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Erlendur balaya avec application le faisceau de sa lampe sur le sol et sur les rayonnages. Cet abri contenait évidemment un tas d’objets du chalet. Il y avait ici des outils de jardinage, une brouette et des pelles, on voyait là un réchaud et une cartouche de gaz, des boîtes de peinture, d’autres récipients et toutes sortes d’outils. Erlendur ne savait pas exactement ce qu’il cherchait. Au bout d’un quart d’heure passé à l’intérieur de cet espace dont il avait éclairé chaque recoin, il lui apparut subitement.

L’objet était soigneusement rangé. Rien ne laissait penser qu’on avait essayé de le dissimuler, loin de là, mais il n’était pas non plus placé en évidence. Il se fondait dans ce tout, dans ce chaos, mais il avait attiré son attention dès qu’il avait su que c’était cela qu’il cherchait. Il l’éclaira avec sa lampe de poche. C’était une boîte rectangulaire de la taille et de l’épaisseur d’un attaché-case. L’appareil était d’apparence plutôt banale, mais étrangement il réveilla en Erlendur l’ancienne peur éprouvée à l’époque où il avait failli mourir de froid, là-bas, sur les landes de l’est de l’Islande.

Leonora affirmait que cet accident était leur secret et que personne ne devait apprendre ce qui s’était réellement passé. Elles couraient le risque de se voir séparées. Il était préférable pour elles de taire cet horrible événement. Les accidents survenaient sans que la faute en incombe à qui que ce soit, celui-là en était un. On n’y pouvait plus rien et ça n’apporterait rien de raconter précisément ce qui s’était produit à bord de la barque. Maria avait écouté sa mère en laquelle elle plaçait toute sa confiance. Ce n’avait été que bien plus tard que les conséquences à long terme de ce mensonge avaient commencé à se manifester. La vie de Maria ne serait plus jamais pareille, peu importe à quel point sa mère le souhaitait. Son existence était à jamais bouleversée.

Au fil du temps, Maria s’était remise de ses hallucinations et de la mélancolie dont elle avait souffert après le décès de son père. Ses angoisses avaient, elles aussi, peu à peu diminué, mais le sentiment de culpabilité sommeillait toujours en elle et il ne se passerait plus un seul jour sans qu’elle pense à l’événement de Thingvellir. Cela pouvait survenir à n’importe quel moment. Elle avait appris à étouffer dans l’œuf ces pensées obsédantes et se sentait si mal de n’avoir pas le droit de se soulager en disant ce qui s’était passé que, parfois, il lui arrivait d’envisager le suicide comme moyen de mettre un terme à cette misère et à cette douleur. Rien n’était pire que ce silence oppressant qui lui hurlait chaque jour aux oreilles.

Elle n’avait jamais eu l’occasion d’accomplir normalement le deuil de son père, jamais elle n’avait pu lui dire adieu, jamais on ne lui avait laissé le loisir de le regretter. C’était là sa plus grande souffrance car ils avaient toujours été très proches et il avait toujours été bon avec sa petite fille. Elle ne pouvait même plus se raccrocher à des souvenirs datant d’avant l’accident. Elle ne se permettait même pas ce plaisir.

– Pardonne-moi, avait murmuré Leonora.

Comme d’habitude, Maria était assise sur le bord du lit de sa mère. Elles savaient toutes les deux qu’il n’y en avait plus pour longtemps.

– De quoi ? avait-elle répondu.

– C’était… c’était une erreur. Depuis le début. Je… Pardonne-moi…

– Ce n’est pas grave.

– Si… au contraire. Je pensais que… je pensais à toi. C’est pour toi que j’ai fait ça. Tu… il faut que tu le comprennes. Je ne voulais pas que… qu’il t’arrive quoi que ce soit.

– Je sais, l’avait rassurée Maria.

– Mais… je n’aurais pas dû garder le silence sur l’accident.

– C’était pour mon bien.

– Oui… Mais c’était aussi par égoïsme de ma part…

– Non, avait répondu Maria.

– Peux-tu me pardonner ?

– Ne t’inquiète pas de cela pour l’instant.

– Le peux-tu ?

Maria se taisait.

– Tu raconteras ce qui s’est vraiment passé quand je serai morte ?

Maria ne lui avait pas répondu.

– Dis-le… Raconte-le, avait soupiré Leonora. Fais-le… fais ça pour toi… Raconte-le… Raconte tout.

31

Les deux jours suivants, Erlendur continua à rassembler des informations sur l’enchaînement probable des événements dans le chalet, le soir où Maria y avait été retrouvée morte. Il n’était pas encore prêt à formuler sa théorie et se demandait s’il valait mieux interroger Baldvin et Karolina ensemble ou séparément. Il n’avait parlé à personne de son enquête. Sigurdur Oli et Elinborg le savaient extrêmement occupé à quelque chose dont ils ignoraient tout et Valgerdur avait moins souvent de ses nouvelles qu’à l’accoutumée. L’enquête lui occupait entièrement l’esprit. Il attendait également que le plongeur lui passe un coup de fil du lac de Sandkluftavatn, mais il ne voyait rien venir.

Depuis quelques jours, il se sentait peu à peu envahi par ce désir qui le saisissait parfois de se rendre dans l’Est, dans sa maison abandonnée, pour gravir la montagne.

Assis devant un bol de gruau d’avoine et une saucisse au foie surette, il entendit quelqu’un frapper à la porte. Il alla ouvrir à Valgerdur qui l’embrassa sur la joue et se faufila entre lui et le mur. Elle retira son manteau qu’elle posa sur une chaise et alla s’asseoir dans la cuisine.

– Tu ne me donnes plus aucune nouvelle, reprocha-t-elle tout en se servant un bol de gruau. Erlendur lui coupa un morceau de cette saucisse au foie pas assez surette à son goût. Il avait pourtant exigé qu’elle soit directement sortie de la saumure lorsqu’il l’avait achetée au comptoir du magasin. Le jeune homme qui l’avait servi s’était exécuté avec une mine dégoûtée qui indiquait clairement qu’il n’avait aucun plaisir à plonger sa main dans ce liquide. Erlendur en avait profité pour prendre du macareux, des paupiettes et un peu de pâté de tête qu’il conservait dans du petit-lait sur son balcon.

– J’ai été très occupé, répondit-il.

– Sur quoi tu travailles ? interrogea Valgerdur.

– Toujours la même affaire.

– Fantômes et revenants ?

– Oui, quelque chose comme ça. Tu veux un café ?

Valgerdur hocha la tête et Erlendur se leva pour mettre la cafetière en route. Elle lui trouvait un air fatigué et lui demanda s’il ne lui restait pas quelques jours de congé à prendre. Il répondit qu’il en avait accumulé une kyrielle, mais que, jusqu’à présent, il n’avait pas trouvé à quoi les consacrer.

– Comment s’est passé ton rendez-vous de l’autre jour ? Ton entrevue avec Halldora.

– Plutôt mal, répondit Erlendur. Je ne suis pas sûr que cette rencontre ait été une bonne idée. Il y a tant de choses sur lesquelles nous ne serons jamais d’accord.

– Comme, par exemple ? interrogea-t-elle précautionneusement.

– Ah, je ne sais pas, plein de choses.

– Et tu ne veux pas en parler ?

– Je crains que ça ne serve à rien. Elle a l’impression que je n’ai pas été honnête avec elle.

– Et c’est vrai ?

Erlendur se crispa. Il se tenait debout à côté de la cafetière et Valgerdur se tourna vers lui.

– Ça dépend peut-être de la manière dont on envisage les choses.

– Ah bon ?

Erlendur poussa un profond soupir.

– Elle était vraiment impliquée dans notre relation. Ce n’était pas mon cas. C’est ça, ma grande trahison : mon absence d’implication.

– Erlendur, je crois que je n’ai pas envie d’en entendre plus. Cette histoire ne me regarde pas, elle est terminée depuis longtemps et n’a rien à voir avec nous, ni avec notre histoire.