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Baldvin les invita au salon. Il avait pris des vacances pour une durée indéterminée. Sa mère avait passé deux jours avec lui, mais elle était repartie. Ses collègues et ses amis étaient venus lui rendre visite ou lui avaient transmis des messages de sympathie. Il s’était occupé de l’enterrement et savait que certains écriraient des notices à la mémoire de sa femme, qui seraient publiées dans la presse. Il raconta tout cela à Elinborg et Erlendur pendant qu’il préparait le café. Il semblait légèrement engourdi, faisait toute chose avec lenteur, mais paraissait équilibré. Erlendur lui détailla les conclusions de l’autopsie. Le décès de sa femme était enregistré comme un suicide. Il lui témoigna une nouvelle fois sa sympathie. Elinborg se montrait peu loquace.

– Ç’a dû être un réconfort pour vous d’être entouré dans une situation aussi difficile, observa Erlendur.

– Mes sœurs et ma mère sont aux petits soins avec moi, acquiesça Baldvin. Mais, parfois, c’est bon aussi de se retrouver seul.

– Oui, je ne vous le fais pas dire, confirma Erlendur. Pour certains d’entre nous, c’est le meilleur des traitements possibles.

Elinborg lui lança un regard. Erlendur préférait la solitude à toute autre chose dans la vie. Elle se demandait ce qu’elle était venue faire avec lui dans cette maison. Il s’était contenté de lui dire qu’il devait informer cet homme des conclusions du légiste. Qu’ils n’en auraient pas pour bien longtemps. Et voilà maintenant qu’il commençait à discuter avec lui comme avec un ami de longue date.

– On se sent toujours coupable, observa Baldvin. J’ai l’impression que j’aurais dû faire quelque chose. Que j’aurais pu mieux faire.

– Ce sont des réactions normales, répondit Erlendur. On connaît bien cela dans notre profession. En général, les proches ont déjà tenté bien des choses, si ce n’est tout, dans ce genre de situation.

– Je ne l’ai pas vu venir, poursuivit le mari. Je vous assure. De ma vie, je n’ai jamais eu un choc aussi grand que lorsque j’ai appris ce qu’elle avait fait. Vous n’imaginez pas à quel point. Je suis habitué à bien des choses en tant que médecin mais quand… quand ce type d’événement se produit… Je crois bien que personne ne peut être préparé à ça.

Il semblait éprouver le besoin de parler. Il leur raconta qu’il avait connu sa femme à l’université. Maria étudiait l’histoire et le français. Pour sa part, il avait touché au théâtre au lycée et passé quelque temps au cours d’art dramatique avant de s’engager dans une autre voie et de s’inscrire en médecine.

– Elle était historienne de profession ? interrogea Elinborg, qui possédait un diplôme de géologie mais n’avait jamais exercé dans ce domaine.

– En effet, répondit Baldvin. Elle travaillait ici, à la maison. On a un bureau en bas. Elle enseignait un peu, signait parfois des contrats avec des institutions ou des entreprises, se consacrait à la recherche et écrivait des articles.

– Quand vous êtes-vous installés à Grafarvogur ? demanda Erlendur.

– On a toujours vécu ici, répondit Baldvin en parcourant le salon du regard. Je suis venu m’installer avec elle et Leonora alors que j’étais encore étudiant. Maria était fille unique, elle a hérité au décès de sa mère. Cette maison a été bâtie avant l’existence du plan d’urbanisme, bien avant qu’on ne se mette à construire le reste du quartier. Elle est légèrement à l’écart, comme vous avez pu le remarquer.

– Elle semble plus ancienne que les autres, convint Elinborg.

– Leonora est morte ici, poursuivit Baldvin. Dans une des chambres. Trois ans ont passé entre le moment où on a diagnostiqué son cancer et son décès. Elle ne voulait surtout pas qu’on la mette à l’hôpital, elle désirait mourir chez elle. C’est Maria qui s’est occupée d’elle tout ce temps.

– Ça a dû être très difficile pour votre femme, observa Erlendur. Vous m’avez dit qu’elle était croyante.

Il remarqua qu’Elinborg regardait sa montre à la dérobée.

– En effet. Elle avait conservé sa foi d’enfant. Elle et sa mère ont beaucoup discuté de religion, après que Leonora était tombée malade. Leonora était le genre de femme ouverte. Elle parlait de sa maladie sans contrainte et aussi de la mort. Je crois que ça l’a aidée à surmonter la douleur. Je crois qu’elle a quitté ce monde en paix. Tout du moins, aussi résignée que peuvent l’être les gens confrontés à un tel destin. C’est un phénomène que j’ai pu observer dans ma profession. Personne ne se résigne vraiment à s’en aller de cette façon, mais il est possible de partir en paix avec soi-même et avec les siens.

– Vous voulez dire que sa fille, elle aussi, est partie en paix ?

Baldvin s’accorda un moment de réflexion.

– Je ne sais pas. Je doute que quiconque commettant le geste qu’elle a commis puisse quitter ce monde en paix.

– Mais la mort lui était familière.

– Oui, depuis toujours, je crois, répondit Baldvin.

– Et qu’en est-il de son père ?

– Il est décédé depuis longtemps.

– Oui, vous me l’avez déjà dit.

– Je ne l’ai jamais connu. Elle n’était encore qu’une petite fille.

– Comment est-il mort ?

– Il s’est noyé pas loin de leur chalet d’été à Thingvellir. Il est tombé d’une petite barque. Il faisait très froid, c’était un gros fumeur et un sédentaire et… il s’est noyé.

– C’est affreux de perdre un de ses parents si jeune, glissa Elinborg.

– Maria était avec lui, ajouta Baldvin.

– Votre femme ?

– Elle n’avait que dix ans. Ça l’a beaucoup affectée. Je crois bien qu’elle ne s’en est jamais complètement remise, qu’elle n’a jamais fait le deuil. Quand ensuite sa mère a été emportée par ce cancer, elle en a été doublement accablée.

– Elle a dû supporter bien des choses, commenta Elinborg.

– En effet, elle a enduré bien des choses, confirma Baldvin, en contemplant ses mains.

5

Quelques jours plus tard, assis dans son bureau devant une tasse de café, Erlendur relisait un ancien rapport concernant une affaire de disparition quand on vint l’informer que quelqu’un demandait à le voir à l’accueil, une certaine Karen. Il se souvenait que c’était le prénom de l’amie de Maria, celle qui l’avait découverte à Thingvellir. Il quitta son bureau pour aller à sa rencontre. À l’accueil l’attendait une femme vêtue d’un jean et d’une veste en cuir marron sous laquelle elle portait un épais pull-over à col roulé blanc.

– Je voulais vous parler de Maria, lui déclara-t-elle après les salutations d’usage. C’est vous qui êtes chargé de cette affaire, n’est-ce pas ?

– En effet, mais on ne peut pas franchement parler d’affaire, nous avons déjà…

– Pourrais-je venir m’asseoir un moment avec vous dans votre bureau ?

– Rappelez-moi de quelle façon vous vous êtes connues ?

– Maria était une amie d’enfance, précisa Karen.

– Ah oui, c’est vrai.

Erlendur l’invita dans son bureau où elle s’installa face à lui. Elle ne retira pas sa veste en cuir, malgré la chaleur qui régnait dans la pièce.

– Nous n’avons rien décelé d’anormal, commença-t-il, si c’est le genre de chose que vous cherchez.

– Je n’arrive pas à la chasser de mon esprit, répondit Karen. Je pense à elle tous les jours. Vous ne pouvez pas savoir le choc que son geste a été pour moi. Et celui que j’ai eu en la découvrant dans cet état. Elle n’a jamais évoqué ce genre de chose avec moi et, pourtant, elle me racontait tout. On était non seulement amies, mais aussi confidentes. Si quelqu’un connaissait Maria, c’était bien moi.