– Disons, peut-être pas avant midi, répondit Erlendur.
– Aujourd’hui ?
– Je… Enfin, si vous pouvez. Vous pensez pouvoir me rendre ce service ?
– J’ai le choix ?
– Merci beaucoup, conclut Erlendur. Appelez-moi.
Il avait eu quelques difficultés à trouver le chalet : par deux fois, il avait manqué la route qui permettait d’y accéder. Finalement, il avait aperçu le panneau presque avalé par la végétation. Solvangur. Il descendit jusqu’au lac et se gara à côté de la maison.
Cette fois, il savait ce qu’il cherchait. Il était venu seul, il n’avait toujours informé personne de ses activités. Il ne le ferait que lorsque la situation serait claire, si toutefois cela finissait par arriver. Pour l’instant, ce n’était pas le cas, il lui manquait encore des preuves, il n’était pas encore certain d’avoir raison de s’entêter ainsi.
Il était allé voir le légiste chargé de l’autopsie du corps de Maria pour lui demander si elle avait absorbé des somnifères peu avant sa mort. Ce dernier lui avait dit en avoir décelé une petite quantité, beaucoup trop faible pour expliquer le décès. Erlendur lui avait alors demandé s’il était possible de savoir combien de temps avant sa mort Maria avait absorbé ces substances, mais n’avait pas obtenu de réponse très précise. Tout au plus une journée.
– Vous pensez qu’il s’agit d’un crime ? s’était enquis le légiste.
– Pas exactement, avait répondu Erlendur.
– Pas exactement ?
– Auriez-vous décelé des traces de brûlure sur sa poitrine ? avait-il interrogé, hésitant.
Ils étaient assis dans le bureau du légiste qui avait ouvert le rapport d’autopsie devant lui. Il leva les yeux du document.
– Des traces de brûlure ?
– Ou des contusions ? avait bien vite ajouté Erlendur.
– Que cherchez-vous exactement ?
– Je ne sais pas trop.
– Si on avait découvert des traces de brûlure, vous en auriez été informé, rétorqua le légiste, consterné.
Erlendur n’avait pas la clef du chalet, mais ce détail n’avait aucune importance. Ce qui l’intéressait c’était la terrasse, le jacuzzi et la distance qui les séparait du lac. Une fine pellicule de glace recouvrait l’eau qui clapotait sous les pierres de la rive. Non loin de là, une langue de sable s’avançait, coupée en deux par un ruisseau, lui aussi gelé. Erlendur sortit une petite éprouvette que lui avait prêtée Valgerdur. Il la remplit avec l’eau du lac puis compta ses pas jusqu’à la terrasse : cinq pas, et jusqu’au jacuzzi : six. Le jacuzzi était muni d’un couvercle avec une structure d’aluminium et une vitre en plexiglas, il était fermé par un cadenas des plus ordinaires. Il alla chercher une clef en tube dans sa Ford et frappa dessus jusqu’à ce qu’il cède. Puis il souleva le couvercle, lourd comme du plomb. On pouvait le maintenir ouvert en l’accrochant à une fixation installée sur le mur de la terrasse. Erlendur n’y connaissait pas grand-chose en jacuzzi. Jamais il n’était resté assis à mariner dans ces machins-là et ça ne l’intéressait pas. Il supposait que ce bassin n’avait pas servi depuis que Maria avait mis fin à ses jours.
Avant de quitter Reykjavik, il était passé dans un magasin de matériaux de construction pour y interroger un homme qui se vantait d’être spécialiste en la matière. La curiosité d’Erlendur portait sur les questions d’écoulement et sur les techniques d’alimentation d’un jacuzzi. Comment le vide-t-on et le remplit-on ? avait-il demandé. Le vendeur s’était montré très intéressé au début, mais quand il avait compris qu’Erlendur n’envisageait aucune acquisition, il avait vite laissé de côté son baratin et était devenu plus supportable. Il lui avait montré un modèle très prisé, à commande électronique permettant de remplir et de vider le bassin. Il lui avait précisé que les gens l’achetaient fréquemment aujourd’hui. Erlendur avait hoché la tête.
– C’est le meilleur système ? avait-il interrogé.
Le vendeur avait fait une grimace.
– Il y a beaucoup de gens qui préfèrent commander ça manually, avait-il expliqué.
– Manually ? avait rétorqué Erlendur en détaillant du regard ce vendeur à peine sorti de l’enfance et aux joues recouvertes d’un léger duvet.
– Oui, il y a des gens qui préfèrent ouvrir le robinet et le refermer quand le bassin est plein. Comme quand on remplit une baignoire. Dans ce cas, on choisit la température à l’aide de simples robinets d’eau chaude et froide.
– Et s’ils ne veulent pas le faire manually ?
– Dans ce cas, on installe une commande, souvent dans les toilettes. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour que le bassin se remplisse d’eau chaude à une certaine température et, pour le vider, on enfonce un autre bouton.
– Donc, il y a deux conduits, un pour l’alimentation et l’autre pour l’évacuation ?
– Non, il n’y en a qu’un. L’eau est aspirée par la grille du fond et, en phase de remplissage, elle entre par le même chemin.
– Mais ce n’est pas la même eau ?
– Non, évidemment. Celle qui entre est propre, mais certains trouvent que c’est le point faible du système. Personnellement, je n’achèterais pas ça.
– Comment ça ? En quoi est-ce le point faible ?
– Le fait que le remplissage et l’évacuation passent par le même tuyau.
– Pourquoi donc ?
– La canalisation est censée se nettoyer d’elle-même, mais ça arrive que de petites impuretés restent depuis la dernière vidange, vous voyez. C’est pour ça que les gens préfèrent les versions manuelles. Mais bon, c’est peut-être du snobisme. Certains disent que c’est un système impeccable.
Après en avoir fini avec le vendeur, il avait eu une brève conversation avec un membre de la Scientifique qui avait dirigé les opérations dans le chalet. Il croyait se souvenir de la présence d’un petit boîtier de commande à l’intérieur des toilettes.
– C’est-à-dire que le jacuzzi est commandé électroniquement ?
– J’ai l’impression, avait répondu son collègue. Mais il faudrait que je vérifie.
– Quel est l’avantage de cette commande électronique ? avait demandé Erlendur.
– Eh bien, ça évite de le remplir manually, avait répondu ce membre de la Scientifique, plutôt étonné qu’Erlendur lui raccroche abruptement au nez après avoir poussé un profond soupir.
Erlendur examina longuement le fond du jacuzzi. Il chercha des robinets, mais n’en vit aucun. Le vendeur lui avait expliqué qu’ils pouvaient se trouver n’importe où aux abords du bassin, souvent ils étaient dissimulés sous la terrasse. Erlendur ne trouva aucun coffrage susceptible d’en abriter. Il supposa donc que le remplissage était commandé de façon électronique, comme le lui avait suggéré son collègue de la Scientifique. Il enjamba le rebord du jacuzzi et se pencha sur la grille afin de l’enlever. La nuit commençait à tomber, il avait sorti sa lampe de poche. Une petite quantité d’eau avait gelé dans le tuyau. Il attrapa une autre éprouvette pour y placer le morceau de glace qu’il venait de casser.
Il rabattit le couvercle pesant avec la vitre en plexiglas et remit le cadenas brisé à sa place.
Il marcha autour du chalet jusqu’à parvenir au petit abri qui, à son avis, servait de hangar à bateau. Il plaqua son visage contre le hublot et aperçut une barque à l’intérieur. Il se demanda si c’était à son bord que s’étaient trouvés Magnus, Leonora et Maria, en ce jour marqué du sceau du destin. De petits tas de bois étaient posés le long des parois de l’abri.
Ce dernier était fermé par un cadenas qu’Erlendur brisa aussi facilement que le premier. Il éclaira son chemin et entra dans le petit hangar. La barque était vieille et semblait vermoulue, comme si elle n’avait pas servi depuis longtemps. Des établis étaient installés le long de deux murs et, sur celui du fond, on voyait des étagères qui montaient jusqu’au plafond. Sur l’une d’elles, au ras du sol, il vit un vieux moteur Husqvarna.