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– Je… Cet endroit est mon chalet. Comment ça, qu’est-ce que je viens faire ici ? Cela ne vous regarde pas. Voudriez-vous bien… Pourquoi vous me poursuivez comme ça ?

– Je commençais à croire que vous ne viendriez pas, mais vous n’y teniez plus et vous avez voulu mettre cet appareil en lieu sûr. Votre conscience s’est mise à vous ronger. Peut-être n’êtes-vous plus aussi sûr de vous en tirer à bon compte.

– Je ne comprends pas de quoi vous parlez. Pourquoi vous ne me fichez pas la paix ?

– C’est Maria, elle m’obsède autant qu’une vieille histoire de fantômes. Il y a plusieurs choses dont je ressens le besoin de vous parler à son sujet, diverses questions que je sais qu’elle aurait souhaité vous poser.

– Qu’est-ce que vous racontez ? C’est vous qui avez cassé le cadenas de la porte ?

– En effet, l’autre jour, reconnut Erlendur. J’essayais de remplir les blancs.

– C’est quoi, ces conneries ? rétorqua Baldvin.

– J’espérais que vous alliez me le dire.

– Je suis simplement venu mettre un peu d’ordre dans le hangar à bateau, éluda Baldvin.

– Oui, évidemment. Il y a autre chose. Pourquoi avez-vous rempli votre jacuzzi avec l’eau du lac ?

– Hein ?

– J’ai prélevé des échantillons dans le jacuzzi, dans le tuyau d’évacuation. L’eau du chalet et du jacuzzi provient des puits un peu plus haut. Elle est chauffée à l’électricité puis injectée dans le système. Comment se fait-il qu’il y ait un dépôt provenant du lac dans l’écoulement du jacuzzi ?

– Je ne vois pas de quoi vous parlez, répondit Baldvin. Nous allons… ou plutôt, nous allions parfois nous baigner dans le lac pendant l’été et ensuite nous retournions au jacuzzi.

– Certes, mais la quantité d’eau dont je parle est nettement plus importante. Je crois bien que le bassin a été entièrement rempli avec, précisa Erlendur.

Baldvin tenait encore le défibrillateur à la main. Il recula vers la porte dans l’intention de mettre l’objet dans le coffre de sa voiture. Erlendur le suivit et le lui prit sans qu’il oppose aucune résistance.

– J’ai interrogé un médecin, reprit-il. Je lui ai demandé comment on s’y prenait pour provoquer un arrêt cardiaque sans que personne ne le remarque. Il m’a dit qu’il fallait une grande détermination et beaucoup d’eau froide. Vous êtes médecin, non ?

Debout à côté de sa voiture, Baldvin ne lui répondait rien.

– N’est-ce pas la méthode à laquelle vous avez recouru autrefois pour pratiquer l’expérience sur Tryggvi ? continua Erlendur. Vous ne pouviez utiliser aucun médicament avec Maria. Il ne fallait pas que, en cas d’autopsie, on trouve quoi que ce soit, n’est-ce pas ? Une toute petite dose de somnifères pour atténuer la sensation de froid, voilà tout ce que vous pouviez vous permettre.

Baldvin claqua le coffre de sa voiture.

– J’ignore totalement de quoi vous parlez, répéta-t-il, furieux. Et je crois que vous ne le savez pas non plus. Maria s’est pendue. Elle ne s’est pas endormie dans le jacuzzi. Vous devriez avoir honte !

– Je sais qu’elle s’est pendue, observa Erlendur. J’ai envie de découvrir exactement pourquoi et de comprendre la manière dont vous et Karolina vous y êtes pris pour l’y pousser.

Baldvin semblait s’apprêter à partir au volant de sa voiture pour ne pas avoir à en entendre plus. Il s’approcha de la portière du conducteur et l’ouvrit, mais, pris d’une hésitation, il se retourna vers Erlendur.

– Vous commencez franchement à me fatiguer, grommela-t-il en fermant vigoureusement la portière. Je suis fatigué de votre putain de harcèlement. Qu’est-ce que vous me voulez ?

Il s’approcha d’un pas décidé vers le policier.

– C’est en repensant à Tryggvi que cette idée a germé, n’est-ce pas ? poursuivit Erlendur, imperturbable. Ce que j’aimerais savoir, c’est comment vous avez procédé pour l’enfoncer dans la tête de Maria.

Baldvin lança un regard assassin à Erlendur qui ne baissa pas les yeux.

– Nous ? Comment ça, nous ?

– Vous et Karolina.

– Vous êtes complètement cinglé ou quoi ?

– Pourquoi ce défibrillateur est-il brusquement pour vous source d’inquiétude ? Il n’a pas bougé d’ici depuis le décès de Maria. Pourquoi est-il si important de le faire disparaître précisément maintenant ?

Baldvin ne lui répondit pas.

– C’est parce que j’en ai parlé à Karolina ? Peut-être que vous avez pris peur ? Peut-être que vous vous êtes dit qu’il fallait vous en débarrasser ?

Baldvin continuait de le fixer sans dire un mot.

– On devrait peut-être aller s’asseoir un moment dans le chalet ? proposa Erlendur. Avant que je n’appelle mes hommes ?

– Quelles preuves avez-vous ? lança Baldvin.

– Tout ce que j’ai se résume à de sérieux soupçons auxquels je meurs d’envie d’apporter confirmation.

– Et ensuite ?

– Ensuite ? Je ne sais pas. Et vous ?

Baldvin garda le silence.

– J’ignore s’il est possible de traduire quelqu’un en justice pour avoir conduit une personne au suicide ou pour l’avoir sciemment poussée à mettre fin à ses jours, reprit Erlendur. En tout cas, c’est ce à quoi vous et Karolina vous êtes livrés. De manière organisée et sans l’ombre d’une hésitation. Probablement l’argent a-t-il joué un grand rôle : il y en a beaucoup et, financièrement, vous êtes acculé. En outre, il y a évidemment Karolina. Il suffisait que Maria meure et vous obteniez tout ce que vous vouliez.

– C’est quoi, ce discours ?

– Ce monde est bien cruel.

– Vous êtes incapable de prouver quoi que ce soit, s’emporta Baldvin. C’est qu’un tas de conneries !

– Racontez-moi ce qui est arrivé. À quel moment ça a commencé ?

Baldvin hésitait encore.

– En fait, il me semble plus ou moins savoir ce qui s’est passé. Si je me trompe, nous pouvons en parler, mais vous devez le faire. Vous n’y couperez pas, malheureusement.

Baldvin se tenait immobile, silencieux.

– À quel moment cela a-t-il commencé ? répéta Erlendur en sortant son portable. Soit vous me le racontez maintenant, soit, d’ici quelques heures, cet endroit grouillera de flics.

– Maria m’a dit qu’elle voulait aller de l’autre côté, déclara Baldvin à voix basse.

– De l’autre côté ?

– Après le décès de Leonora, elle a voulu traverser le grand brouillard, où elle pensait pouvoir retrouver sa mère. Elle m’a demandé de l’aider. C’est tout.

– Le grand brouillard ?

– Il faut peut-être que je vous fasse un dessin ?

– Et ensuite ?

– Entrez, je vais vous parler de Maria si, après ça, vous nous laissez enfin tranquilles, répondit Baldvin.

– Vous étiez au chalet au moment de son décès ?

– Doucement, répondit Baldvin. Je vais tout vous raconter. Il est temps que vous entendiez cette histoire. Je ne veux pas nier ma part de responsabilité, mais je ne l’ai pas assassinée. Je n’aurais jamais pu faire une telle chose. Vous devez me croire.

33

Ils entrèrent dans le chalet et allèrent s’asseoir à la cuisine. Il faisait froid, mais Baldvin ne prit pas la peine d’allumer les radiateurs, il ne prévoyait pas de s’attarder. Il commença son exposé point par point et se montra organisé et clair dans la description qu’il donna de sa rencontre avec Maria à l’université, de la vie commune avec Leonora à Grafarvogur et des deux dernières années de Maria après la mort de sa mère. Erlendur eut parfois l’impression qu’il avait plus ou moins répété son récit, qui lui semblait toutefois convaincant et conforme à sa personnalité.

Baldvin avait une relation amoureuse avec Karolina depuis plusieurs années. Ils avaient eu une brève histoire à l’époque où ils fréquentaient l’École d’art dramatique, mais elle avait tourné court. Baldvin avait épousé Maria. Karolina, quant à elle, avait vécu seule ou en concubinage. Sa plus longue relation avec un homme avait duré quatre ans. Elle et Baldvin s’étaient à nouveau rencontrés et avaient repris leur ancienne histoire dont Maria ignorait jusqu’à l’existence. Ils se voyaient en secret, de manière plutôt irrégulière, mais jamais moins d’une fois par mois. Aucun d’eux ne voulait que leur relation aille plus loin, mais, peu avant que Leonora ne tombe malade, Karolina avait suggéré à Baldvin de quitter Maria pour s’installer avec elle. Il ne s’était pas montré opposé à l’idée. La cohabitation avec la mère et la fille avait sapé les fondations du couple. Il disait de plus en plus souvent à Maria qu’il n’avait pas épousé sa mère et que cela n’avait jamais été dans ses intentions.