pas dit grand-chose de précis.

– Il ne vous a pas paru sur le point de se suicider ?

– Non, bien au contraire, il était plein d’entrain, en pleine forme. Étonnamment gai d’ailleurs, parce qu’il pouvait parfois se montrer un peu taciturne, pensif et très sérieux dans ses réflexions.

– Et vous ne connaissez personne qui aurait pu lui vouloir du mal ?

– Non, absolument pas.

– Et vous ignorez l’identité de cette femme, c’est bien ça ?

– En effet, je n’en ai aucune idée, malheureusement.

12

Erlendur se gara à côté de la maison de Grafarvogur. La nuit commençait à tomber, l’hiver s’apprêtait déjà à prendre le relais d’un été court et pluvieux. L’idée n’angoissait absolument pas Erlendur. Contrairement à bien des gens qui comptaient les heures jusqu’au moment où les jours rallongeraient, il n’avait jamais redouté l’arrivée de l’hiver qu’il ne considérait pas comme son ennemi. L’obscurité et le froid ralentissaient le passage du temps que la nuit couvrait d’un voile paisible.

Baldvin vint l’accueillir à la porte et, alors qu’il le suivait vers le salon, Erlendur se demanda s’il allait continuer à vivre dans cette maison, maintenant que Maria et Leonora étaient mortes. Il n’eut pas le temps de lui poser la question. Baldvin exigeait qu’il lui explique pourquoi il parcourait la ville en interrogeant les gens au sujet de Maria, il voulait savoir pourquoi il avait appris cela de la bouche de ses amis et connaissances, il entendait qu’on lui dise de quoi il retournait précisément. La police avait-elle décidé d’ouvrir une enquête ?

– Non, répondit Erlendur, il ne s’agit pas de ça.

Il lui confia que, comme cela se produisait parfois dans les cas de suicide, la police avait reçu des informations selon lesquelles la mort de Maria pouvait paraître suspecte. Voilà pourquoi il avait, sous la pression d’une amie de la défunte dont il souhaitait préserver l’anonymat, interrogé quelques personnes, mais cela ne changeait rien au fait que sa femme avait mis fin à ses jours. Baldvin ne devait avoir aucune inquiétude. Il ne s’agissait absolument pas d’une enquête de police, qui n’aurait d’ailleurs servi à rien.

Erlendur s’exprima en ces termes pendant un certain temps, sur ce ton lent et mesuré qui, de manière générale, apaise les gens qui ont affaire à la police. Il remarqua que Baldvin s’était graduellement calmé. Au début, il s’était tenu debout à côté de la bibliothèque avec un air furieux, puis il était allé s’asseoir dans un fauteuil une fois la tension retombée.

– Et alors, où en êtes-vous dans cette affaire ?

– Elle est vide, répondit Erlendur. Il n’y a aucune affaire.

– Ça me met mal à l’aise de savoir que les gens parlent de ça, observa Baldvin.

– Ça se comprend, convint Erlendur.

– C’est déjà assez difficile.

– Oui. On m’a dit que la cérémonie d’inhumation avait été très bien, reprit Erlendur.

– L’homélie du pasteur était parfaite. Ma femme et elle se connaissaient bien. Il y avait beaucoup de gens. Maria était appréciée de tous, partout.

– Vous avez opté pour la crémation ?

Baldvin leva vers Erlendur son regard, jusqu’alors rivé au sol.

– C’était sa volonté, précisa-t-il. On en avait discuté. Elle ne voulait pas qu’on la mette en terre et… enfin, vous savez… elle trouvait que c’était la meilleure solution. Et je suis d’accord avec elle, je veux qu’on fasse la même chose pour moi.

– À votre connaissance, votre femme s’intéressait-elle au surnaturel, allait-elle consulter des médiums ou ce genre de chose ?

– Pas plus que le commun des gens, répondit Baldvin. Elle avait terriblement peur du noir. On a dû vous le dire.

– En effet.

– Vous m’avez déjà posé cette question sur le surnaturel, reprit Baldvin. Sur l’existence d’une vie après la mort. Qu’est-ce que vous sous-entendez ? Que savez-vous que j’ignore ?

Erlendur le dévisagea longuement.

– Je sais qu’elle s’est rendue chez un médium, déclara-t-il.

– Ah bon ?

Erlendur sortit la cassette audio de la poche de son imperméable pour la tendre à son interlocuteur.