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– En résumé, pour revenir à cette expérience, il y avait donc votre cousin qui vit maintenant en Amérique, cette jeune fille prénommée Dagmar et un troisième que vous avez appelé par son diminutif, Baddi. Qui était-ce ?

– Je ne le connaissais pas, répondit Tryggvi. C’était un camarade de mon cousin. Je ne me souviens même pas de son vrai prénom. Il avait arrêté le théâtre pour s’inscrire en médecine. Tout le monde l’appelait Baddi.

– Peut-être son vrai nom était-il Baldvin ?

– Oui, exactement, c’est comme ça qu’il s’appelait.

– Vous êtes sûr ?

Tryggvi hocha la tête. Un mégot éteint pendait à la commissure de ses lèvres.

– Et il avait étudié l’art dramatique ?

À nouveau, Tryggvi hocha la tête.

– C’était un copain de mon cousin, un acteur du tonnerre. C’est lui qui m’inspirait le moins confiance dans toute cette bande, conclut-il.

19

La femme prit une mine dubitative quand elle vint ouvrir à Erlendur. Le vent, qui avait tourné au nord, soufflait en bourrasques sèches et glacées. Erlendur resserra contre lui son imperméable. Il n’avait pas prévenu de sa venue et la femme, une dénommée Kristin, se tenait face à lui, immobile sur le pas de la porte, avec une expression butée, comme si elle n’avait aucune intention d’accepter cette visite inattendue. Erlendur lui expliqua qu’il était en quête d’informations remontant à l’époque où le père de Maria avait perdu la vie. Kristin affirma ne pouvoir lui être d’aucun secours en la matière.

– Pourquoi est-ce que vous remuez ça après tout ce temps ? s’enquit-elle.

– À cause du suicide, répondit Erlendur. Nous participons à une étude internordique sur les causes de suicide.

Debout dans l’embrasure, Kristin se taisait. C’était la sœur de Magnus, le père de Maria. Ingvar, l’ami de ce dernier, avait conseillé à Erlendur d’aller l’interroger car il pensait que Leonora lui avait peut-être parlé de l’accident mortel de Magnus au lac de Thingvellir. Kristin habitait seule. Ingvar avait précisé qu’elle ne s’était jamais mariée, qu’elle était restée célibataire toute sa vie et qu’elle recevait sûrement très peu de visites.

– Si vous me permettiez d’entrer, suggéra Erlendur en frappant ses pieds sur le sol pour se réchauffer, on n’en aura pas pour bien longtemps.

Au terme d’une hésitation embarrassée, Kristin finit par céder. Elle referma derrière eux et frissonna.

– Il fait drôlement froid, remarqua-t-elle.

– Oui, c’est vrai, convint Erlendur.

– Je me demande bien pourquoi vous ressortez cette histoire après tout ce temps, nota-t-elle, apparemment pas très ravie, une fois assise avec son hôte dans le salon.

– En interrogeant des personnes qui connaissaient Maria, j’ai découvert diverses informations dont je désirerais discuter avec vous.

– Pourquoi vous enquêtez sur elle ? C’est la procédure habituelle dans ce genre d’affaire ?

– Il n’y a pas d’enquête sur Maria, précisa Erlendur. Nous exploitons les données que nous avons recueillies. Il y a eu une enquête sur l’accident de Thingvellir à l’époque et la manière dont les choses se sont déroulées est tout à fait claire. Mon intention n’est pas de reprendre cette investigation. Les conclusions quant au caractère accidentel du décès de votre frère sont définitives.

– Que cherchez-vous, alors ?

– Permettez-moi d’insister sur ce point : les conclusions dont je viens de parler ne seront pas remises en cause quoi qu’il advienne.

Kristin ne saisissait toujours pas. Elle était âgée d’une bonne soixantaine d’années, avait des cheveux courts et ondulés. Elle était belle, d’une constitution plutôt frêle, et opposait à Erlendur un regard soupçonneux qui laissait présager qu’elle s’entourerait de précautions.

– Dans ce cas, que me voulez-vous exactement ?

– Rien de ce que vous me direz, que ce soit maintenant ou plus tard, ne pourra modifier le rapport qui a conclu au décès accidentel de votre frère. J’espère que vous avez bien compris.

Kristin prit une profonde inspiration. Peut-être commençait-elle à saisir où Erlendur voulait en venir bien qu’elle feigne le contraire.

– Je ne comprends pas ces sous-entendus, s’agaça-t-elle.

– Il n’y en a aucun, répondit Erlendur. D’ailleurs, je n’ai aucune envie de rouvrir un dossier classé d’aussi longue date. Que Leonora vous ait confié des éléments que nous ignorons ou non, cela ne changera rien. Vous étiez très amies, à ce qu’on m’a dit.

– En effet, convint Kristin.

– Vous a-t-elle parlé de ce qui s’est passé ?

Erlendur se savait en terrain périlleux. Il n’avait rien de plus que d’infimes soupçons : une légère contradiction entre les propos d’Ingvar et une enquête bâclée ainsi que cette relation mère-fille aux liens plus resserrés qu’il n’en avait jamais connu de toute sa carrière. On pouvait s’imaginer que Kristin connaissait d’autres détails pour peu qu’elle ait été la confidente de Leonora. Si, aussi étrange que cela paraisse, elle avait tu un détail toutes ces années, il était possible qu’elle le révèle, dans certaines conditions. Elle semblait être une femme honnête et sérieuse, c’était un témoin qui avait probablement fait le meilleur choix dans une situation difficile.

Le silence se posa sur le salon.

– Que voulez-vous savoir ? demanda-t-elle finalement.

– Tout ce que vous pouvez me dire, répondit Erlendur.

Kristin le fixait.

– Je ne vois pas où vous voulez en venir, répéta-t-elle d’un air toutefois plus hésitant.

– On m’a raconté que votre frère Magnus n’avait jamais touché au moindre moteur et qu’il n’y connaissait rien en mécanique. Dans un rapport de police datant de l’époque, il est consigné qu’il avait bricolé le moteur la veille de l’accident. Est-ce vrai ?

Kristin ne lui répondit pas.

– Son ami, un certain Ingvar – c’est d’ailleurs lui qui m’a suggéré de venir vous en parler –, m’a confié que Magnus ne s’y connaissait pas du tout en mécanique.

– Oui, c’est vrai.

– Or, Leonora a déclaré à la police qu’il avait bricolé le moteur.

Kristin haussa les épaules.

– Je n’en sais rien.

– J’ai parlé à une ancienne amie de Maria qui affirme avoir toujours eu le sentiment qu’un événement qui n’a jamais été révélé s’était produit au lac. Elle pense que le décès de Magnus n’a pas été qu’un banal accident. Ce sentiment se fonde sur très peu d’éléments, seulement sur des dires de Maria selon lesquels, peut-être, il devait mourir.

– Il devait mourir ?

– Oui, c’est comme ça que Maria s’est exprimée en parlant de son père.

– Qu’est-ce qu’elle voulait dire par là ? s’enquit Kristin.

– Son amie l’ignorait, mais elle pensait que, peut-être, il fallait comprendre que c’était son destin de périr ce jour-là. Pourtant, on peut aussi comprendre cette phrase d’une autre manière.

– Laquelle ?

– Que, peut-être, il avait mérité de mourir.

Erlendur observait Kristin. Elle ferma les yeux, ses épaules tombèrent.

– Vous pouvez me confier quelque chose que nous ignorons à propos de l’accident survenu au lac, ce jour-là ? avança-t-il avec précaution.

– Quand vous dites que ça ne changera rien aux conclusions sur…

– Vous pouvez me raconter tout ce que vous voulez, les conclusions de l’enquête menée à l’époque sont définitives.

– Je n’en ai jamais parlé à personne, commença Kristin d’une voix si basse qu’Erlendur devait tendre l’oreille. Ce n’est que lorsque Leonora était sur son lit de mort.