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– Que voulez-vous dire ?

Eyvör se pencha par-dessus son bureau. Du coin de l’œil, Erlendur apercevait la collerette de pasteur à l’intérieur du placard.

– Elle me donnait l’impression d’être prête à aller jusqu’au bout. Mais ce n’est qu’une opinion personnelle et n’allez pas crier cela sur tous les toits. C’est une confidence qui doit rester entre nous.

– Qu’est-ce qui vous fait penser cela ?

– C’est juste un sentiment.

– En d’autres termes, son suicide était… ?

– Le moyen qu’elle avait trouvé pour obtenir la réponse. Il me semble. Je sais que je ne devrais pas vous raconter ça, mais par rapport à ce que j’ai vu d’elle au cours des dernières années, je trouve très plausible qu’elle ait simplement cherché les réponses à ses questions.

Erlendur s’assit au volant de sa voiture, démarra, et son téléphone se mit à sonner. C’était Sigurdur Oli. Erlendur lui avait demandé d’éplucher les communications du portable de Maria, ce que Baldvin s’était empressé de les autoriser à faire. Les journées qui avaient précédé son décès, elle avait été en contact avec des universitaires pour raisons professionnelles, avec Karen pour le prêt du chalet d’été et avec son mari qu’elle avait appelé à l’hôpital et sur son téléphone portable.

– Le dernier appel sortant date du soir où elle s’est pendue, déclara Sigurdur Oli, qui ne se souciait nullement de surveiller son vocabulaire.

– À quelle heure ?

– À neuf heures moins vingt.

– Donc, elle était en vie à ce moment-là.

– Tout porte à le croire. La conversation a duré dix minutes.

– Son mari affirme qu’elle l’a appelé le soir en question depuis le chalet.

– Qu’est-ce que tu as en tête ? demanda Sigurdur Oli.

– Comment ça ?

– Qu’y a-t-il de louche dans cette affaire ? Cette femme s’est suicidée, c’est si compliqué que ça ?

– Je n’en sais rien.

– Tu as bien conscience que tu te comportes comme si tu enquêtais sur un meurtre, hein ?

– Non, c’est faux, rétorqua Erlendur. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un meurtre. Ce que je veux découvrir, c’est le pourquoi de son suicide, un point c’est tout.

– Et ça te regarde en quoi ?

– En rien, répondit Erlendur. En rien du tout.

– Je croyais que tu ne t’intéressais qu’aux disparitions.

– Un suicide, c’est aussi une disparition, conclut Erlendur avant de raccrocher.

Le médium vint accueillir Maria à la porte et l’invita à entrer. Les deux femmes discutèrent longuement avant que ne débute la séance proprement dite. Magdalena lui fit bonne impression. Elle se montrait chaleureuse, compréhensive et prévenante, exactement comme l’avait été Andersen. Maria trouvait différent de s’adresser à une femme, cela l’intimidait moins. Il semblait également que le don de Magdalena était plus développé. Elle était dotée d’une plus grande sensibilité, savait plus de choses, voyait plus clairement et plus loin qu’Andersen.

Elles s’étaient assises au salon. Ce fut graduellement que Magdalena entreprit la voyance. Maria accorda très peu d’attention à l’agencement de l’appartement ou du mobilier. Baldvin avait obtenu son numéro de téléphone à l’hôpital ; Maria avait immédiatement appelé cette femme qui lui avait dit pouvoir la recevoir sur-le-champ. Elle avait l’impression que la voyante vivait seule.

– Je ressens une présence intense, déclara Magdalena. Elle ferma les yeux, puis les rouvrit. Il y a ici une femme, continua-t-elle. Ingibjörg, ça vous dit quelque chose ?

– C’est le prénom de ma grand-mère, répondit Maria, elle est morte depuis longtemps.

– Elle est très lointaine. Vous n’étiez pas spécialement proches.

– Non, je l’ai à peine connue. C’était ma grand-mère paternelle.

– Elle est extrêmement triste.

– Ah, oui.

– Elle dit que ce n’est pas votre faute si les choses se sont passées comme ça.

– Non.

– Elle me parle d’un accident.

– Oui.

– Je vois de l’eau. Quelqu’un s’est noyé.

– Oui.

– Un terrible accident.

– Oui.

– Est-ce que… je vois un tableau, un tableau qui représente un lac. C’est une peinture du lac de Thingvellir, ça vous dit quelque chose ?

– Oui.

– Merci. Il y a… il y a là un homme… Ce n’est pas très clair, c’est une photo ou une peinture. Je vois une femme, elle affirme qu’elle s’appelle Lovisa, cela vous dit quelque chose ?

– Oui.

– Vous êtes parentes.

– Oui.

– Merci. Elle est jeune… je… à peine vingt ans.

– Oui.

– Elle sourit. Elle est entourée d’une grande lumière. Il fait clair tout autour d’elle. Elle sourit. Elle dit que Leonora est avec elle et qu’elle va bien.

– Oui.

– Elle vous demande de ne pas vous inquiéter… Dit que Leonora se sent très bien, elle dit aussi…

– Oui ?

– Qu’il lui tarde de vous revoir.

– Oui.

– Elle veut que vous sachiez qu’elle va très bien. Que ce sera merveilleux quand vous viendrez la retrouver. Ce sera merveilleux.

– Oui ?

– Elle vous dit de ne pas avoir peur. De ne pas vous inquiéter. Que tout ira pour le mieux. Ce que vous ferez. Elle dit que… quelle que soit votre décision… tout… tout se passera bien. Qu’il ne faut avoir aucune inquiétude. Que tout se passera pour le mieux.

– Oui.

– Une grande beauté règne autour de cette femme. Elle… elle rayonne avec une grande intensité. Elle vous dit… est-ce que ça vous dit quelque chose… elle parle d’un écrivain.

– Oui ?

– Un écrivain français.

– Oui.

– Elle sourit. Il y a… cette femme qui est avec elle… elle est… elle dit qu’elle se sent beaucoup mieux. Toutes ces… toutes ces souffrances.

Magdalena ferma les paupières.

– Elles s’en vont…

Elle rouvrit les yeux.

– Ça… ça s’est bien passé ? s’enquit-elle.

Maria hocha la tête.

– Oui, répondit-elle tout bas. Merci beaucoup.

À son retour, elle raconta à Baldvin ce que la séance chez le médium avait révélé. Fortement ébranlée, elle lui expliqua qu’elle ne s’attendait pas à recevoir des messages d’une telle netteté. De même, elle était étonnée de ceux qui s’étaient manifestés. Elle n’avait pas pensé à sa grand-mère paternelle depuis toute petite. Quant à Lovisa, sa grand-tante, elle en avait uniquement entendu parler. Cette dernière, qui était la sœur de sa grand-mère, avait été assez tôt emportée par la diphtérie.

Maria eut des difficultés à trouver le sommeil ce soir-là. Elle se retrouva seule chez elle car Baldvin avait dû faire un saut à l’hôpital. Dehors, le vent de l’automne hululait.

Elle parvint finalement à s’endormir.

Elle fut réveillée en sursaut quelques instants plus tard par la barrière du jardin qui cognait contre la clôture. Il pleuvait abondamment. Elle savait que ce bruit l’empêcherait de se rendormir.

Elle se leva et alla jusqu’à la cuisine, en robe de chambre et en pantoufles. L’une des portes donnait sur la terrasse qu’ils avaient construite quelques années plus tôt. Elle resserra contre elle sa robe de chambre, ouvrit sur l’extérieur et perçut aussitôt une forte odeur de cigare.

Elle sortit prudemment sur la terrasse où la pluie glacée vint lui gifler le visage.

Était-ce possible que Baldvin ait fumé avant son départ ? pensa-t-elle.

Elle aperçut la barrière qui cognait contre le montant, mais au lieu de se dépêcher d’aller la refermer, puis de courir se réfugier à l’intérieur, elle resta comme pétrifiée à scruter le jardin plongé dans les ténèbres. Elle y distinguait un homme trempé de la tête aux pieds, imposant et massif, avec une bedaine et le visage aussi pâle qu’un mort. Tout ruisselant, il ouvrit la bouche et la referma à plusieurs reprises. On aurait dit qu’il luttait pour emplir ses poumons d’oxygène. Il s’écria soudain :