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– Par conséquent, vous savez très bien de quoi je parle ?

– C’était une expérience débile. Elle n’était pas censée prouver quoi que ce soit.

– Mais Tryggvi est mort l’espace de quelques instants ?

– Je ne le sais même pas. Je suis sorti. Sigvaldi avait installé un box à l’hôpital, c’est là que nous avons fait ça. Ce Tryggvi était plutôt bizarre. Sigvaldi passait son temps à se moquer de lui. Je venais de commencer mes études de médecine. Sigvaldi était un type rudement intelligent, mais un peu extrême. C’est lui qui a voulu tenter ce truc-là, lui seul. Et peut-être aussi Dagmar. Je ne savais pratiquement rien de ce projet.

– Je ne les ai pas encore interrogés, mais je n’y manquerai pas, nota Erlendur. Comment Sigvaldi a-t-il provoqué l’arrêt cardiaque de Tryggvi ?

– Il a refroidi le corps et lui a administré un médicament. Je ne me rappelle plus quel produit, mais il est toujours en vente. Il a eu pour effet de ralentir graduellement les battements du cœur jusqu’à les arrêter. Sigvaldi avait un chronomètre et, au bout d’une minute, il a pris le défibrillateur. Ça a marché tout de suite, le cœur s’est remis en route.

– Et ?

– Et quoi ?

– Qu’en a dit Tryggvi ?

– Rien. Rien du tout. Il n’a rien senti, aucune souffrance. Il a décrit ça comme un profond sommeil. Je ne comprends pas pourquoi vous déterrez cette histoire. Jusqu’où comptez-vous remonter ? Pourquoi vous passez ma vie au microscope comme ça ? Vous me soupçonnez de quelque chose ? C’est dans vos habitudes d’enquêter comme ça sur les suicides ? À moins que ce ne soit du harcèlement ?

– Il reste un dernier point, reprit Erlendur sans lui répondre. Ensuite, je pars.

– Une enquête a été officiellement ouverte ?

– Non, répondit Erlendur.

– Dans ce cas… suis-je obligé de répondre à vos questions ?

– En fait, non. J’essaie simplement de comprendre ce qui s’est passé lorsque Maria a mis fin à ses jours. De découvrir s’il y a quelque chose de suspect dans son décès.

– Quelque chose de suspect ?! Ce n’est pas déjà assez suspect comme ça de se suicider ? Enfin, que me voulez-vous ?

– Maria est allée consulter un médium avant sa mort. Elle a contacté une certaine Magdalena. Ça vous dit quelque chose ?

– Non, répondit Baldvin. Absolument rien. J’ignorais qu’elle était allée voir un médium. Et je n’en connais aucun du nom de Magdalena.

– Elle y est allée parce qu’elle a cru voir sa mère lui apparaître ici, longtemps après son décès.

– Ça ne me dit absolument rien, répondit Baldvin. Peut-être était-elle plus réceptive que la plupart des gens, elle croyait avoir des visions et des rêves prémonitoires. Le phénomène n’est pas si rare et n’a rien d’anormal, si c’est le genre de chose que vous cherchez.

– Non, évidemment.

Baldvin s’était rassis face à Erlendur. Il hésitait.

– Je devrais peut-être parler à vos supérieurs, observa-t-il.

– Comme vous voulez, si vous pensez que vous vous sentirez mieux après, répondit Erlendur.

– Il y a… à propos de fantômes. Il y a une petite chose que je ne vous ai pas dite, déclara Baldvin, en prenant son visage entre ses mains. Peut-être comprendrez-vous mieux Maria et son geste une fois que vous aurez entendu ça. Cela vous calmera peut-être un peu. J’espère que vous comprenez que je n’ai rien fait. Qu’elle a fait ça toute seule.

Erlendur gardait le silence.

– Ça concerne l’accident de Thingvellir.

– L’accident ? Celui qui a coûté la vie à Magnus ?

– Oui. Je me disais que je n’avais pas besoin d’entrer là-dedans, mais puisque vous trouvez qu’il y a dans cette histoire quelque chose de pas très net, il vaut sûrement mieux que vous soyez au courant. J’ai promis à Maria de n’en parler à personne, mais vos visites répétées me déplaisent et je veux qu’elles cessent. Je ne veux plus que vous veniez ici avec ces insinuations et ces sous-entendus. Je veux que vous mettiez un terme à tout cela et que vous nous laissiez… que vous me laissiez pleurer ma femme en paix.

– Je ne vois pas de quoi vous parlez.

– Bon, voilà ce que Maria m’a dit sur la mort de son père au lac de Thingvellir, après le décès de Leonora.

– Quoi donc ?

Baldvin inspira profondément.

– La description que Leonora et Maria ont donnée des événements et de la noyade est entièrement vraie à un détail près. Peut-être vous êtes-vous penché sur cette affaire puisque vous ne pouvez pas vous empêcher de mettre votre nez dans tout ce qui nous touche.

– Je sais quelques petites choses, en effet, convint Erlendur.

– Pour ma part, je ne connaissais que la version officielle, comme tout un chacun. L’hélice s’est détachée, Magnus a probablement essayé de bidouiller le moteur, il est tombé par-dessus bord, l’eau était glacée et il s’est noyé.

– Oui.

– Maria m’a raconté qu’il n’était pas seul dans la barque. Je sais que je ne devrais pas vous dire ça, mais je ne vois pas comment me débarrasser de vous autrement.

– Qui était avec lui ?

– Leonora.

– Leonora ?

– Oui. Leonora et…

– Qui d’autre ?

– Maria.

– Quoi ? Maria aussi était présente ?

– Magnus trompait Leonora, il lui était infidèle. Je crois qu’il lui avait avoué ça à Thingvellir, au chalet. Leonora a fait une crise de nerfs. Elle était loin d’imaginer une chose pareille. Magnus, Maria et Leonora sont allés faire un tour sur le lac. Maria ne m’a pas raconté ce qui s’est passé, mais nous savons que Magnus est tombé par-dessus bord. L’agonie a été brève. Personne ne survit bien longtemps dans le lac de Thingvellir en automne.

– Et Maria ?

– Maria a assisté à la scène, répondit Baldvin. Elle n’a rien dit à la police et elle a confirmé la version selon laquelle Magnus était seul.

– Maria vous a-t-elle raconté ce qui s’est passé sur le lac ?

– Non, elle s’y est refusée.

– Et vous l’avez crue ?

– Évidemment.

– Ça lui pesait beaucoup ?

– Oui, en permanence. Ce n’est qu’après le décès de Leonora, après son interminable agonie dans cette maison, que Maria m’a confié tout ça. Je lui ai promis de ne le répéter à personne. J’espère que vous respecterez cette promesse, vous aussi.

– C’est pour cette raison qu’elles n’ont jamais touché à l’argent de Magnus ? À cause de leur mauvaise conscience ?

– Ce terrain n’avait pas la moindre valeur jusqu’à ce que la ville vienne s’étendre jusque-là. Elles avaient oublié jusqu’à son existence quand, un beau jour, un important entrepreneur est venu les trouver en leur offrant cent millions de couronnes. Elles se demandaient ce qui leur arrivait.

Baldvin lança un regard vers la photo de Maria, posée sur la table à côté d’eux.

– Elle était tout simplement au bout du rouleau, reprit-il. Elle n’avait jamais réussi à parler à personne de ce qui s’était passé et Leonora en avait, dans une certaine mesure, fait sa complice en s’assurant son silence. Maria ne pouvait plus supporter la vérité et… c’est la solution qu’elle a trouvée pour la fuir.

– Vous suggérez que son suicide serait lié à la mort de son père ?

– Ça me semble évident, répondit Baldvin. Je n’avais pas l’intention de vous en parler, mais…

Erlendur se leva.

– Je ne vous importunerai pas plus longtemps, déclara-t-il. Ça suffit pour aujourd’hui.