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– Elmar, le 32 ? s’enquit la femme qui avait eu son heure de gloire à la même époque que le bâtiment.

– Oui, je suppose.

– Il est en route, observa-t-elle, vous voulez l’attendre ? Il ne va pas tarder. Il mange toujours ici, le soir.

– Oui, c’est ce qu’on m’a dit, répondit Erlendur.

Il la remercia, puis alla s’installer à une table. L’un des joueurs leva les yeux et lui lança un bref regard. Erlendur lui adressa un signe de la tête, mais ne reçut aucune réponse. On aurait dit que le rami était la raison d’être de ces deux hommes.

Il feuilletait de vieux magazines lorsque le chauffeur de taxi apparut à la porte.

– Il veut te parler, lui cria la femme depuis le standard. Elle désignait le policier. Il se leva pour saluer l’arrivant qui lui serra la main et se présenta. C’était Elmar, le frère de David, le jeune homme disparu. Âgé d’une bonne cinquantaine d’années, le visage rond, il était plutôt enveloppé. Ses cheveux commençaient à se clairsemer et ses fesses avaient fondu à force de rester éternellement assis derrière le volant. Erlendur lui expliqua ce qui l’amenait à mi-voix. Du coin de l’œil, il voyait les joueurs de rami tendre l’oreille.

– Vous êtes encore là-dessus ? interrogea Elmar.

– On est sur le point de classer l’affaire, répondit Erlendur sans plus de précision.

– Ça ne vous dérange pas si je mange pendant qu’on discute ? demanda Elmar alors qu’il s’asseyait à la table la plus éloignée des joueurs. Il avait apporté son repas dans une boîte en polystyrène, un frichti acheté dans quelque magasin d’alimentation. Erlendur s’installa avec lui.

– Vous n’aviez pas une grande différence d’âge, observa-t-il.

– Deux ans, j’ai deux ans de plus que lui. Vous avez du nouveau ?

– Non, répondit Erlendur.

– En fait, David et moi on n’était pas très proches. En fait, mon frère ne m’intéressait pas beaucoup. Pour moi, c’était un gamin. Je passais plus de temps avec mes copains et les gens de mon âge.

– Vous avez réussi à vous faire une opinion sur ce qui a pu arriver ?

– Non, si ce n’est qu’à mon avis il s’est suicidé. Enfin, vous comprenez, il n’avait pas le genre de fréquentations ou d’activités qui auraient pu amener quelqu’un à lui vouloir du mal. David était un brave garçon. Dommage que les choses aient tourné comme ça.

– Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

– La dernière fois ? Je lui ai demandé de me dépanner pour aller au ciné. À cette époque-là, j’étais constamment à sec. Tout comme aujourd’hui. David travaillait parfois après les cours et il économisait. Je vous ai déjà raconté tout ça.

– Et… ?

– Non, et rien. Il m’a prêté de l’argent, point. Enfin, vous comprenez, je ne pouvais pas savoir qu’il allait disparaître ce soir-là, alors les paroles qu’on a échangées n’étaient pas mémorables, c’étaient des banalités, merci et à la prochaine.

– Donc, vous n’avez jamais été très proches ?

– Non, on ne peut pas dire.

– Vous ne vous êtes jamais fait de confidences ?

– Non, je veux dire, c’était mon frère et tout ça, mais on était très différents, enfin… vous voyez…

Elmar mangeait goulûment. Il glissa dans la conversation qu’en général il ne s’accordait qu’une demi-heure de pause pour le repas du soir.

– Savez-vous si votre frère avait une petite amie avant sa disparition ? demanda Erlendur.

– Non, je ne crois pas, il n’avait pas de copine.

– Un de ses amis dit qu’il avait rencontré une fille, mais c’est une information très vague.

– David n’a jamais eu aucune petite amie, répondit Elmar. Il attrapa son paquet de Camel, en proposa une à Erlendur qui refusa. En tout cas, pas à ma connaissance, ajouta-t-il en jetant un œil à la table des joueurs.

– Non, je vois, observa Erlendur. Vos parents ont longtemps espéré qu’il reviendrait.

– Oui, ils… ils n’en avaient que pour David. Ils ne pensaient qu’à lui.

Erlendur eut l’impression de déceler dans la voix d’Elmar une certaine amertume.

– On a terminé ? demanda-t-il. Je me disais que j’aurais peut-être le temps de faire une petite partie avec les gars.

– Oui, excusez-moi, répondit Erlendur en se levant. Loin de moi l’idée de gâcher votre dîner.

20

Eva Lind lui rendit visite dans la soirée. Elle avait rencontré sa mère qui lui avait dressé le compte rendu de leur entrevue. Erlendur répéta que c’était une mauvaise idée d’essayer de les rapprocher. Sa fille secouait la tête.

– Donc, vous n’avez pas l’intention de vous revoir ?

– Tu as fait ton possible. On n’arrive simplement pas à s’entendre. Il y a dans nos rapports une raideur dont nous ne parvenons pas à nous débarrasser.

– Une raideur ?

– C’était un moment très éprouvant.

– Elle m’a dit qu’elle était partie comme une flèche.

– C’est vrai.

– Enfin, vous vous êtes rencontrés.

Erlendur était installé dans son fauteuil, un livre dans les mains. Eva Lind avait pris place dans le canapé, face à lui. Ils s’étaient souvent retrouvés assis comme ça, l’un en face de l’autre. Ils s’étaient parfois violemment querellés, Eva Lind avait déversé sur son père un flot d’imprécations avant de prendre la porte. Parfois, ils étaient parvenus à se parler et à se témoigner de l’affection. Il arrivait même qu’Eva se soit endormie sur le canapé alors qu’il lui lisait des récits sur des gens qui s’étaient perdus dans la nature ou des textes documentaires sur les traditions islandaises. Au fil des visites de sa fille, Erlendur l’avait vue passer par tous les états, parfois tellement exaltée qu’il n’en comprenait pas la raison, parfois tellement déprimée qu’il redoutait de la voir faire une bêtise.

Il hésitait à lui demander si Halldora lui avait raconté le détail de leur conversation. Eva le tira d’embarras.

– Maman m’a dit que tu ne l’avais jamais appréciée, commença-t-elle avec précaution.

Erlendur feuilletait son livre.

– Mais qu’elle avait été très amoureuse de toi.

Il gardait le silence.

– Ça explique peut-être les drôles de relations que vous avez, observa-t-elle.

Erlendur continuait de ne rien répondre, les yeux baissés sur l’ouvrage qu’il tenait dans sa main.

– Elle m’a aussi dit que ça ne servait à rien de discuter avec toi, ajouta-t-elle.

– Eva, je ne vois pas en quoi nous pouvons t’aider. On n’est d’accord sur rien. Je te l’ai déjà dit.

– Maman est tout à fait d’accord avec toi.

– Je sais ce que tu essaies de faire, mais… nous sommes des parents difficiles, Eva.

– Elle m’a dit que vous n’auriez jamais dû vous revoir.

– Ça aurait probablement mieux valu, en effet.

– Donc, il n’y a pas le moindre espoir ?

– Il me semble bien.

– Enfin, on pouvait essayer.

– Évidemment.

Eva fixait son père du regard.

– C’est tout ce que ça t’inspire ? insista-t-elle.

– On ne pourrait pas tourner la page ? Erlendur leva les yeux de son livre. J’ai essayé, elle aussi, ça n’a pas fonctionné. Pas cette fois.

– Tu veux dire que… peut-être plus tard ?

– Je n’en sais rien.

Eva Lind poussa un soupir. Elle prit une cigarette qu’elle alluma.

– Ce que je peux être conne ! Je me disais que, peut-être… que, peut-être, on pouvait arranger tous ces problèmes entre vous. Mais apparemment, c’est sans espoir. Vous êtes des cas désespérés.

– Oui, sans doute.

Il y eut un silence.

– Je me suis toujours efforcée de nous considérer tous les quatre comme les membres d’une famille, reprit-elle. Et c’est toujours le cas. Je fais comme si on formait une famille, ce qu’évidemment nous ne sommes pas et n’avons jamais été. Je croyais qu’on pourrait s’arranger pour que, comment dire, que la paix nous entoure, Sindri, moi, maman et toi. Merde !