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– Allez, on en finit avec ce truc-là, beugla Othello. Il attrapa Yago par le bras pour l’entraîner vers la scène alors que Desdémone adressait un large sourire à Erlendur.

– Qu’est-ce qu’il lui a demandé ? cria Erlendur dans le dos des acteurs.

Orri s’arrêta net et le regarda.

– Je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est ce que j’ai entendu il y a des années.

– Quoi ?

– Tryggvi lui a demandé de le tuer.

– De le tuer ? Il est mort ?

– Non, frais comme un gardon, mais bizarre.

– De quoi parlez-vous ? Je ne vous suis absolum…

– C’est une expérience que le cousin a tentée sur Tryggvi.

– Quel genre d’expérience ?

– La version que j’ai eue, c’est qu’il a maintenu Tryggvi en état de mort artificielle pendant quelques minutes avant de le ramener à la vie. On m’a dit qu’après ça, Tryggvi n’a plus jamais été lui-même.

Sur ce, la troupe se précipita sur la scène.

Le lendemain, Erlendur exhuma des dossiers de la police de vieux rapports sur le drame qui s’était produit au lac de Thingvellir. Il lut la déposition de Leonora, la mère de Maria, ainsi que le rapport qu’un expert avait rendu sur la barque et sur le moteur hors-bord. Il trouva parmi les pièces du dossier le rapport d’autopsie qui montrait que Magnus était mort noyé dans l’eau glacée. Il semblait qu’aucun témoignage de la fillette n’avait été recueilli. Le décès avait été classé comme accidentel. Erlendur vérifia l’identité de celui qui avait dirigé l’enquête. C’était Niels. Il poussa un soupir. Il n’avait jamais franchement apprécié ce collègue. Ils travaillaient dans la police depuis aussi longtemps l’un que l’autre, mais, à l’inverse d’Erlendur, Niels était un paresseux, ses enquêtes s’étiraient en longueur, parfois au point de tomber sous le coup de la prescription. Et elles étaient toujours menées en dépit du bon sens.

Niels prenait sa pause-café. Il était occupé à taquiner le personnel féminin de la cafétéria quand Erlendur lui demanda s’il pouvait avoir une petite discussion avec lui.

– De quoi s’agit-il, mon cher Erlendur ? demanda Niels, qui s’était fait une spécialité des formules de politesse creuses. Mon ami, camarade, mon vieux et mon cher étaient des mots dont il achevait invariablement ses phrases : en soi insignifiants, ils prenaient une importance gigantesque dans la bouche de Niels qui s’imaginait au-dessus de tout le monde sans en avoir franchement les moyens.

Erlendur le prit à part dans la cafétéria et s’installa avec lui pour lui demander s’il se souvenait de cet accident au lac de Thingvellir, de la mère et de sa fille, Leonora et Maria.

– C’était limpide comme affaire, non ?

– Oui, probablement. Tu te souviendrais de détails suspects sur les conditions du drame, les personnes présentes sur les lieux ou l’accident en lui-même ?

Niels prit une expression censée indiquer qu’il parcourait mentalement le passé à la recherche de l’accident de Thingvellir.

– Tu ne cherches quand même pas l’indice d’un acte criminel après tout ce temps ? s’inquiéta-t-il.

– Non, pas du tout. Mais la gamine que tu as vue là-bas avec sa mère est décédée l’autre jour. Le noyé était son père.

– Je ne me rappelle rien de suspect dans le cadre de cette enquête, observa Niels.

– Comment l’hélice s’est-elle détachée du moteur ?

– Évidemment, je n’ai pas conservé tous les détails en mémoire, avança-t-il précautionneusement. Il lança à son collègue un regard plein de suspicion. Beaucoup de ceux qui travaillaient au commissariat n’étaient pas franchement ravis de voir Erlendur exhumer des affaires classées.

– Tu te souviens de ce qu’avait dit la Scientifique ?

– Ce n’était pas simplement dû à l’usure ? avança Niels.

– Quelque chose comme ça, convint Erlendur. Mais ça n’explique pas grand-chose. Le moteur était vieux, usé et pas spécialement entretenu. Tu te rappelles ce qu’ils t’ont dit et qui n’aurait pas été consigné dans leur rapport ?

– C’est ce regretté Gudfinnur qui s’est occupé de ça.

– On peut donc difficilement lui poser la question. Tu sais parfaitement que tout n’est pas mentionné dans les procès-verbaux.

– Qu’est-ce que tu as donc à farfouiller dans le passé comme ça ?

Erlendur haussa les épaules.

– Qu’est-ce que tu essaies de trouver, camarade ?

– Rien, répondit Erlendur, les dents serrées.

– Qu’est-ce que tu veux savoir exactement ?

– Quelle a été leur réaction, tu t’en souviens ? La réaction de la femme et de sa fille ?

– Elle n’avait rien d’anormal. C’était un drame terrible, ça sautait aux yeux. La femme était au bord de la crise de nerfs.

– L’hélice n’a jamais été retrouvée.

– C’est exact.

– Il n’y avait, par conséquent, aucun moyen de savoir précisément comment elle s’était détachée.

– Non. Cet homme était seul à bord de la barque, il a dû bidouiller le moteur, puis il est tombé à l’eau et s’est noyé. Sa femme n’a pas vu ce qui s’est passé, sa fille non plus. La femme s’est brusquement aperçue qu’il n’y avait plus personne sur la barque. Ensuite, elle a entendu les cris de son mari quelques instants, mais il était déjà trop tard.

– Tu te rappelles… ?

– On a interrogé le vendeur, poursuivit Niels. Ou plutôt, Gudfinnur s’en est chargé. Il a parlé à quelqu’un au magasin qui vendait ces moteurs hors-bord.

– Oui, c’est inscrit dans son rapport.

– Cet homme lui a dit que l’hélice ne se détachait pas si facilement que ça, qu’il fallait sacrément forcer.

– La barque a peut-être heurté le fond du lac ?

– On n’a rien trouvé le laissant penser. Par contre, la femme nous a dit que son mari avait un peu trafiqué le moteur la veille. Comme elle ne lui avait pas posé de questions, elle était incapable de dire ce qu’il avait fait. Il est possible qu’il ait dévissé l’hélice par inadvertance.

– Le mari ?

– Oui.

Erlendur se rappelait qu’Ingvar lui avait affirmé que Magnus n’y connaissait strictement rien en mécanique.

– Tu te souviens de la réaction de la gamine quand vous êtes arrivés ?

– Elle devait avoir environ dix ans, c’est bien ça ?

– Oui.

– Évidemment, elle avait la même attitude que n’importe quel môme en état de choc. Elle restait cramponnée à sa mère. Elle ne l’a pas quittée d’une semelle tout le temps que nous sommes restés là-bas.

– Je n’ai trouvé aucune trace de sa déposition dans le dossier.

– On ne l’a pas interrogée ou alors, très peu. On ne voyait aucune raison de le faire. Les enfants ne sont pas les témoins les plus fiables.

Erlendur s’apprêtait à contredire son collègue, mais ils furent dérangés par l’entrée de deux policiers en uniforme qui saluèrent Niels.

– Sur quoi tu te casses la tête, mon cher Erlendur ? demanda Niels. De quoi s’agit-il exactement ?

– De la phobie de l’obscurité, répondit-il. D’une très banale peur du noir.

14

Karen, l’amie de Maria, accueillit Erlendur à la porte de son domicile. Elle l’attendait et l’invita à entrer dans son appartement spacieux du quartier des Melar. Il l’avait rappelée après sa visite au commissariat, elle lui avait communiqué les noms de gens qui connaissaient Maria et qu’il pourrait interroger. Karen et lui avaient également discuté de l’amitié qui liait les deux femmes et remontait au moment où, à onze ans, nouvelles à l’école, elles avaient été placées côte à côte en classe. À cette époque, Leonora avait récemment changé Maria d’établissement parce qu’elle n’était pas satisfaite du directeur et des enseignants. Maria, qui avait subi les brimades d’autres élèves, n’avait pas eu son mot à dire et s’efforçait de prendre ses marques avec les gamins inconnus de ce nouvel univers. Karen venait d’emménager dans le quartier où elle ne connaissait personne. Leonora conduisait sa fille chaque matin à l’école, elle venait la reprendre dans l’après-midi et, un jour, Maria avait demandé à Karen si elle avait envie de l’accompagner chez elle. Leonora avait accueilli la nouvelle amie de sa fille à bras ouverts et, à partir de ce moment-là, leur amitié s’était rapidement épanouie, sous la protection de Leonora.