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– C’est exact.

– Un de ses lieux de prédilection était justement celui de Thingvellir.

– Le lac de Thingvellir ?

– Elle le connaissait comme sa poche. Elle s’y rendait très souvent, elle y avait ses coins préférés. Un de nos oncles, qui vivait ici à Reykjavik, avait un chalet d’été dans la vallée de Lundarreykdalur dans le Borgafjördur. On y allait souvent et, sur le chemin du retour, elle passait par la dorsale d’Uxahryggir et par Thingvellir. Elle longeait le lac par l’est, puis rentrait à Reykjavik. Il lui arrivait de camper là-bas, parfois avec des amies, parfois toute seule. Elle quittait la ville et restait au bord du lac. Elle aimait bien ces moments de solitude. C’était une jeune fille tellement indépendante.

– Aucun indice ne suggérait qu’elle était passée au chalet de votre oncle ? demanda Erlendur alors qu’il essayait de se rappeler les détails du dossier concernant la disparition de Gudrun.

– Non, elle n’y était pas allée.

– D’où lui venait cette passion des lacs ?

– Personne n’en savait rien, elle non plus d’ailleurs. Ça a commencé quand Duna était toute petite. Un jour, elle m’a avoué que les lacs avaient une étrange force d’attraction, qu’ils dégageaient une étonnante tranquillité. Que c’était aux abords des lacs qu’on trouvait la nature authentique, les oiseaux, la vie subaquatique. Évidemment, elle étudiait la biologie et cela n’avait rien d’un hasard.

– Donc elle allait aussi sur le lac ? Avait-elle une barque ?

– Non, c’était assez inattendu venant d’elle. Duna avait la phobie de l’eau depuis toujours. Il fallait sacrément ruser pour qu’elle consente à se rendre aux cours de natation et elle n’a jamais vraiment apprécié ça. Elle n’a jamais aimé être dans l’eau ou sur l’eau, ce qui lui plaisait c’était la proximité des lacs. Parce que c’était une amoureuse de la nature.

– C’est vrai que peu d’endroits sont aussi beaux que le lac de Thingvellir, observa Erlendur.

– En effet.

24

Deux jours plus tard, Erlendur était au domicile d’un vieux professeur d’art dramatique du nom de Johannes qui lui avait offert une tisane. Erlendur n’était pas un habitué de ce genre de boisson, mais l’homme lui avait réservé un accueil plutôt frais : il ne comprenait pas ce que lui voulait la police et avait failli ne pas le laisser entrer. Quand Erlendur lui avait expliqué que l’affaire qui l’amenait n’avait rien à voir avec lui, mais plutôt avec des ragots qui couraient sur d’autres, il avait changé d’attitude et ouvert grand sa porte. Il s’apprêtait à boire une tisane et avait proposé à son visiteur de l’accompagner.

C’était Orri Fjeldsted qui avait communiqué le nom du professeur à Erlendur quand ce dernier lui avait demandé qui connaissait le mieux les anciens élèves de l’École d’art dramatique. Orri n’avait pas eu besoin d’y réfléchir à deux fois. Johannes l’avait eu comme élève à l’époque, c’était le meilleur des hommes, mais aussi une commère de premier ordre. Il savait effectivement beaucoup de choses, mais tout ce qu’il dirait à Erlendur au sujet d’Orri ne serait qu’un tissu de mensonges, avait prévenu ce dernier.

Johannes vivait seul dans une maison mitoyenne du quartier est de Reykjavik. Plutôt grand et totalement chauve, il s’exprimait d’une voix forte. Ses yeux pétillaient et ses oreilles étaient d’une taille démesurée. Orri avait dit qu’il était divorcé, sa femme l’avait quitté depuis des années. Ils n’avaient pas eu d’enfant. Johannes avait été un excellent acteur dans sa jeunesse, mais, l’âge venant, le nombre de rôles proposés s’était réduit et il s’était mis à enseigner à l’École d’art dramatique. Parallèlement, il avait continué à interpréter quelques rôles dans des théâtres professionnels aussi bien qu’amateurs. De temps à autre, un rôle dans un film avait continué de faire vivre son nom et, parfois, il accordait à la télévision ou à la radio des interviews dans lesquelles il retraçait son passé.

– Je me rappelle très bien Baldvin, déclara Johannes alors qu’il venait de s’asseoir dans son bureau avec sa tisane et celle de son hôte. Erlendur avala une gorgée à laquelle il trouva mauvais goût. Il avait expliqué à Johannes la raison de sa visite en le priant de ne pas aller crier sur les toits que la police posait des questions sur l’un de ceux qu’il avait eus comme élèves. D’après Orri, ce genre de requête était parfaitement vaine, mais Erlendur espérait qu’il s’y plierait.

– Ce n’était pas un acteur des plus prometteurs, autant que je me souvienne, il a abandonné dès le début de la deuxième année, poursuivit Johannes. Il maîtrisait assez bien la comédie, mais ça s’arrêtait là. Il est parti en milieu de semestre, autant dire en pleine représentation. Il pensait avoir trouvé sa vocation dans la médecine. Je l’ai à peine revu depuis.

– Et les autres de sa promotion, ils formaient un bon groupe ?

– Oui, certains étaient bons, répondit Johannes en avalant une gorgée de tisane. Sacrément. Enfin, il y avait tout de même Orri Fjeldsted qui est un acteur excellent, même si son registre n’est parfois pas des plus variés. J’ai assisté à cette désastreuse adaptation d’Othello et il n’était pas bon dedans. Il y avait parmi eux Svala et Sigridur, une grande actrice, taillée pour Ibsen et Strindberg, ces géants des pays nordiques. Sans oublier Heimir, dont il m’a toujours semblé qu’il méritait de plus grands rôles. Avec l’âge, il est devenu un peu aigri et désabusé. Il s’est tourné vers la bouteille. Je l’ai pris pour incarner Jimmy dans Presque un gentleman, de John Osborne, quand j’ai monté cette pièce et j’ai trouvé qu’il s’en tirait rudement bien, même si ce n’était pas l’avis de tout le monde. En fait, je ne sais même pas où il en est aujourd’hui : je l’ai entendu dans un petit rôle l’autre jour, dans une pièce radiophonique. Tous ces gens-là sont aujourd’hui proches de la cinquantaine. Lilja, Snaebjörn, Einar. Ah oui, Karolina faisait aussi partie du groupe. Elle n’a jamais été une grande actrice, la pauvre.

– Vous souvenez-vous de détails remontant à l’époque où Baldvin a renoncé au théâtre ? demanda Erlendur, qui n’avait décidément pas l’impression d’avoir à tirer les vers du nez de son interlocuteur.

– Baldvin ? Eh bien, il a tout bonnement arrêté. Il n’a pas fourni d’explications précises, d’ailleurs il n’en avait pas besoin. C’était très difficile à l’époque d’entrer dans cette école, les demandes étaient légion et permettez-moi de vous dire qu’il était plutôt rare que les étudiants s’en aillent ainsi, au beau milieu de la représentation. En pleine représentation.

– Il n’a tout de même pas réellement fait ça ?

– Non, c’est seulement une façon de parler, voyez-vous, pour dire qu’il a abandonné. J’ai trouvé qu’il arrêtait de façon étonnamment subite, quand on pense aux efforts que ces gamins devaient faire pour être admis dans l’école. À cette époque-là, les jeunes voulaient tous devenir acteurs. C’était le rêve. Avoir du succès, devenir célèbre et être admiré de tous. Ce sont des choses que peut vous apporter l’art dramatique parallèlement à tout le reste. Car, aux vrais acteurs, il apporte nettement plus. Pour ma part, il m’a apporté la culture, la littérature, le plaisir du texte, il m’a ouvert une porte sur la vie elle-même.

Le vieil acteur s’interrompit et sourit.

– Vous m’excuserez de m’enflammer ainsi. Nous, les acteurs, nous avons peut-être tendance à en faire un peu trop. Surtout quand nous sommes sur le devant de la scène.