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– Vous savez à qui il avait prévu d’offrir ce livre ?

– Non.

– Et ça ne disait rien à ses amis ?

– Non, à aucun d’entre eux.

– Est-il possible qu’il l’ait acheté pour la jeune fille dont Gilbert parlait ? Celle que, d’après lui, votre fils avait rencontrée ?

– Il n’y avait aucune fille, répondit le vieil homme. Mon petit David nous en aurait parlé. D’ailleurs, elle se serait manifestée après sa disparition. Le contraire est impensable. Voilà pourquoi il n’y avait aucune fille. C’est impossible.

Le vieil homme balaya cette idée d’un geste de la main.

– Impossible, conclut-il.

26

Le lendemain soir, Erlendur pénétra dans l’impasse du quartier de Grafarvogur et se gara devant la maison où vivait le médecin. Ils avaient convenu d’un rendez-vous. Erlendur l’avait appelé dans l’après-midi pour lui dire qu’il devait le voir. Baldvin avait désiré savoir pourquoi et Erlendur lui avait répondu qu’une troisième personne lui avait communiqué des informations dont il voulait discuter avec lui. Le médecin avait semblé très étonné, il avait voulu savoir qui était la personne en question et avait demandé si la police l’avait placé sous surveillance rapprochée. Erlendur l’avait calmé, comme la fois précédente, en lui répondant que cela prendrait très peu de temps. Il avait failli ajouter que c’était juste la routine, mais il savait que ç’aurait été un mensonge.

Il resta un long moment assis dans sa voiture après avoir éteint le moteur. Son rendez-vous avec Baldvin ne le réjouissait pas. Il était venu seul. Ni Elinborg ni Sigurdur Oli ne savaient exactement ce à quoi il consacrait ses journées et ses supérieurs de la Criminelle n’en avaient aucune idée non plus. Erlendur ignorait combien de temps il parviendrait à garder son enquête secrète. Peut-être la suite des événements dépendait-elle de la réaction de Baldvin.

Ce dernier vint l’accueillir à la porte et l’invita au salon. Il était seul dans la maison. Erlendur ne s’attendait pas à ce qu’il en aille autrement. Les deux hommes s’assirent, l’atmosphère était plus pesante que les premières fois qu’ils s’étaient vus. Baldvin se montrait poli, mais excessivement formel. Il n’avait toutefois pas demandé s’il devait contacter un avocat lorsqu’ils s’étaient parlé au téléphone. Erlendur en était soulagé, car il aurait été bien en peine de lui répondre. Mieux valait s’entretenir seul à seul avec lui étant donné la situation.

– Comme je vous l’ai dit au téléphone…

Erlendur s’apprêtait à réciter l’introduction qu’il avait répétée dans sa voiture, mais Baldvin lui coupa l’herbe sous le pied.

– Pourriez-vous, s’il vous plaît, en venir au fait ? J’espère que cela ne prendra pas trop de temps. Que voulez-vous savoir ?

– J’allais vous dire qu’il y a trois points sur…

– Que voulez-vous savoir ?

– Magnus, votre beau-père…

– Je ne l’ai jamais rencontré, répondit Baldvin.

– Non, je m’en doute. Que faisait-il ?

– Que faisait-il ?

– Oui, de quoi il vivait ?

– J’ai comme l’impression que vous le savez déjà.

– Le plus simple serait que vous répondiez à mes questions, conseilla Erlendur d’un air sévère.

– Il était agent immobilier.

– Et ça marchait bien ?

– Non, pas du tout. En fait, il était au bord de la faillite quand il est décédé.

– Mais il n’a pas fait faillite ?

– Non.

– Et Maria et Leonora ont hérité ?

– Oui.

– De quoi ont-elles hérité ?

– À l’époque, ça ne valait pas grand-chose, répondit Baldvin. Elles ont gardé cette maison parce que Leonora était une femme intelligente et forte.

– Il y avait autre chose ?

– Un bout de terrain à Kopavogur. Magnus l’avait accepté en règlement d’une dette, en arrhes ou autre, et il en est devenu propriétaire. C’était deux ans avant sa mort.

– Et Leonora l’a conservé toutes ces années ? Même quand elle a eu besoin de se battre pour conserver la maison ?

– Où voulez-vous en venir avec toutes ces questions ?

– Depuis cette époque, la ville de Kopavogur s’est étendue plus rapidement que n’importe quelle autre commune islandaise. Beaucoup plus de gens sont venus s’y installer que n’importe où ailleurs, y compris à Reykjavik. Quand Magnus est devenu propriétaire de ce terrain, il semblait tellement éloigné dans la campagne que personne ne daignait s’y rendre, même en voiture. Mais aujourd’hui il est à deux pas du cœur de la ville. Qui aurait pu imaginer ça ?

– En effet, c’est incroyable.

– J’ai vérifié le montant que sa vente a rapporté à Leonora, il y a deux ou trois ans, c’est ça ? Cela lui a rapporté pas mal d’argent. D’après les comptes de la commune de Kopavogur, trois cent millions de couronnes islandaises. Leonora savait gérer son patrimoine, n’est-ce pas ? Elle n’étalait pas sa richesse, peut-être que l’argent ne l’intéressait pas, d’une manière générale. Par conséquent, elle en avait placé la majeure partie à la banque où il accumulait des intérêts. Maria a hérité de sa mère. Vous héritez de Maria. Il n’y a personne d’autre, vous êtes le seul.

– Je n’y peux pas grand-chose, commenta Baldvin. Si j’avais cru ce détail important, je vous l’aurais signalé.

– Quel rapport Maria entretenait-elle avec l’argent ?

– Quel rapport ? Je… aucun. Elle n’avait aucun rapport précis à l’argent.

– Par exemple, avait-elle envie que vous l’utilisiez pour améliorer votre quotidien et mieux profiter de la vie ? Elle voulait le dépenser en produits de luxe et en futilités ? Ou bien ressemblait-elle à sa mère qui s’en fichait pas mal ?

– Elle ne s’en fichait absolument pas, répondit Baldvin.

– Mais elle ne le dépensait pas non plus ?

– Non, pas plus que Leonora. C’est vrai. Je crois savoir pour quelle raison, mais c’est une autre histoire. Qui avez-vous interrogé, si je peux me permettre ?

– Ça n’a aucune importance, pour l’instant. J’imagine que vous avez voulu profiter de la vie. Il y avait tout cet argent qui dormait sans que personne ne s’en serve.

Baldvin prit une profonde inspiration.

– Je n’ai aucune envie de parler de ça, répondit-il.

– Comment vous vous étiez arrangés avec Maria ? Il y avait un contrat de mariage ?

– Oui, tout à fait.

– Que stipulait-il ?

– Que l’argent issu de la vente de ce terrain lui appartenait en propre.

– C’était son bien propre ?

– Oui, elle devait conserver le tout en cas de divorce.

– Parfait, observa Erlendur. Venons-en au deuxième point. Connaissez-vous un certain Tryggvi ?

– Tryggvi ? Non.

– Évidemment, il y a longtemps que vous l’avez vu, mais ces détails devraient vous rafraîchir la mémoire. Il a un cousin qui vit aux États-Unis. Sigvaldi. Sa petite amie s’appelait Dagmar. En ce moment, elle est justement en vacances en Floride. Elle rentre d’ici une semaine environ. Je vais essayer de lui rendre une petite visite. Ces noms vous disent quelque chose ?

– Plus ou moins… qu’est-ce que… ?

– Vous étiez en médecine avec ces gens-là ?

– Oui, c’est bien eux.

– Avez-vous pris part à une expérience visant à maintenir Tryggvi mort pendant quelques minutes ?

– J’ignore de quoi vous…

– Vous, votre ami Sigvaldi et Dagmar, sa copine ?

Baldvin fixa longuement Erlendur sans dire un mot. Puis, semblant subitement ne plus tenir en place, il se leva.

– Il ne s’est rien passé, répondit-il. Comment diable avez-vous découvert ce truc-là ? Qu’est-ce que vous essayez de faire ? J’y étais, ça s’arrête là, c’est Sigvaldi qui a procédé à l’expérience. Je… il ne s’est rien passé du tout. J’étais présent, mais je ne connaissais même pas ce type. Tryggvi, dites-vous, c’est son nom ?