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– Baldvin et moi, nous nous sommes rencontrés à l’École d’art dramatique, dans les cours de ce vieux Johannes. Nom de Dieu, il était d’un ennui, je veux parler de Johannes. En plus, c’était un acteur raté. Enfin bref, Baldvin et moi nous avons mis fin à notre relation quand il a quitté l’école pour s’inscrire en médecine. Je peux vous demander pourquoi vous enquêtez sur lui ?

– On ne peut pas vraiment dire que j’enquête sur lui, répondit Erlendur. Mais vous savez comme les gens peuvent jaser, et on m’a confié que vous vous connaissiez et même que vous aviez récemment renoué contact.

– Qui vous a raconté ça ?

– J’ai oublié, il faudrait que je reprenne mes notes.

Karolina sourit.

– C’est une histoire qui vous regarde ?

– Pour l’instant, je ne sais pas, répondit Erlendur.

– Il m’a prévenu que je recevrais peut-être votre visite, reprit-elle.

– Qui ça ? Baldvin ?

– Nous avons renoué, c’est vrai. Inutile de garder le secret. C’est ce que je lui ai dit et il était d’accord avec moi. Ça a recommencé il y a environ cinq ans. Nous nous sommes revus à la fête d’anniversaire de notre promotion du cours de théâtre. Baldvin est venu, même s’il n’a pas été diplômé avec nous. Il m’a raconté qu’il en avait marre de la vieille, cette Leonora, la mère de Maria. Elle habitait chez eux.

– Pourquoi n’a-t-il pas divorcé pour venir vivre avec vous ? Il n’y a rien de plus banal.

– En réalité, c’était son intention, répondit Karolina. Cette histoire me rendait dingue et je lui avais donné un ultimatum. À ce moment-là, cette sorcière de Leonora est tombée malade et il ne pouvait pas imaginer abandonner Maria. Il voulait l’aider à affronter ces épreuves et c’est ce qu’il a fait. Je redoutais plus que tout de voir leurs relations s’améliorer après le décès de la sorcière. En fait, il avait même complètement arrêté de venir me voir. Il n’en avait que pour sa Maria. Mais bon, ça lui a passé.

– C’est comme ça que Baldvin vous a décrit Leonora ? Comme une sorcière ?

– Il ne la supportait plus. C’était de pire en pire. Je devrais peut-être avoir de la reconnaissance envers elle, si je veux être vraiment peau de vache. Il voulait qu’elle parte de chez eux, mais Maria refusait.

– Il n’a pas eu d’enfant avec elle, n’est-ce pas ?

– Baldvin ne peut pas et ça n’intéressait pas Maria, répondit Karolina sans ambages.

– Comment comptez-vous vous y prendre pour rendre votre relation publique ? demanda Erlendur.

– Vous parlez comme un pasteur de campagne.

– Excusez-moi, je n’avais pas l’intention de…

– Baldvin est quelqu’un de respectueux. Il veut attendre une année entière. Je lui ai dit que c’était peut-être un peu trop. Mais il n’en démord pas. Laissons passer un an, a-t-il dit.

– Mais ça ne vous satisfait pas ?

– Je le comprends très bien. Une telle tragédie et tout ça. Nous n’avons pas besoin de nous presser.

– Maria était au courant de votre relation ?

– Je peux vous demander sur quoi vous enquêtez exactement ? Qu’est-ce que vous cherchez ? Vous croyez que Baldvin lui aurait fait du mal ?

– Et vous, vous y croyez ?

– Non, il n’est pas comme ça. Il est médecin ! Qu’est-ce qui vous pousse à croire que ce n’est pas un suicide ?

– Ce n’est pas ce que je pense, répondit Erlendur.

– C’est à cause de cette enquête suédoise, à moins que… ?

– Ah, on vous a parlé de ça ?

– C’est ce que Baldvin a entendu. Ce qui se passe nous échappe complètement.

– Je me contente de rassembler des informations pour pouvoir clore ce dossier, répondit Erlendur. Vous saviez que sa femme lui laissait un héritage de cent millions ?

– Je ne l’ai appris que récemment. Il m’a dit ça l’autre jour. Cet argent vient du père de Maria qui a fait de la spéculation immobilière, c’est ça ?

– En effet, il avait un petit bout de terrain à Kopavogur qui a pris beaucoup de valeur. Baldvin est le seul héritier de cette fortune.

– Oui, il m’en a plus ou moins parlé. Il me semble qu’il ne le sait que depuis peu. En tout cas, c’est ce qu’il m’a dit.

– J’ai entendu dire que cet argent tombait à point nommé, observa Erlendur.

– Ah bon ?

– Et que Baldvin était considérablement endetté.

– Il a eu quelques revers en Bourse, je n’en sais pas plus. Il s’est fourvoyé dans de mauvais placements, une entreprise de bâtiment quelconque qui a fait faillite. Et puis, il lui reste à éponger les dettes de ce cabinet qui ne tournait pas très bien. On n’aborde pas beaucoup ce genre de sujet. Tout du moins, c’était le cas jusqu’à maintenant.

– Vous avez renoncé à monter sur scène, n’est-ce pas ? demanda Erlendur.

– Oui, pratiquement.

– Puis-je vous demander pourquoi ?

– J’ai joué dans quelques pièces. Rien de très glorieux, mais…

– Excusez-moi, je fréquente malheureusement très peu les théâtres.

– On ne me confiait pas de rôles vraiment intéressants. C’est-à-dire, dans les grands théâtres. Et puis, la compétition est féroce. C’est un monde sans pitié. On s’en est rendu compte dès l’école. Et il y a aussi l’âge. Les actrices comme moi, qui ont atteint la cinquantaine, ne sont pas aussi sollicitées. J’ai trouvé un bon emploi dans une société financière et ça m’arrive d’interpréter un petit rôle par-ci par-là quand un metteur en scène se souvient de moi.

– Je crois savoir que votre plus grand rôle a été celui de Magdalena dans cette pièce suédoise, comment s’appelait-elle, déjà… poursuivit Erlendur qui faisait semblant d’avoir oublié le titre.

– Qui vous a dit ça ? Quelqu’un qui se souvient de moi dans ce rôle ?

– Oui, une femme de ma connaissance, une certaine Valgerdur. Elle va beaucoup au théâtre.

– Et elle se rappelait de moi ?

Erlendur hocha la tête et comprit qu’il n’avait aucune inquiétude à avoir quant aux réponses qu’il fournirait à Karolina si elle lui demandait pourquoi il avait parlé d’elle avec d’autres. Elle semblait prendre cela comme une forme de consécration, quelles qu’en soient les raisons. Il se rappela les paroles du professeur d’art dramatique à propos de l’ambition de Karolina, de cette célébrité qu’elle rêvait tant d’atteindre. Qu’avait-il dit au juste qu’elle voulait devenir ? Une reine de la scène ?

– Flamme d’espérance, c’était le titre. C’était une excellente pièce et c’est en effet le plus grand rôle que j’aie interprété, le sommet de ma gloire, si j’ose dire. Elle sourit. Elle n’a pas spécialement plu à la critique, ils ont trouvé que c’était un drame désuet pour ménagères. Qu’est-ce qu’ils sont pénibles parfois, les critiques. En plus, ils savent très rarement de quoi ils parlent.

– L’amie en question se demandait si elle ne confondait pas ce rôle avec un autre, un personnage dénommé aussi Magdalena.

– Ah bon ?

– Elle était voyante ou médium, poursuivit Erlendur.

Il guettait la réaction de Karolina, mais apparemment ses propos n’en déclenchaient aucune. Soit il faisait fausse route, soit elle était meilleure actrice qu’on ne le prétendait.

– Ça ne me dit rien, répondit-elle.

– Je ne me souviens plus du titre de la pièce, reprit Erlendur qui avait décidé de franchir un nouveau pas. Mais je me demande si ce n’était pas Le Faux Médium ou une chose de ce genre.

Karolina hésita.

– Je n’en ai jamais entendu parler, fit-elle. C’était à l’affiche du théâtre national ?

– Je ne sais pas, répondit Erlendur. Cette Magdalena croyait au monde des esprits, elle croyait qu’il était tout aussi réel que nous deux, ici, dans votre salon.